Mettre les gens au centre : bien plus que du « care »

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Depuis que je travaille il n’y a pas eu une époque où je n’ai entendu dire qu’il fallait mettre les gens au centre. Et vu que le sujet existait déjà avant existe encore aujourd’hui il semble qu’on n’y soit pas encore vraiment arrivé.

Les gens au centre c’est quoi ?

Quand j’entends les discours derrière ces exhortations ils se classent en deux catégories.

Tout d’abord les logiques de « care ». Les gens sont notre actif le plus important donc il faut en prendre soin. Cela vaut aussi pour des gens qui disent la même chose simplement parce que ce sont des gens qui pensent indépendamment de toute logique de valeur, ce que j’ai déjà entendu appeler la tendance Bisounours.

Et puis il y a des logiques de performance. C’est la capacité des gens à innover, à prendre des décisions, à résoudre des problèmes, à être créatifs qui permettra à l’entreprise de s’en sortir et puisque le monde a changé, que le « cerveau d’œuvre » devient plus important que la main d’œuvre, on doit se reconstruire opérationnellement autour d’eux.

Le care fonctionne mais ça n’est pas ce que les gens attendent

Globalement les logiques de care ont fonctionné pour peu que les entreprises aient voulu suivre ce chemin.

Pour que cela fonctionne il fallait que trois conditions soient réunies

La première était que soit l’entreprise ait la culture nécessaire soit qu’elle soit le dos au mur. Ou un bon mélange des deux.

Pour celles dont c’était compatible avec la culture l’impulsion est partie vite, pour les autres entre le COVID, le confinement et la peur du Quiet Quitting elles ont trouvé le motif impérieux pour forcer leur nature.

Ensuite il fallait avoir les moyens. L’avantage du care est que si, idéalement, il demande des moyens, il peut également se faire de manière assez économique en travaillant les comportements

Enfin, et cette raison là n’est que rarement évoquée, il fallait que ça ne change rien dans le fonctionnement quotidien. On ne touche pas à l’organisation, au rôle du manager (ou très peu ou de manière légère car in fine les RH feront le travail des managers qui ne le font pas), aux process… on ne remet donc rien en cause de fondamental et la vie continue.

Cela a été mis en place et cela fonctionne jusqu’à un certain point, celui où les salariés se rendent compte que cela sert surtout à ne pas s’attaquer à ce qu’ils considèrent comme leurs vrais problèmes.

« La direction pense que ce que les gens veulent, c’est avoir un forum pour craquer ou parler, mais c’est une conception rétrograde. Les gens ne veulent pas vraiment s’ouvrir à leurs collègues, et s’ils le faisaient, ils ne le feraient probablement pas dans un atelier d’entreprise. »

Simplement, les employés peuvent ne pas vouloir opter pour les programmes de bien-être de l’entreprise parce que ces ressources ne sont pas tout à fait le bon type d’aide. « Est-ce que je veux des cours de méditation ? Oui. Mais font-ils bouger le curseur sur les choses qui comptent, qui vont réellement changer la façon dont un employé se sent ? Non, » »

Et ce qui compte pour eux c’est leurs conditions de travail, la manière dont le travail est organisé, leur paye (désormais le critère numéro 1 de l’expérience employé) et je ne parle même pas de ceux pour qui avoir les gens au centre des préoccupations (c’est à dire en parler beaucoup en agissant peu) est déjà largement suffisant.

Ce qui nous amène au second point.

Mettre l’organisation au service des talents ? Compliqué.

L’autre option est de reconstruire l’organisation autour des gens et de l’intelligence collective et comme je le disais plus haut c’est chaque jour davantage plus nécessaire car cela correspond au contexte dans lequel les entreprises opèrent aujourd’hui.

Cela peut se matérialiser de diverses manières (liste non exhaustive)

• L’open innovation

• Les People Centric Operations même si comme je le disais ici cela reste à l’état d’une recherche encore inaboutie.

• La mise en place d’organisations duales mêlant hiérarchie et réseau.

Je vais m’attarder sur ce point car c’est celui sur lequel on a le plus de recul. S’il n’est pas les seul à s’être penché sur le sujet et être arrivé à des conclusions similaires, John Kotter a clairement formalisé l’intérêt pour une entreprise d’opérer selon un double modèle organisationnel.

La hiérarchie, une structure formelle, pour donner de la structure, de l’efficacité et de la stabilité pour ce qui est prévu voire planifié.

Des réseaux informels pour donner de l’agilité et de la réactivité, faire face à l’imprévu et réagir à ce qu’on ne peut prévoir.

Ca c’est pour la théorie. Je vous parlais en 2009 de la manière dont CISCO s’était transformé autour de réseaux et communautés d’experts.

Dans la vidéo, aujourd’hui disparue mais j’en ai retrouvé une similaire et de toute manière le texte de mes commentaires est resté, John Chambers, le CEO de Cisco ne disait pas autre chose :

• l’entreprise doit être capable de traiter plus de transitions de marché (choisir entre créer, racheter, construire et dire comment) et plus vite. L’objectif était d’être capable de traiter 26 de ces priorités stratégiques par an contre 1 au départ.

• pour cela l’organisation hiérarchique ne fonctionnait plus et il s’est reposé sur des boards et des councils, communautés virtuelles d’experts créées de manière adhoc et opérant hors hiérarchie avec les piliers que sont la collaboration et l’intelligence collective.

• pour que cela fonctionne il a du changer lui même son mode de leadership (il admet être un addict du contrôle mais a compris que l’avenir de l’entreprise était ailleurs), imposer aux managers de passer une partie de leur temps dans des activités transverses et dû se séparer de dirigeants qui ne rentraient pas dans le modèle.

C’est un bon exemple d’organisation qui remet les gens au centre : l’organisation et le fonctionnement de certaines activités sont construites autour de réseaux qui se forment et disparaissent au gré des besoins et une fois que ces communautés ont permis à la direction de prendre une décision et la partie formelle et hiérarchique de l’entreprise se charge de l’exécution.

Beaucoup d’entreprises ont été tentées par ce modèle et ce type de transformation a été l’essentiel de mo, travail pendant une dizaine d’années. Pour quel résultat ? J’ai entendu dire que moins de 1% y sont arrivées et je pense que c’est une donnée crédible.

Pourquoi ? Je reviendrai un autre jour sur les limites de ce qu’on appelle « technology-led transformation » (la transformation menée par la technologie) mais une des réponses est assez évidente et est un miroir des raisons pour lesquelles le care a pris le dessus : on touche aux structures, aux process, aux modes de leadership et cela jusqu’au plus haut de l’entreprise.

Non seulement c’est très compliqué, reconnaissons le. Mais, ensuite, tout le monde n’en a simplement pas la volonté et ceux qui doivent l’imposer n’ont pas le courage d’aller au bout des choses.

Mettre les gens au centre c’est en gros :

  • Donner de l’autonomie
  • Laisser les gens prendre des décisions et compter dans les grands choix de l’entreprise
  • Laisser les gens avoir un impact sur les modes d’organisation et sur l’organisation de leur travail
  • Dans une certaine mesure mettre l’entreprise au service des talents

Le tout bien sûr dans un système construit, managé, organisé, mesuré et pas dans une joyeuse cacophonie.

Mais pour cela encore faudrait-il également faire confiance. Mais c’est amusant de voir qu’on fait du care parce que les gens sont l’actif le plus important de l’entreprise mais qu’on ne fait pas assez confiance à cet actif pour le mettre au centre du business, des opérations, des décisions.

Mais on parle d’intelligence collective et finalement peu d’entreprises font le pari de l’intelligence contre celui de l’illusion du contrôle.

Conclusion

Il y a deux manières de mettre les gens au centre de l’entreprise.

D’abord en prenant soin d’eux, dans une logique de care, ensuite en les mettant au centre du business, des décisions, de la construction des modes de travail, des opérations dans une logique de performance.

La première fonctionne mais déçoit au fil du temps, la seconde a toujours été très compliquée à mettre en place car contrairement à la première elle remet beaucoup de choses encore.

Raison pour laquelle on continue à parler du sujet car il n’est vraiment jamais résolu ?

Images : people centric de batjaket via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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