De quelles données avons nous besoin pour comprendre comment les gens travaillent ?

Dans un billet précédent je discutais de la nécessité de donner une forme quantifiée , tangible aux flux de travail afin de comprendre ce que les gens font vraiment, préalable indispensable si on veut les aider à travailler mieux.

Chose impossible il y a encore quelques années nous avons aujourd’hui de nombreuses données et mécanismes pour comprendre ce qui se passe et ce qui ne va pas et beaucoup d’outils les fournissent au collaborateur lui-même, à son manager, aux RH…

Mais aucun n’étant parfait ou exhaustif c’est l’occasion de faire un point sur les besoins.

Que voulons nous mesurer ?

L’idée comme je l’ai dit est de mesurer les flux de travail, ou dit autrement les flux et stocks d’information afin de comprendre comme le travail est fait et les éventuels points de friction. J’insiste sur le fait de mesurer le travail, pas de mesurer les gens.

Je tiens à le préciser car il est facile et dangereux de basculer de l’un vers l’autre. Untel ne répond pas vite à ses emails, n’assiste pas à toutes les réunions ou à trop, nous avons donc un problème avec Untel. Conclusion trop facile et trop rapide. Et pourtant Microsoft n’avait pas été loin de faire rentrer le loup dans la bergerie.

Car le plus souvent le problème n’est pas Untel mais la manière dont on travaille collectivement. Untel est un symptôme, pas le problème. N’oublions pas qu’en entreprise 94% des problèmes viennent du système, pas des individus.

A quel niveau mesurer

Au niveau individuel ou collectif ? Vu ma remarque précédente vous comprendrez que cette question prend tout son sens.

Malgré tout je dirai les deux : au niveau macro pour comprendre le système, au niveau individuel pour identifier les endroits où il fait dysfonctionner l’organisation.

Et puis parce que des chiffres génériques peuvent n’avoir aucun sens. Un salarié reçoit en moyenne 50 emails par jour. Soit. Mais la réalité est que certains en reçoivent 20 et d’autres 150 et cela qui nous intéresse. Et pour comprendre pourquoi il faut savoir qui.

A qui fournir les données ?

Au salarié lui-même pour commencer. Mais à deux conditions : qu’il comprenne ce qu’elles veulent dire, comment s’en servir pour améliorer les choses à son niveau, qui contacter pour se faire aider et qui y a accès.

En effet quand on voit la tonne de choses qu’on peut avoir sur l’activité d’une personne, elle peut légitiment se demander quelle interprétation en ferait son manager.

C’est justement pour cette raison que je pense que dans le premier temps le manager ne doit avoir que les données agrégées de son équipe (x mails par jour, x heures de réunion au global etc). Cela lui permettra (ou non) d’identifier des points de vigilance globaux sans sui donner les moyens de stigmatiser certaines personnes et se tromper de problème.

Ensuite lorsqu’il sera formé et aura plus de maturité on pourra lui donner une vue plus fine mais j’ai du mal à leur faire spontanément confiance sur le sujet ou, plutôt, de faire confiance au système qui les pousse à ne regarder la performance que sous l’angle de la personne.

Enfin la totalité des données doit être accessibles aux personnes chargées de piloter le chantier d’amélioration.

De quelles données avons nous besoin.

Ici je serai mi-pratique mi théorique.

Pratique parce qu’il y a des choses évidentes, existantes et qui ne prêtent pas à discussion.

Théorique car je vais supposer que tout le monde utilise les outils à sa disposition et les utilise bien. Je vais supposer aussi qu’on a accès aux données secondaires d’un grand nombre d’applications. Et nous savons que dans la plupart ces cas ces deux hypothèses sont fausses.

Les flux entrants

Nombre d’emails reçus, nombre de pièces jointes ou de documents partagés.

Nombre d’emails dont on est destinataire unique, dont on est un destinataire principal, dont en est en copie.

Nombre d’invitations reçues.

Nombre de réunions « spontanées » (on est contacté en visio ou audio sans qu’une réunion n’ait été planifiée).

Nombre de messages (chat) reçus. Individuels ou collectifs.

Nombres de tâches assignées à la personne. Par elle ou par d’autres. Dans les différentes outils utilisés pour cela dans. l’entreprise

Traitement des flux

Nombre d’emails lus, répondus (et donc ceux qui ne sont pas lus ou sont lus sans donner lieu à une action).

Nombre de tâches accomplies (et donc restantes)

Nombre de documents reçus lus et/ou édités. (et donc ceux qui ne sont pas traités).

Participation dans le réseau social de l’entreprise : messages postés, lus, commentés.

Flux sortants

La même chose que les flux entrants mais lorsque la personne est à l’émetteur.

Carte des flux

Rien de plus que du network discovery mais il s’agit de découvrir les flux de travail dans l’entreprise, quels sont les circuit préférentiels et habituels, les circuits « exceptionnels » (quand la personne a un problème?) si ce sont des échanges individuels ou de masse (beaucoup de monde en copie ou de participants à une discussion etc.)

Le résultat

Deux voies sont à explorer.

La première concerne la performance il nul besoin de vous expliquer que l’objectif est de détecter tous les endroits où l’organisation ne travaille pas de manière fluide. Que quelque reste coincé à un endroit est une chose mais encore faudra-t-il comprendre pourquoi. Décisions lentes ? Manque d’information pour avancer ? Charge trop importante pour une personne ou une équipe ? Tendance de certains à passer la patate chaude ? Réunionite aigüe ? Manque de personnel ?

Aujourd’hui ce sont des choses que l’on perçoit, que l’on rapporte mais qu’on ne sait pas quantifier, objectiver, et surtout qu’on ne traite jamais de manière systémique, seulement au niveau individuel. Donc autant dire qu’on ne traite rien.

Et puisque quand on parle de charge de travail on n’est jamais loin de la charge mentale, c’est également l’occasion d’identifier les personnes soumises à une trop forte pression informationnelle, donc à une trop forte pression implicite tout court.

Conclusion

Le principal problème dans les métiers dit du savoir est qu’on ne voit les problèmes (qualité, respect des délais) que lorsque arrivent et pour cause : on ne sait pas dire ce que font les gens ni comment ils travaillent.

Manquent ils d’information ? Sont ils pénalisés par des décisions trop lentes ? Des personnes surchargées ralentissent elles le collectif ? Les bonnes personnes ont elles la bonne information ? Trop de temps est il perdu en réunions ou à traiter de l’information inutile ? La charge informationnelle et mentale est elle supportable ?

Autant de choses qu’on peut quantifier (ou presque) aujourd’hui mais qu’on ne fait pas vraiment et encore moins pour avoir une réponse systémique aux problème d’organisation du travail.

Image : charge de travail de Jes2u.photo via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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