Qui s’occupe du futur du travail ?

Si le sujet du futur du travail est une réflexion en tâche de fond qui existe dans toutes les entreprises, la question qui se pose est de savoir qui s’en occupe ou, plutôt, qui devrait s’en occuper.

Le futur du travail, un sujet RH par nature

Le futur du travail est bien sûr un sujet RH et c’est dans cette sphère qu’on y réfléchit le plus. Quoi de plus logique après tout.

Il y a pleins de sujet où j’aimerais voir les RH mettre leur nez mais où ils ne vont pas : parfois par manque de ressources, d’envie, de légitimité qu’ils ne s’accordent pas ou qu’on ne leur accorde pas, d’intérêt ou de compétences. Comma la face opérationnelle de l’expérience employé par exemple.

Pour le coup le futur du travail tombe naturellement dans leur escarcelle et c’est logique. Mais il ne faudrait pas la nature vague du mot travail nous enferme dans des réflexions au périmètre trop limité.

Le travail : un concept fourre tout

Car, au fond, qu’est ce que le travail ?

Selon la personne à qui on pose la question on aura des réponses parfois assez différentes. Certains vous parleront de la dimension RH, certains du rapport entre l’individu et le travail, certain de l’activité de production en elle-même.

Certains ne penseront qu’au travail salarié, alors que mêmes travailleurs non salariés ont un travail.

Voilà pour la partie conceptuelle. Mais il est intéressant de voir ce que les gens répondent quand on leur demande non pas de dire ce qu’est le travail en général mais ce qu’est leur travail en particulier.

Quand on demande « dis moi quel est ton travail » les gens vont parler du nom de leur poste, de leur rôle, de leurs responsabilités et de leurs tâches quotidiennes. Ensuite ils parleront de leur entreprise, de rémunération, avantages, d’opportunités de se former, grandir et mener leur carrière…mais pas toujours. Ils vous parleront de ce qu’ils vivent et font concrètement chaque jour, du particulier (ce qu’ils font) au général (le cadre dans lequel ils le font).

Et si on leur demande « comment cela se passe au travail » on aura une réponse encore différente. Là on parlera davantage de RH, de rapports entre les gens etc et pas du tout de l’activité de la personne.

Et si on leur demande non pas « c’est quoi le travail ?  » mais « c’est quoi travailler ? » ils ne parleront que de la dimension productive.

Donc réduire le futur du travail à la seule dimension RH serait une erreur : cela intéresse bien sur les premiers concernés (ceux qui travaillent) mais il n’y a pas que cela.

Contexte et contenu du travail

Quand on parle du futur du travail on pense surtout à son contexte, le cadre dans lequel il s’effectue et est organisé, on parle peu de son contenu.

Or le futur du travail c’est également ce que les gens font et comment ils le font. La simplification des tâches et des procédures. Les outils utilisés. La manière dont sont gérées les activités, les projets. Et même le management.

Au siècle précédent quand on a commencé à étudier le travail on s’est d’abord, voire trop, préoccupé de ce que les gens faisaient et moins du cadre dans lequel ils le faisaient. Mais c’est ainsi que l’industrie a gagné en efficacité et, souvent, en réduisant en même temps la pénibilité.

Comme j’ai pu le constater à maintes fois, le monde des travailleurs du savoir n’a pas eu cette chance, certainement parce que ce qui n’est pas visible n’existe pas donc on se contente de manager les gens faute d’essayer de comprendre ce qu’ils font et comment.

Je citerai une fois de plus le New-York Times :

« Peter Drucker a fait remarquer qu’au cours du XXe siècle, la productivité des travailleurs manuels dans le secteur manufacturier a été multipliée par cinquante, car nous sommes devenus plus intelligents quant à la meilleure façon de construire des produits. Il a fait valoir que le secteur de la connaissance, en revanche, avait à peine entamé un processus similaire d’auto-examen et d’amélioration, existant à la fin du XXe siècle alors que le secteur manufacturier l’avait fait cent ans plus tôt« .

Je reste intimement convaincu que cette population travaille mal, utilise mal les outils mis à sa disposition, gère mal les flux d’information et sa charge de travail mais pas de son fait, simplement personne ne s’en occupe et que les managers se contentent de gérer les gens plutôt que d’améliorer leur travail.

C’est bien la première fois que les cols blancs sont moins bien traités que les cols bleus d’ailleurs ou, en tout cas, qu’on leur prête moins attention.

Donc le futur du travail c’est aussi une question de contenu du travail et d’organisation de l’activité de production. Une composante essentielle quand on voit à quel point la technologie est partout et souvent mal utilisée et contreproductive, ou l’automatisation est non seulement un sujet d’entreprise mais également un sujet de société et où la lutte contre la complication devrait être une préoccupation majeure.

Laisser les opérations aux opérations : une mauvaise idée

Mais vous allez me dire pourquoi inclure cela dans le futur du travail ? Il y a des gens qui s’en occupent déjà, ils connaissent leur sujet alors laissons les faire.

D’un côté c’est vrai mais surtout dans les métiers « techniques ». Il y a des directions des opérations, des personnes en charge des méthodes, des « process owners ». Mais dans des métiers qui le sont moins il y a beaucoup moins d’importance accordée au sujet qui est souvent survolé ou regardé de manière très macro et superficielle. Et encore une fois, quand les flux de travail et de production n’ont pas de réalité matérielle on laisse les salariés livrés à eux mêmes.

Bref à un moment quelqu’un doit remettre de l’ordre ou au moins fixer une ligne directrice afin que tout le monde aille dans le même sens.

Contexte et contenu du travail vont de pair et doivent être pensés conjointement. Je reviendrai plus largement et avec de nombreux exemples ultérieurement sur le sujet mais quand la manière dont le travail est mal organisé (management, outils, tâches, workflows, flux de communication, gestion de l’information, charge de travail) cela rend les salariés innéficaces, improductifs, frustrés, stressés et accroit leur charge mentale, parfois jusqu’au burnout. Ces lacunes au niveau du contenu ne sont en général jamais corrigées mai compensées au niveau du contexte.

Une des raisons pour lesquelles les RH se focalisent beaucoup sur le contexte du travail c’est également pour compenser tous les effets de bord du contenu. Ils ont la main sur le premier, les responsables des seconds ne les écoutent pas, ils se concentrent sur ce qu’ils peuvent faire.

Je vous renvoie à cet article où je vous explique pourquoi si les salariés font plus confiance à des robots qu’à des humains pour soulager leur charge mentale ça n’est pas parce qu’ils préfèrent confier leurs problèmes à un robot plutôt qu’à un humain mais parce qu’ils attendent du robot qu’il les libère des tâches fastidieuses, en automatise d’autres et facilite leur recherche d’information. Mais on ne compensera pas éternellement un travail pénible, rendu pénible, mal organisé et mal outillé avec des séances de yoga ! Le problème est qu’à ce jour seul le yoga et quelques autres mesures cosmétiques sont dans la boite à outil des RH qui doivent se contenter de soulager la douleur à défaut de pouvoir éradiquer la maladie ou même suggérer de le faire

Le futur du travail : un choix stratégique et parfois sociétal

Et puis ne nous voilons pas la face certains sujets chauds vont au delà de la responsabilité des RH ou des opérationnels.

La semaine de quatre jours ? Selon le secteur l’activité de l’entreprise cela aura un impact tellement important sur le business que ça ne peut être qu’un choix stratégique. Quand LDLC passe à la semaine de 4 jours cela nécessite des recrutements supplémentaires. Une excellente chose en matière d’emploi mais une charge supplémentaire que toutes les entreprise ne peuvent se permettre, qui aura un impact sur son résultat net et sera apprécié de manière inégale pour les actionnaires. Une décision qui ne peut être qu’un choix au niveau de la direction.

J’ajoute, mais ça n’est pas le problème des entreprises qui feront le choix de la semaine de 4 jours, que si cette tendance se généralise cela va poser de gros problèmes d’attractivité aux petites entreprises qui, elles, ne peuvent se permettre ce luxe.

Conclusion : le futur du travail : une responsabilité partagée

La notion même de travail est aussi large que vague donc penser à son futur est un exercice totalement différent en fonction des personnes avec qui on y réfléchit.

Aucune de ces visions ne l’emporte sur l’autre, la vision d’un DRH n’est pas plus ou pas moins importante que celle d’un directeur des opérations ou de qui que ce soit d’autre

Le problème en la matière est que certains ne sentent pas concernés ou qu’on ne les implique pas et qu’au final la réflexion sur le futur du travail est soit un sujet purement RH soit un sujet d’entreprise alimenté à 95% par les RH et où les autres se contentent de s’assurer à la fin du travail que cela ne les impacte et dérange pas trop.

Insuffisant vu ce qui est en jeu.

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Image : Qui ? de Eviart via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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