Le « Quiet Constraint », un sujet RH ? Vraiment ?

Si vous en aviez marre de « La Grande Démission » et êtes encore en train de vous demander que faire du « Quiet Quitting » vous n’êtes pas au bout de vos peines car voici venir votre nouvelle source de maux de tête : le « Quiet Constraint« .

Le Quiet Constraint : nouvel effet pervers du télétravail

Pour commencer : qu’est ce donc que le « Quiet Constraint ? ». C’est le fait pour les salariés de ne pas partager et garder pour eux des informations qui auraient pu être utiles à d’autres personnes.

Et quelle en est la principale cause ? Comme l’explique cet article grâce auquel j’ai découvert le sujet, c’est la conséquence du télétravail ou du travail hybride.

Et bien oui. Les gens ne se voient plus, donc le lien se distend, l’information ne circule plus car on n’a plus envie de la faire circuler.

C’est une question de lien social et d’échange, c’est dû à des nouvelles formes de travail donc c’est un sujet RH et les RH doivent à tout prix lui trouver un remède. Et ce remède c’est notamment de mettre en place des canaux et espaces de communication pour décloisonner l’entreprise.

C’est en tout cas la conclusion de l’article en question.

C’est rassurant : on a le problème et la solution dans le même article.

Ah mais…ce sujet ne vous rappelle rien ?

2022 : la découverte du déficit de collaboration

Il y a donc un déficit de collaboration en entreprise. Je suis soulagé qu’en 2022 des gens aient pris le temps d’y réfléchir et d’identifier le problème.

Parce que c’est de cela qu’on parle. Appelez ça collaboration, collaboration formelle, collaboration informelle, collaboration sociale ou collaboration émergente le fait de ne pas partager l’information n’est pas tant un problème de communication que de collaboration.

La collaboration c’est ce qu’on fait, la communication est un des moyens pour le faire. Parlons donc du vrai problème qui est un problème de collaboration.

Bon c’est également un peu un problème de Knowledge Management également. On ne peut pas dire que les process hérités de l’ère industrielle favorisent la capitalisation et le partage des connaissances dans le travail du savoir comme ils le faisaient dans les activités industrielles. Mais rassurez vous c’est un sujet dont on va reparler prochainement.

Soyons sérieux deux minutes. C’est un sujet que j’ai traité à maintes reprises ici, ce blog n’ayant quasiment traité que de collaboration lors des 5 ou 6 premières années et je pense avoir assez d’expérience pour avoir un avis tranché sur le sujet.

L’absence de collaboration voire, dans les cas extrêmes, la rétention d’information n’ont rien de nouveau et sont un sujet que les entreprises essaient d’adresser depuis… 40 ans ? 50 ans ? Plus ?

L’évolution des modes de travail a-t-elle ajouté au problème ? Certainement. Mais c’était déjà un problème majeur avant donc si je suis surpris que certains ne le découvrent que maintenant. A moins que ça ne soit de l’opportunisme ?

Le télétravail : un faux problème

C’est facile de blâmer le télétravail pour un problème qui lui est largement antérieur.

Par expérience il y a beaucoup d’entreprises qui fonctionnaient à distance, voire totalement pour certaines pionnières, qui n’avaient aucun problème de collaboration et de communication entre les salariés. Peut être même surtout les pionnières du « 100% Remote » qui devaient exceller sur le sujet dès le départ car c’était une question de survie.

Et je peux vous donner une liste d’entreprises aussi importantes que l’annuaire téléphonique qui étaient dysfonctionnelles sur le sujet alors que tout le monde était dans les bureau, partageant les mêmes open spaces etc.

Donc je suis désolé mais les problèmes de communication et de collaboration ne sont pas une question de distance. Leurs causes sont bien connues :

• Culture
• Management
• Process et savoir faire collaboratif
• Pratique du Knowledge Management et personnel Knowledge management.

La collaboration est la résultante non pas de l’envie des uns et des autres, non pas du fait que les gens se croisent à la machine à café mais d’un système de travail, un « work system » comme le disait Jim Benson dans cet excellent article. Dans un registre similaire vous pourrez également lire ce que je disais à l’orée des années 2010 sur la routine sociale, la socialisation de l’entreprise et des process, ou la mobilisation des savoirs tacites au service du business.

Ca n’est même pas une affaire de technologie : la technologie ne sert que si ces présupposés sont réunis. Et honnêtement, quelle entreprise n’a pas la technologie nécessaire aujourd’hui, en 2022?

Mais revenons à ce qui crée les conditions de la collaboration

Qu’est ce qui rend la collaboration possible ?

Je disais donc…

1°) Culture : ça part de la culture d’entreprise mais ça n’est pas tout. Il y a des entreprises qui ont une vraie culture de la collaboration ce qui va bien au delà. Et cette culture ne se diffuse pas à coup de discours et de proclamations mais parce qu’elle fait partie de « la fabrique des process de l’entreprise ». Le travail et les modes opératoires sont conçus pour capter, capitaliser et diffuser l’information à différents niveaux, et selon diverses canaux

2°) Management : c’est la pièce angulaire du système. L’exemplarité du manager, la sécurité psychologique, des modes d’évaluation qui ne mettent pas (trop) les gens en compétition

3°) Process et savoir faire collaboratif : les process de l’entreprise doivent (et c’est donc souvent le résultat d’une culture) être conçus pour capter et diffuser l’information, ou tout au moins la rendre disponible. Et puis il y a un savoir faire collaboratif qui s’acquiert également plus par la pratique que par la formation.

3°) KM et PKM : la gestion de l’information dans le cadre des opérations de l’entreprise est une affaire de knowledge management, lorsque c’est à un niveau individuel, par exemple le non partage d’une veille personnelle, c’est une histoire de Personal Knowledge management qui relève d’une discipline individuelle mais également d’un certain savoir faire qui ne tombe pas du ciel.

RH vs Quiet Constraint ?

Revenons à mon point principal : le Quiet Constraint est il un sujet RH ? Ne vous méprenez pas, je ne veux pas prouver que les RH sont illégitimes, mais plutôt qu’ils ont assez de travail comme ça et que ça n’est pas leur rendre service que de leur balancer un nouveau sujet chaud à la figure.

Si on regarde les composantes du système de travail les RH n’ont entre les mains que le levier culturel. Et encore. S’ils peuvent être à l’initiative de sa diffusion, ce sont les managers et les salariés qui la font vivre. La culture ça n’est en effet pas ce que les RH proclament mais ce que les salariés vivent et il y a souvent un fossé énorme entre les deux.

Après il y a aussi une autre approche aux capacités collaboratives dans l’entreprise. On parle souvent de savoir, vouloir et pouvoir collaborer.

Savoir collaborer ? Certains diront que c’est une affaire de formation, je dirai que c’est à 95% une histoire de pratique. Ce que fait que des gens collaborent n’est pas tant le fait qu’ils l’aient appris mais qu’ils soient plongés dans un environnement où cela se passe. Et puis c’est plus une question d’attitude et de comportement que de « hard skill ».

Vouloir collaborer ? Effectivement peut être que le fait qu’on se voit moins fait qu’on connait moins les gens, qu’on a peut être moins envie de leur donner quelque chose de valeur. Mais le vouloir vient encore du contexte : quand dans une entreprise, dans une équipe, on voit l’information circuler et les gens aider spontanément on se met au diapason, quand bien même on arriverait juste sans connaitre personne.

Pouvoir collaborer ? Là c’est davantage un sujet de management (rendre les choses possibles ou ne pas brider les bonnes initiatives) et d’outillages.

Alors oui les RH ont un rôle à jouer mais il est minime. Autant laisser le sujet à ceux qui le traitent déjà dans l’entreprise et demander ponctuellement de l’aide au RH sur les sujets qui sont les leurs.

Un « canal RH » contre le Quiet Constraint ? Une erreur majeur

Une des préconisation de l’article que j’ai mentionné plus haut est que les RH créent un canal de communication alternatif où les gens se sentiront libres de parler. C’est la pire des choses à faire et le pire c’est qu’on a au moins 20 ans de recul pour le prouver.

Revenons dans les années 2005-2010. C’est le début de l’avénement des réseaux sociaux d’entreprise. Tout le monde veut essayer, personne ne sait ou ne veut faire ce qu’il faut pour que cela fonctionne.

L’histoire qui suit je l’ai vécue dans au moins 10 entreprises différentes.

L’entreprise lance in pilote de Réseau Social d’Entreprise avec une population Réduite. Pas assez large ou ciblé (au choix) pour la direction de l’innovation qui lance un autre pilote avec un autre produit. Mais là encore tout le monde n’est pas concerné donc un grand nombre de BU et de départements lancent une expérimentation plus ou moins sous le radar.

Arrivent en suite les RH, qui, à part pour la population RH, n’ont aucune légitimité à animer des communautés professionnelles basées sur l’expertise et l’opérationnel et se disent « c’est notre rôle de faire parler les gens ensemble ». Quelle légitimité ont les RH pour animer une communauté de commerciaux pour la veille commerciale, d’ingénieurs sur la veille technologique ? Aucune. Pour animer des communautés opérationnelles autour d’un process, d’un champ opérationnel donnée ? Encore moins.

Pour créer une machine à café virtuelle ? Oui. Mais les gens n’ont pas le temps et à force de multiplier les outils ils vont se concentrer sur celui qui a le plus d’utilisé dans leur quotidien. Celui de leur BU ou département. Pas celui des RH.

Non seulement ça ne fonctionne pas mais, en plus, ça crée une compétition entre des initiatives qui au contraire ont pour but de rassembler.

En 2022 le résultat serait le même pour les mêmes raisons, mais en pire. En effet à l’époque les outil étaient à l’état de pilotes, aujourd’hui de Microsoft 365 à Gsuite en passant par une foule de solutions plus ou moins spécialisées ou de niche ils sont installés, ils font partie du quotidien des collaborateurs et il est plus intelligent d’essayer de les utiliser plutôt que d’en ajouter d’autres.

Et puis si vous êtres RH lisez bien l’article. Il parle à qui ? Aux RH. Il donne la parole à qui ? A pleins de gens qui ont des solutions ou des services à vous vendre et à aucun praticien RH ni professionnel qui parle de comment il vit et gère la situation.

Autrement dit il vous dit « on va vous faire croire qu’il y a un problème nouveau, que vous devez y remédier en tant que RH et ça tombe bien on a pleins de choses à vous vendre pour le faire même si ça va poser plus de problèmes que ça ne va en régler ».

Ne tombez pas dans le piège. Le Quiet Constraint est un sujet sérieux mais en aucun cas un sujet nouveau. Des gens y travaillent dans votre entreprise, les outils sont déjà là, travaillez ensemble pour améliorer les choses au lieu de vous prendre pour le chevalier blanc et partir seul pour un échec certain.

Conclusion

Le Quiet Constraint est le nouveau produit de la machine marketing à fabriquer du Buzzword pour vendre des produits et des services.

Mais il n’a rien de neuf. Il est connu depuis plus de 30 ans comme l’incapacité des entreprises à collaborer, à faire collaborer leurs collaborateurs de manière formelle ou informelle.

Des gens s’en occupent. La technologie est là. Et malgré tout les progrès sont laborieux.

Que les RH ne s’imaginent pas régler le problème seul, ils n’en ont pas les moyen. Par contre qu’ils collaborent avec ceux qui depuis longtemps essaient d’améliorer les choses, leur aide sera la bienvenue.

Image : Quiet Constraint de pathdoc via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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