Futur du travail ? Mais futur du travail de qui ? Des gens, des humains bien sûr ! Vous en êtes si sûrs ? Parce qu’à bien y regarder il semble que le travail soit le plus souvent conçu pour des robots et exécuté par des humains.
Bien entendu nous allons regarder cela au travers des tendances qui façonnent le futur du travail en 2022.
La pandémie
A priori elle n’a rien à voir avec le sujet. Mais les entreprises les moins aveugles en ont profité pour apprendre des choses si elles ne les connaissaient pas avant.
Comme on l’a déjà vu, à cette occasion de nombreux dirigeants se sont pour pour la première fois posé cette question : « comment vont les gens » [LIEN CARE].
Aussi surprenant voire choquant que cela puisse paraitre, ça a été l’occasion d’apprendre que les « gens » n’étaient pas robots qui exécutaient des tâches mécaniquement mais des êtres doués d’émotions et que les dites émotions avaient une conséquence majeure sur leur vie et le fonctionnement de l’entreprise.
Mais ça on le savait déjà non ? Oui. Mais là il n’était plus possible d’être dans le déni.
Le télétravail forcé à également plongé nombre des managers dans un grand inconfort car ils ne voyaient plus les gens travailler donc ne pouvaient plus faire leur travail. Ou ce qu’ils pensaient être leur travail.
Cela a été (ou aurait pu être…selon les cas), l’occasion de reconnaitre la spécificité de ce qu’on appelle les travailleurs du savoir, de leurs modes opératoires, de la matière qu’ils manipulent, transforment et de comment ils créent de la valeur. Et donc de se dire une fois pour toutes que les modèles opératoires et managériaux actuels n’étaient pas adaptés.
Là par contre on la plus souvent fermé les yeux en priant pour un retour rapide à la normale, c’est à dire un retour au bureau.
Dans les deux cas cela a été l’occasion de sortir totalement ou partiellement d’une forme de déni. Reste à en tirer les conséquences.
La consumérisation
Quitte à faire un raccourci rapide jamais le slogan « il y a une app pour ça » n’a jamais été aussi vrai. Il y a des app pour tout et notamment pour se simplifier la vie. Inconsciemment nous avons confié à des applications, des algorithmes, des robots, un grand nombre de tâches laborieuses et souvent administratives de nos vies personnelles.
Pour quelles raisons ? Afin de se libérer du temps pour faire ce qui distingue l’humain de la machine : vivre, être créatifs, se consacrer à nos passions.
Le parallèle logique au bureau serait d’utiliser, entre autres, la technologie dans une logique de simplification du travail afin que les gens fassent ce qui les rend uniques et ce qui leur permet de créer un maximum de valeur. Qu’ils se concentrent sur des tâches où leur créativité et leur capacité à résoudre des problèmes n’est pas mise à mal par la lourdeur de tâches périphériques et sans valeur.
La technologie
Son rôle est ici clé au regard des perspectives qu’elle offre.
J’ai pour habitude de dire que « on a conçu des jobs pour des robots mais comme il n’y avait pas de robots on les a donnés à des humains« .
Mais cela n’a rien de neuf : il y a plusieurs siècles de cela les usines, pour ne parler que d’elles, étaient pleines d’humains. Puis on les a peu à peu remplacé par des machines mues par des énergies diverses jusqu’à l’arrivée de l’électricité qui a amplifié le phénomène.
Le progrès technique a ensuite permis l’avènement de machines capables de repliquer des gestes que l’on pensait réservés à l’humain.
La même chose été faite dans l’économie des services et, surtout, l’économie du savoir.
1°) On applique un modèle taylorien à des activités qui ne s’y prêtent pas… mais c’est le seul modèle connu. Séquencement, division et spécialisation des tâches.
2°) En l’absence de robots qui seraient idéaux pour remplir ces tâches on les confie à des humains.
3°) Nous sommes en 2022, les robots sont en partie là mais on peine à en tirer les conséquences à grande échelle.
Et quand on parle de robots ici on parle bien sûr d’intelligence artificielle mais pas uniquement : parfois un bon vieux moteur de règles fait parfaitement le travail.
De quel travail parle-t-on ? De toutes ces tâches répétitives et sans valeur ajoutée qui empêchent les gens de vraiment se consacrer à ce qui a de la valeur, ce à quoi en plus ils sont irremplaçables.
Encore une fois c’est un jeu perdant-perdant : le collaborateur passe moins de temps sur des tâches à valeur ajoutée, son entreprise le paie à gâcher son talent et le collaborateur est frustré.
Durant la pandémie une étude Oracle montrait que les salariés faisaient davantage confiance à des robots qu’à leurs managers pour diminuer leur charge mentale. Beaucoup de gens en ont fait une lecture trop rapide en se limitant à son titre sans rentrer dans les détails.
Il n’est pas question ici de remplacer le manager par un robot pour prendre soin des gens (quoique parfois…) mais surtout d’utiliser des robots pour les libérer des tâches routinières et sans valeur ajoutée.
Cela fait une dizaine d’année que j’entends les peurs du grand remplacement de l’homme par des robots. Certains y voient un danger, j’y vois davantage une opportunité.
Pour les emplois dont nous parlons le robot remplacera l’humain sur des tâches répétitives, fastidieuses, non qualifiées et c’est une excellente chose car les humains se plaignent de devoir exécuter ses tâches. Encore une fois ces tâches ont été conçues pour des robots et ont les a donné à les humains, autant les rendre à ceux à qui elles appartiennent.
Pour les tâches « à valeur ajoutée » non seulement l’humain aura davantage de temps et d’attention pour elles mais en plus il pourra être aidé par la technologie. Aidé, pas remplacé. L’expérience montre bien que la solution la plus performante n’est pas l’homme ou la machine mais l’homme qui sait utiliser la machine et collaborer avec elle.
Aujourd’hui tout est là ou presque pour donner aux robots la partie du travail qui est fait pour eux, et laisser aux humains ce qui est leur propre. A condition de ne pas penser cette partie du travail comme si elle devait être exécutée également par des machines…
L’évolution de la société et de l’économie
Pas grande chose à dire ici si ce n’est qu’il existe une tendance de fond à la recherche de sens. Un salarié ne voit pas de sens dans une accumulation de tâches sans valeur ajoutée, par contre il en voit dans l’accomplissement de réalisations qui lui demandent de mobiliser tous ses talents et montrer si ce n’est sa singularité au moins ses capacités.
Par ailleurs on ne peut nier que, comparé à la première moitié du XXe siècle, le niveau d’éducation global de la population a largement augmenté. Nous allons voir dans la conclusion que c’est une donnée majeure à prendre en compte.
La transformation des activités de service et du travail du savoir
Cela fait un peu écho à la partie consacrée à la technologie.
Quand je dis qu’on a conçu le travail pour les robots j’entends deux choses :
1°) Le contenu : des taches basiques et répétitives avec une division du travail poussée à l’extrême
2°) Le process : une séquence de tâches strictement définie à suivre dans le bon ordre et sans possibilité de s’en écarter.
Pour toutes les activités qui se prêtent à cela il est urgent de les confier à des robots comme l’industrie a su le faire par le passé.
Pour les autres ils est urgent de sortir du déni et admettre que cela ne fonctionne pas. On fait semblant de vivre dans un monde ou les choses sont noires ou blanches (dans ou hors process) alors que les salariés vivent dans le gris en adaptant les règles au quotidien. On s’en contente tant que cela fonctionne pour mieux le leur reprocher si un jour ils commettent une erreur en prenant une nécessaire liberté vis à vis de la règle.
Il est temps de repenser le relation de l’individu au process et concevoir le travail afin que que le process soit un guide et que l’individu l’enrichisse et l’améliore. Et ce de manière « officielle » afin qu’on en tire les bénéfices à grande échelle.
Conclusion
L’héritage de la manière dont conçoit le travail est de « répliquer la perfection à l’infini ».
Cela part du principe qu’il n’y a qu’une seule bonne manière de faire des choses, qu’elle est immuable, et que celui qui exécute n’est pas capable de l’imaginer, à l’inverse de celui qui conçoit et organise le travail.
Pertinent en 2022 ? Je vous laisse juges.
L’économie a évolué. Mais on continue à appliquer des règles valables dans le monde industriel au monde ses services et de la connaissance.
On est également encore dans un modèle où il y a des sachants qui prescrivent et organisent les choses et des exécutants qui n’en ont pas les capacités. Le niveau d’éducation des salariés a longtemps été une limite à leur autonomie, enfin jusqu’au milieu ou aux 2/3 du siècle dernier. Aujourd’hui le soit disant exécutant a parfois des choses à apprendre et des idées à donner à celui qui organise son travail.
La boucle de rétroaction qui a permis à l’industrie de sans cesse s’améliorer en partant du terrain n’est pas limitée à ce type d’activité.
Je suis convaincu que le futur du travail réside davantage dans la manière dont on le conçoit et l’organise que dans ce qui est périphérique à l’activité de production. Dans cette perspective admettre que :
1°) Tout ce qui est aisément réplicable et sans valeur ajoutée doit être confié à des robots
2°) Un être humain ne recherche pas la simplicité mais réaliser des choses ambitieuses, complexes, où il montrera sa singularité.
3°) Un humain devient moins performant au fil du temps dans la routine
4°) Un être humain éprouve une sorte de sensibilité par rapport à son travail : la manière dont ce dernier lui permet de s’exprimer ou non influe sur la manière dont il se sent perçu, valorisé, sur sa motivation, sa satisfaction son engagement.
5°) La séparation entre sachants et exécutants est de moins en moins pertinente
6°) Ce qui distingue l’humain de la machine est la créativité et l’adaptabilité.
Partant de là il est urgent de revoir la manière dont on conçoit et organise le travail dès lors qu’on le confie à des humains.
Image : humains vs machines de pathdoc via Shutterstock.