S’il est un domaine dans lequel la réflexion sur le futur du travail rejoint des réflexions plus sociétales c’est bien celui du temps de travail.
S’il semble acquis que la journée de travail de 9h à 18h au bureau sera de moins en moins la norme il n’existe pas encore de modèle alternatif qui semble s’imposer de manière évidente. Et, d’ailleurs, devrait il y en avoir un ?
Un sujet que nous allons observer, comme d’habitude, au regard des forces qui façonnent le futur du travail en 2022.
La pandémie
Pour beaucoup la pandémie a voulu dire télétravail forcé à grande échelle. Et quand on explore ainsi de nouveaux modes de travail on finit par découvrir les finesses et mieux en exploiter les spécificités.
Certains ont donc découvert à cette occasion que travail à distance pouvait signifier travail asynchrone : puisqu’on n’est plus au même endroit que les autres, qu’on est moins tenus par les horaires de bureau, autant travailler au rythme qui nous convient le mieux.
Certains commençaient ainsi leurs journées plus tôt pour lever le pied dans l’après midi pour, d’autres plus nocturnes préféraient travailler plus trad le soir mais s’acheter un peu de temps libre dans la matinée. Tant que le travail était fait et qu’on était joignable autant reprendre la main sur son organisation.
Ca c’est pour l’organisation de la journée. Mais pourquoi ne pas aller plus loin ?
Si tout le monde n’a pas adhéré au télétravail imposé et à grande échelle de la même manière, certains ont apprécié la flexibilité qu’il leur apportait et se sont dit qu’il n’y aurait pas de retour à la normale pour eux. Et que tant qu’à choisir leur lieu et leurs heures de travail, pourquoi ne pas aller un pas plus loin et également choisir leurs jours ? Pourquoi ne pas faire rentrer 5 jours de travail dans 4 et s’acheter ainsi du temps libre ?
Un rêve ? Et bien non, dans la mesure ou cette envie est entrée en collision avec d’autres réflexions et aspirations et pourrait bien déboucher sur quelque chose.
La consumérisation
Sans grand impact ici sauf à considérer que le collaborateur qui se considère de plus en plus comme un client de son entreprise entend reprendre sur l’organisation de son travail, de sa vie, et décider de la place que prendra le travail dans cette dernière.
Et ça n’est pas si faux.
La technologie
Elle est à la base de tout car au départ c’est elle qui rend possible le travail à distance et ouvre la porte à de nouvelles formes de flexibilité.
Si elle rend pleins de choses nouvelles possibles elle peut aussi constituer, selon la manière dont en s’en sert, un garde fou voire un frein à ces nouvelles flexibilités. Pendant la pandémie on a ainsi vu exploser la demande de solutions visant à surveiller les salariés à distance : quand on a un problème de confiance on croit toujours le régler par du contrôle.
On a également vu qu’entre utiliser la technologie pour comprendre comment travaillent les gens et améliorer les choses et s’en servir pour instaurer des indicateurs de productivité plus que questionnables, la frontière est très fine.
La technologie permet d’explorer de nouvelles formes d’organisation du travail dans la mesure où elle permet la distance et suggère l’asynchronicité. Ensuite de la manière dont on s’en servira dépendra qu’on aille plus loin dans la flexibilité et l’autonomie du collaborateur en mettant les garde fous nécessaires ou, au contraire, qu’on bascule dans un système d’hypersurveillance qui sera utilisé pour sanctuariser les modèles passés.
L’évolution de la société et de l’économie
La réduction du temps de travail est un sujet aussi vieux que le monde du travail lui-même et cela pour plusieurs raisons.
D’abord les évolutions technologiques qui permettent de faire plus en moins de temps.
Ensuite une tendance sociétale profonde qui veut que le temps ainsi gagné profite aux loisirs. C’est d’ailleurs en augmentant les vacances et en réduisant le temps de travail hebdomadaire que s’est développée toute l’économie des services et des loisirs qui pèse si lourd aujourd’hui. Cela s’inscrit également dans le contexte plus large de l’équilibre entre travail et vie privée qui constitue une forte demande.
Enfin la réduction du temps de travail a souvent été vue comme une manière de partager le travail afin de faire baisser le chômage. C’est moins vrai dans une économie de quasi plein emploi comme ce que nous connaissons aujourd’hui mais on ne sait pas de quoi demain est fait.
Il n’en demeure pas moins qu’une vraie réflexion sur la semaine de quatre jours existe dans nombre d’entreprises car cela correspond en partie à une aspiration des collaborateurs qui veulent davantage de temps pour eux qu’à une stratégie de marque employeur dans un contexte de grande démission et de renversement du rapport de force entre entreprises et salariés.
Par contre il y a une nouveauté dans le cadre de cette réflexion : dans la plupart des cas il ne s’agit pas de réduire le temps de travail hebdomadaire mais de l’organiser différemment. Travailler un peu plus chaque jour pour avoir une journée de libre de plus dans la semaine.
Peut on s’attendre à ce que cela devienne la norme ? Le sujet est beaucoup trop vaste et complexe pour avoir une opinion tranchée.
Déjà parce que cela demande de vraiment repenser l’organisation du travail à grande échelle. Est-ce que l’entreprise sera fermée un jour par semaine ? Est-ce qu’il faudra faire en sorte que tout le monde ne prenne pas le même jour afin de pouvoir maintenir un fonctionnement ?
Est-ce que cela concernera tous les métiers ou juste ceux qui ne sont pas au contact avec le client ?
Est-ce que c’est durable ? Travailler un peu plus chaque jour pour avoir une journée de repos de plus est forcément séduisant. Mais on a aucun recul sur l’impact à long terme et on ne sait pas si au bout de 6 mois ou un an à ce régime les salariés ne vont pas vouloir lisser davantage leur charge de travail., considérant que finalement travailler 5 jours en 4 à long terme est plus épuisant qu’attendu.
La transformation des activités de service et du travail du savoir
On n’est pas à proprement parler dans la transformation des activités mais plutôt du contexte de leur exercice.
La nature même de ce type d’activité les rend extrêmement adaptées à une approche plus flexible de l’organisation du travail et ils en sont les premiers demandeurs.
Mais l’enjeu n’est il pas, si un tel changement doit se produire, qu’il vaille pour tous ?
Conclusion
La réflexion sur le futur du travail ne fera pas l’économie d’une réflexion sur le temps de travail. Mais de là à penser que l’on va vers une réduction durable de la durée de travail il y a un pas que je ne franchirai pas, ne serait-ce que parce qu’à un moment donné se posera la question de la difficulté de maintenir les revenus.
On va par contre vers plus de flexibilité : l’idée n’est pas de travailler moins mais de travailler autrement pour combiner maintien du salaire et meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée.
De tels dispositifs sont très faciles à mettre en place de manière ponctuelle pour certaines personnes mais les généraliser va poser des questions profondes d’organisation du travail pour lesquelles il ne semble pas exister de réponse claire et définitive aujourd’hui.
Et rien ne dit qu’il en existe. Il faudra certainement voir au cas par cas, pour chaque entreprise, pour chaque métier.
En attendant si futur du travail signifie davantage de temps libre, cela ne voudra certainement pas dire travailler moins. On est davantage dans une logique de flexibilité que de réduction du temps de travail.
Image : semaine de 4 jours de ELUTAS via shutterstock