S’il y a une notion qui s’est installée dans le paysage récemment c’est la notion de « care ». Au départ il y avait les entreprises qui avaient des convictions fortes en la matière et les autres. Au fil du temps, sous la pression sociale de plus en plus d’entreprises se sont intéressées au sujet bon gré mal gré et la pandémie a fini par enfoncer le clou.
Aujourd’hui il semble définitivement acquis qu’on ne fera pas machine arrière et donc, lorsqu’on parle du futur du travail, il est important de regarder ce sujet avec attention, d’autant plus que les souvenirs de la crise COVID sont encore là et que des temps difficiles s’annoncent.
Et comme d’habitude nous allons regarder le sujet au travers des forces qui façonnent le futur du travail en 2022.
La pandémie
Si certaines entreprises sont loin d’avoir une vraie culture du care ou se disent que ça coute cher au regard de ce que ça rapporte, la pandémie a radicalement changé la donne. Au moins pour un temps.
De nombreux dirigeants se sont subitement demandés « comment les gens allaient ». On a demandé aux managers de prendre soins de leurs équipes soudainement confinées alors que parfois avait plutôt l’habitude de leur reprocher d’être trop gentils et de ne pas les presser assez.
D’accord ça n’était pas toujours dénué d’intérêt, certains se préoccupant davantage de garder des gens en état de se donner à 100% à leur travail (voire plus) que de l’état des salariés à proprement parler.
Beaucoup de choses ont été mises en place à ce moment. Certaines logiquement provisoires qui ont disparu avec la crise et d’autres qui resteront, impactant ainsi le rôle des RH, des managers, la vie des collaborateurs au travail.
Mais les réponses aux enjeux de care peuvent être génériques (pertinent tout le temps, en toutes circonstances) ou spécifiques (répondre à un besoin donné à un moment donné).
La fin des mesures spécifiques au COVID ne doit pas faire oublier que d’autres besoins naissent et disparaissent au fil du temps et qu’il n’est peut être pas indispensable d’être face à une crise majeure pour les prendre en considération.
De la même manière que ce qui a été gardé du COVID méritera d’être questionné dans le temps. Est-ce encore nécessaire ? A choisir et vu les budgets ne sont pas illimités, ne faudrait il pas abandonner certaines choses pour se concentrer sur des sujets à plus fort impact ?
La consumérisation
Sans impact ici.
La technologie
Utile à condition d’être utilisée à bon escient comme on l’a vu avec l’utilisation des feedbacks et des donnée secondaires.
Un feedback peut être un signal faible, une accumulation de feedbacks concordants est une alerte. Mais si on sanctionne la personne qui remonte une alerte à caractère personnel ou un lanceur d’alerte…
Quant aux données secondaires on en a eu un bon exemple avec Microsoft Viva avant que l’éditeur ne corrige le tir. Un salarié qui consulte ses emails jusqu’à des heures indues n’est pas un salarié productif et engagé mais le signe d’un vrai problème humain et organisationnel. Un salarié qui saute sur chaque email dès qu’il arrive et jongle en permanence entre email et tchat avec une réactivité impressionnante n’est pas super réactif : il est improductif dans son travail et il y a un risque sur sa charge mentale. Cela doit être un sujet de préoccupation pour le manager.
Bref comme d’habitude la technologie n’est pas autoporteuse et fera du bien ou du mal selon les humains qui l’ont entre leurs mains. Toutefois dans un monde de plus en plus hybride où on voit moins les gens et où il devient difficile de capter certains signaux faibles elle offre des capacités intéressantes qu’il serait dommage de ne pas utiliser.
Tant qu’on parle d’entreprise hybride je voudrai faire un ajout à ce que je disais du rôle du manager dans un tel contexte. L’autre jour j’évoquais la notion de leadership digital qui correspond à sa capacité à exister à distance au travers d’outils numériques afin d’incarner son leadership, notamment sur la dimension non verbale. Mais en matière de care il y a une autre compétence à developper : détecter les signaux faibles à distance.
L’évolution de la société et de l’économie
Au niveau de la société pas grand chose à dire si ce n’est qu’il y a une attente croissante en la matière. J’irai même plus loin : à l’heure où les discours des entreprises vont de plus en plus loin en matière de responsabilité sociale et environnementale il serait bon que certaines comprennent que multiplier les actions à l’égard du monde qui les entoure est une bonne chose mais que commencer par l’intérieur ne serait pas plus mal.
Pour ce qui est de l’économie je ne vais pas parler de l’économie en général mais de notre économie en particulier. A peine sortis d’une crise nous entrons dans une nouvelle, une crise dans laquelle les entreprises ne seront pas massivement aidées comme elles l’ont été pour le COVID. Elles ne seront pas aidées du tout d’ailleurs sauf à la marge.
Je reproche souvent à l’expérience employé d’avoir pris un virage quasi exclusif vers la QVT, domaine auquel on peut raccrocher le care. Indispensable, cela ne pouvait pas ne pas être fait.
Mais il reste toute une partie du chantier qui n’est couverte : la partie « opérationnelle », dans le flux de travail, quand le salarié travaille. Ce qui se passe dans le travail et pas juste au travail. Et là aussi le care a sa place.
Il est dans l’attitude du manager. Il est dans la lutte contre la complication de l’organisation, celle des outils, celle des process, et toutes ces choses qui ajoutent à la charge mentale en diminuant la performance. Les adresser permet de de gagner sur le terrain de l’humain et de la performance et de montrer aux gens qu’on s’intéresse vraiment à eux.
Je vous renverrai une nouvelle fois à cet article vu sur le site de la BBC.
« Mais si ce sont là de beaux atouts, elle estime que ce dont les employés ont réellement besoin, ce sont des mesures qui s’attaquent aux causes profondes de leur besoin d’aide en matière de santé mentale. »
« Nous avons des journées de santé mentale [sortes de jour de repos], mais tout est réactif, pas proactif. Lorsque vous proposez une journée de santé mentale parce que vous voyez que quelqu’un est épuisé, mais que vous n’allégez pas la charge de travail, cela aggrave le stress.«
Il y a deux manières complémentaires d’être dans le care. L’une s’adresse directement à la personne sans impact direct sur son travail (même s’il y a bien sur beaucoup d’impacts positifs par ricochet), l‘autre s’adresse à son travail pour traiter les causes premières auxquelles une personne est confrontée dans l’exercice de son métier.
Lorsque j’ai vu tout ce qui a été mis en place par rapport à la première forme de care suite à la pandémie je me suis bien sûr réjoui de voir que les choses allaient enfin dans le bon sens. Mais cela m’a inquiété. Tout cela n’est pas sans coûts fixes directs et indirects et si rien n’est fait pour mettre en face des gains opérationnels concrets j’avais peur que le retour de bâton soit violent lors de la prochaine crise. Sauf que je n’imaginais pas qu’elle arriverait aussi vite.
Soyons clairs : les politiques de care telles qu’elles ont souvent été mises en place pèsent sur les coûts fixes et parfois de manière durable (les efforts liés aux locaux par exemple) et présentent un avantage indéniable : si elles ont un coût elles ne remettent en cause rien de fondamental et sont un excellent sujet de care-washing communication.
Mais je ne vais surprendre personne en disant que les temps changent et que nous allons vers une période très compliquée d’un point de vue économique qui, pour les entreprises va signifier contrôle strict des coûts et frugalité.
De quoi remettre en cause une partie des politiques de « care » ? Oui, de manière plus ou moins inconsciente. On va demander aux managers de tirer le maximum de leurs ressources voire d’alléger la barque, on va globalement regarder au microscope tout ce qui coûte de l’argent et/ou prend du temps, tout ce qui n’est pas directement productif.
Les managers auront moins de temps, recevront certainement des injonction paradoxales qui les amèneront à moins d’écoute, de compréhension, de bienveillance. Bien sur on le leur demandera pas comme ça et ça n’est même pas une volonté, mais indirectement le résultat sera le même.
On va questionner le bien fondé d’attitudes et d’initiatives. Et là où le care croise la QVT on peut craindre du cost cutting.
Et lorsque les coûts seront associés aux personnes et grèveront les finances ça incitera peut être à se séparer des gens plus rapidement. On regrettera peut être d’avoir trop chargé la barque après le COVID…
Donc en un mot comme en mille, à tort ou à raison, il y aura moins de place pour le care et tout ce qu’on fera à destination des gens devra payer de manière assez directe.
La transformation des activités de service et du travail du savoir
Ca n’est pas forcément le sujet ici mais quand même un peu de manière indirecte.
Quitte à me répéter une énième fois la meilleure manière de montrer qu’on tient à ses salariés et qu’on veut prendre soin d’eux c’est d’arrêter de leur compliquer la vie et de donner l’impression qu’on leur fixe des objectifs et qu’on fait tout pour les empêcher de les atteindre en leur rendant le travail pénible.
C’est montrer qu’on s’occupe des causes au lieu de mettre un pansement sur les conséquences ou installer un spa à côté de la salle de torture pour compenser.
C’est aussi la garantie d’avoir un care productif, à impact.
Conclusion
La question de savoir s’il faut au non faire preuve de care c’est un peu comme la QVT et d’ailleurs les deux se rejoignent voire se mélangent parfois : la question ne devrait même pas se poser.
Par contre dans un contexte économiquement difficile, et ce d’autant plus qu’on a un peu chargé la barque après le COVID les entreprises vont être en demande de care « productif », pas uniquement du temps, de l’attention et parfois de l’attention dépensés pour la beauté du geste.
De l’attention oui mais de l’attention qui paie de manière visible. Et vite.
Image : care de Jo Panuwat D via Shutterstock.