Aimer son travail ? Qu’est ce que cela veut dire ?

Pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs, Grande Démission, engagement au plus bas, les entreprises sont préoccupées par le fait non seulement d’attirer de nouveaux collaborateurs mais également de conserver ceux qu’elles ont.

A cela une réponse simple (simpliste?) : il faut leur faire aimer leur travail !

Aimer ou être aimable ?

Remarquez le subtil pivot de langage qui nous fait passer d’engagement à amour. Effectivement on peut discuter le fait que ça n’est pas exactement un remplacement, que l’amour est la cause et l’engagement la conséquence mais je crois plutôt à l’hypothèse d’un habile branding. « Love », niveau marketing, ça sonne quand même mieux.

Et en plus ça ne change rien au problème principal qui reste exactement le même.

J’ai toujours été interloqué par les managers ou dirigeants qui exhortaient leurs salariés à être engagés. Comme si c’était leur faute. Le déficit d’engagement des collaborateurs n’était pas, à mon avis, un signe annonceur de ce qu’on appelle aujourd’hui le Quiet Quitting, un acte volontaire, mais plutôt la conséquence du fait que l’entreprise n’était pas engageante.

Inversion de la responsabilité.

Il en va de même avec l’amour. Les salariés ne veulent ils pas aimer leur travail ou l’entreprise ne sait-elle pas se rendre aimable ?

Pour moi c’est la seconde option et je vous conseille d’ailleurs la lecture de Tout le monde veut aimer son travail de Marylène Delbourg-Delphis.

Personne ne se lève le matin en se disant « je vais détester ma boite », « je vais saboter le travail », « je vais me mettre en retrait » ou « je vais mettre une mauvaise ambiance ». C’est une réaction, souvent inconsciente, à une situation vécue, pas un acte délibéré.

Un travail que les gens aiment

Je relisais l’autre jour cet article de la Harvard Business Review sur le concept de « Love+Work ». Même si je n’aime jamais les termes excessifs et pour moi « love » l’est un peu dans ce contexte il pose les bases du sujet.

Ce sont les personnes qui comptent. Les employés, plutôt que les clients ou les actionnaires, sont les parties prenantes les plus importantes de votre organisation. Une taille unique pour chacun. Chacun de ces employés est une personne unique avec des goûts, des intérêts et des compétences distincts. C’est dans la confiance que nous grandissons. Pour que les employés découvrent leurs amours au travail et y contribuent, les dirigeants doivent explicitement faire de la confiance le fondement de toutes les pratiques et politiques.

Bon encore une fois le terme « amour » me dérange un peu et il enfonce quelques portes ouvertes mais je retrouve un thème qui m’est cher : celui de la personnalisation, de l’individualisation. Il dit « one size fits one » et ça me rappelle que, par analogie à ce qu’on dit souvent à propos du client, chaque employé est devenu un « market of one », un marché d’une personne. Et dans son célèbre discours de Marseille, Antoine Riboud ne parlait il pas de l’importance de la personnalisation ?

Et c’est peut être ce qui justifie le terme « amour » : celui ou celle qui plait à l’un ne plaira pas à l’autre. C’est très personnel comme sujet. Et c’est tout le challenge en entreprise : un job qui plait ça n’est pas un job qui plait à tous mais à celui qui le fait ou dont aimerait qu’il le fasse.

Comment faire pour adapter un job, le rendre « aimable » par celui qui l’occupe ? Et quand plusieurs personnes occupent la même fonction faut il que si chacun fait finalement le même métier, chacun ait tout de même un job sur mesure ?

Je vous rassure, pour l’auteur si un job contient 20% de choses qu’aime un individu la partie est gagnée. Mais c’est à mon avis déjà beaucoup et pour mesurer ces 20% il faut se demander ce que les gens prennent en compte, quel périmètre, pour dire qu’ils aiment leur travail ou pas.

Comme je le disais il y a peu, le mot travail a différentes acceptions, sens et périmètres selon la manière dont on pose la question.

Ca m’empêche pas justement d’avoir une approche structurée.

Une personne qui aime son travail aime indifféremment

• L’entreprise qui l’emploie

• Le contexte de travail

• Les gens qui l’entourent

• Le travail qu’elle fait

Une entreprise aimable

Commençons par la première étape l’entreprise. Qu’est ce qui fait qu’on aime une entreprise ou pas ? Les raisons sont nombreuse et diverses, l’enteprise ne peut parfois rien y changer et, pire, parfois on ne l’aime pas pour les raisons pour lesquelles elle aimerait qu’on l’aime.

  • Sa réputation : je ne resterai peut être pas longtemps mais ça fait une belle ligne sur mon CV et ça satisfait mon ego de dire que j’y travaille
  • Ses produits : qui ne voudrait pas travailler pour une entreprise dont on est fan des produits (tech, luxe) ou qui œuvre dans un secteur qui nous plait (voyage, luxe etc).
  • Sa politique sociale et environnementale : pour certains c’est un critère majeur, pour d’autres peu importe tant que d’autres facteurs, dont la paie est là.

Et puis une dernière précision sur le sens des mots : le fait d’être aimable ne se juste pas à ce qu’on fait mais à l’impact que ça a sur les autres.

Un contexte de travail appréciable

Là on va parler de sujets qui ne touchent pas au travail lui-même, l’activité de production, mais l’entourent et lui sont indirectement liés. Pour reprendre une phrase l’illustrant bien « mon job m’ennuie, mon manager est nul mais la paie est bonne et à terme j’ai des possibilités d’évolution sympas, je dois être patient« .

La politique RH : possibilités d’évolutions, formation, paie. Oui la paie. C’est un sujet dont personne n’aime parler mais c’est aujourd’hui le critère numéro 1 des salariés en termes d’expérience employé.

La possibilité de faire du télétravail. Et en 2022 à 2 jours par semaine vous n’êtes pas différenciants.

Des bureaux agréables et fonctionnels. Et bien placés.

Tous les petits avantages divers qui, additionnés, finissent par compter.

Une entreprise pas trop envahissante. C’est dans l’ADN de certaines entreprises de vouloir tellement « avaler » la vie de leur salariés qu’à la fin ils n’ont plus de vie ou d’amis en dehors. Et d’autres s’y mettent car les nouvelles formes de travail à distance ou hybrides en poussent de nouvelles à faire de même. Les salariés recherchent un équilibre et une vie hors de leur travail et la pression implicite à socialiser est mal vécue par beaucoup/

Un environnement digital (hardware, software, digital workplace) simple à utiliser, efficace, qui plait (surtout pour le hardware…). Possibilité de choisir son matériel voire BYOD.

Des gens aimables

Qu’on soit plus ou moins introverti ou solitaire, on travaille avec des gens, on croise des gens. Et quoi qu’on en dise ils ont leur importance. On dit souvent qu’on rejoint une entreprise et qu’on quitte un manager et c’est loin d’être faux. Des études ont également prouvé que plus une personne à un réseau développé dans une entreprise moins elle a envie de la quitter (pourvu que ces liens ne soient pas « forcés », cf mon point sur les entreprises envahissantes).

J’utilise l’expression « gens aimables » en référence au sujet de cet article mais en fait chacun recherche des choses différentes. Certains aiment les atmosphères familiales, d’autres les endroits où les rapports sont plus énergiques, voire un peu tendus. Certains ont besoin d’amis au travail, d’autres se contentent d’avoir de bons rapports car leur vie est ailleurs et ils veulent maintenir un équilibre et une séparation stricte.

Par contre tous se rejoignent sur un point : pas de gens toxiques au travail. Collègues ou managers. Au fait…cela vaut pour les clients également.

Un travail qu’on aime

Là on rentre dans le vif du sujet, le travail en tant que tel. Qu’est-ce qu’un travail qu’on aime, dans le sens productif du terme ?

  • Un travail qui plait. Certaines personnes ne veulent pas passer manager, si vous rêvez d’être développeur vous n’aimerez peut être pas ne faire que des tests, certains signent pour faire un métier de services et finissent à faire exclusivement du commercial.
  • Ce que j’appellerai des process « People Centric ». Des process qui aident et supportent plus qu’ils n’entravent, qui sont un service et pas un poids, dont le sens est compris, qui sont un moyen et pas un objectif, sur lesquels on peut avoir un impact si besoin.
  • Un travail où l’on peut utiliser et développer les compétences auxquelles on accorde le plus d’importance.
  • Un travail où l’on apprend en travaillant.
  • Un travail dont on est fier. Fier de le faire, fier de ce que cela produit, fier d’en parler autour de soi.
  • Un travail peu routinier.
  • Un travail qui a du sens. Je ne suis pas fan de cette expression qu’on utilise un peu trop à mon avis aujourd’hui pour masquer d’autres problèmes ou comme une prophétie qu’on espère autoréalisatrice permettant de mal payer les gens mais si une personne fait un métier qui contribue à produire des choses qu’elle aime ou qui a un impact dans un domaine qui lui tient à cœur ça a de l’importance.

Bref un travail qui plait sans sa finalité, son contenu et son organisation. Un travail qui n’est pas une finalité mais un moyen.

Conclusion : chacun n’aime pas son travail de la même manière

Devant une œuvre d’art j’ai toujours du mal de dire « c’est beau » ou « c’est horrible ». Je préfère dire que j’aime ou que je n’aime pas car tout est question de gouts personnels. Ce qui plait aux uns ne plait pas aux autres et ça n’est pas l’œuvre qui est en cause mais la manière dont chacun la voit en fonction de ses gouts.

Ici c’est pareil. Certains vont s’attacher à quelques uns des points que j’ai mentionné, d’autre beaucoup, sinon à tous.

Chacun ne va pas les prioriser de la même manière ni même les pondérer de la même manière.

Il n’est pas possible et pas même souhaitable de plaire à tous, alors que peut faire l’entreprise face à ce problème ?

Recruter des gens qui vont aimer ce qu’elle propose ou devenir celle qui plaira à ceux qu’elle veut attirer. Chacun son approche.

Par contre la bonne nouvelle est que l' »amour » dont on parle ici est beaucoup plus rationnel que lorsqu’on utilise ce terme entre être humains. Il est composé de pleins de facteurs qui même si chacun les considère différemment n’en sont pas moins tangibles ou « verbalisables ». Autant de choses sur quoi s’appuyer pour avancer.

Et puis comme on dit qu' »il n’y a pas d’amour mais des preuves d’amour », n’oublions pas que l’enjeu est d’agir sur des variables concrètes, pas juste d’attendre que des salariés aient un coup de foudre miraculeux.

Image : j’aime mon travail de one photo via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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