Comment bien mesurer la performance des salariés sans devenir un bisounours ?

La question de la juste mesure de la performance commence à être une réelle préoccupation pour les entreprises mais si les approches actuelles ont atteint leurs limites trouver des alternatives est tout sauf évident.

Je lisais récemment une étude de Deloitte nommée 2024 Human Capital Trends qui traite, comme son nom l’indique, des grandes tendances en matière de capital humain. Pour une fois je n’en ferai pas une revue exhaustive : 144 pages c’est trop long pour être utilement résumé en un seul article et je préfère prendre certains sujets un par un dans des articles spécifiques.

Un des chapitres de cette étude est la mesure de la performance, un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Vous verrez dans les lignes qui suivent que si les entreprises peinent à adresser le sujet c’est parfois pour de bonnes raisons et que ce sujet, aussi important qu’il soit, n’est que le symptome d’un mal plus profond.

Les entreprises ne savent plus comment mesurer la performance de leurs collaborateurs

S’il est un point sur lequel tout le monde est à peu près d’accord est que la manière dont on mesure actuellement la performance des gens est loin d’être vraiment pertinente. Toutefois on s’en contente faute de trouver quelque chose de mieux.

C’est donc avec un niveau d’attente assez élevé que je me suis attaqué à la partie de l’étude qui traite du sujet.

Quand je parle de constat partagé, les chiffres sont éloquents : selon l’étude 74% des entreprises sont conscientes qu’il faut trouver de nouvelles manières de mesurer la performance mais 40% seulement font quelque chose en la matière et 8% excellent en la matière ou en tout cas le disent. Un vrai sujet, donc, mais peu de réponses.

Pourquoi donc faut il changer la manière dont on mesure la performance ? Parce que les approches et les indicateurs actuels sont hérités d’une époque où l’économie, les modèles de création de valeur et le travail étaient différents.

Dans une économie où l’essentiel de la population travaille à produire des biens tangibles, à l’unité, la mesure de la performance est aisée : on mesure ce qui est produit et l’indicateur clé est la productivité à savoir le rapport entre ce qui est produit et ce que cette production a couté, à savoir le salaire.

Il en va de même pour le management, ou plutôt dans cette hypothèse le personnel d’encadrement : leur performance est mesurée en fonction de leur capacité à augmenter la performance des autres. De manière simple par une pression accrue ou plus intelligente en améliorant les process de production et, finalement, en remplaçant les individus par des machines et à ce moment on cesse de parler de productivité pour parler de retour sur investissement.

Or on voir bien que cette approche a des limites dans le monde actuel.

En effet tout ce qui est automatisable ayant pratiquement été automatisé (même si l’IA ouvre encore des perspectives nouvelles), la nature du travail a changé et est passée de « répliquer la perfection à l’infini » à « résoudre des problèmes inattendus et nouveaux de manière créative ». Autrement dit, au lieu de suivre des règles et process mécaniquement pour être certain que tout soit bien fait à grande échelle la valeur ajoutée de l’humain est d’intervenir lorsque cela ne va pas et trouver des solutions. Et même lorsque tout va bien on va lui demander de sans cesse améliorer les choses.

Et cela vaut également pour des métiers dits « en bas de l’échelle ». On ne demande plus seulement aux personnes qui les occupent de faire un travail aussi basique mais d' »apporter de la valeur » au client afin d’améliorer son expérience, créer de l’engagement etc.

Et à partir du moment où on attend d’une personne quelque chose d’autre que produire de manière répétitive quelque chose de tangible, comptable, mesurable, il faut être en mesure de mesurer ce quelque chose d’autre voire, encore plus difficile, la valeur de ce quelque chose d’autre. Surtout quand elle ne s’exprime pas directement en argent.

Tout cela n’est pas sans me rappeler les multiples débats qu’on a pu avoir sur le télétravail. Interrogé à l’époque à de multiples reprises sur le thème « mais comment êtes vous sûr que les gens travaillent effectivement« . Quand je répondais « et bien à ce qui est produit et aux résultats atteints » je m’amusais des moues dubitatives qui me faisaient fasse, preuve de quoi contrôler les résultats voire les moyens et la manière au lieu de contrôler la personne est un paradigme vers lequel beaucoup ont du mal d’aller.

Comme quoi on peut aimer le contrôle laisser les gens en paix.

De manière générale, comme le dit l’étude, il y a un mouvement pour passer de notions telles que le nombre d’heures travaillées, la quantité produite, le revenu par employé à d’autres comme la manière dont le salarié contribue plus globalement à l’organisation.

« Certaines organisations vont au-delà des mesures traditionnelles telles que les revenus et les bénéfices pour examiner comment elles peuvent créer de la valeur partagée – des résultats qui profitent aux travailleurs individuels, aux équipes et aux groupes, à l’organisation et à la société dans son ensemble.« 

C’est ce qui appelé dans l’étude la « durabilité humaine ».

Juste…mais vague.

Mais avant d’aller plus loin je tiens à signaler qu’il n’y a absolument rien de nouveau là dedans même si d’aucuns trouveront une telle approche révolutionnaire. Deloitte a juste redécouvert le « double projet économique et social » introduit par Danone et son président d’alors Antoine Riboud. Et si 50 après le célèbre discours de Marseille rien ne semble avoir changé c’est peut être que ça n’est pas si simple et qu’il y a des causes profondes à cet immobilisme.

La productivité est elle dépassée ?

Un des nombreux sujet abordés par l’étude est celui de la productivité qui serait un concept dépassé. Et à ce point j’imagine déjà les sourires sur les visages de nombreux rêveurs qui ont fait de l’anti-productivisme leur cheval de bataille.

Là où je les rejoins et rejoins l’étude c’est que les moyens utilisés jusqu’ici montrent leur limite, en tout cas pour certains métiers.

Quand la valeur ou la quantité produite ne sont plus une fonction linéaire du temps passé les métriques traditionnelles deviennent obsolètes. Enfin en partie.

On est dans le monde de l’entreprise et il est normal de comparer les résultats obtenus en fonction des moyens engagés. Cela s’appelle la rentabilité et se concrétise in fine dans le sacro-saint Ebitda et quiconque me dit qu’on peut se passer de cette mesure doit aimer rouler de nuit les feux éteints et sans jauge de carburant ni indicateur de vitesse.

Donc il serait logique de retranscrire cette démarche au niveau de chaque individu ? Et bien c’est ce qu’on a toujours essayé de faire et c’est une énorme erreur car cela revient à utiliser un indicateur financier pour mesurer quelque chose qui n’est pas que financier. Oui un individu crée de la valeur, dont seule une partie est parfois directement monétisée mais il ne la crée pas seul.

Ces dernières années j’ai vécu avec ce fameux Ebitda non comme une obsession mais comme indicateur principal sinon unique. Et ce qui était intéressant était ce que je trouvais lorsque l’Ebitda n’était pas au niveau attendu.

Logiquement cela aurait voulu dire que les gens n’étaient pas assez productif au sens ancien du terme car ne créant pas assez de valeur (ou a minima de revenu) par rapport à leur salaire. Soit.

Mais que penser quand on trouve des gens compétents et hyper motivés qui se donnent totalement à leur travail ?

Il n’y a pas loin à chercher à partir du moment où l’on se rend compte que nul ou presque ne crée de valeur seul. En fait tout le monde le sait mais personne n’accepte d’en tirer les conséquences.

J’ai toujours considéré les individus comme étant une partie d’un sytème fait d’autres individus, de process, d’outils, de managers, voire d’autre choses plus subtiles comme une culture managériale et une culture d’entreprise.

Et à chaque fois j’ai eu la preuve de ce qu’avait en son temps énoncé ce cher M. Deming : 94% des problèmes sont la faute du système. Et donc à chaque fois j’ai réglé le problème en m’attaquant au système et sans viser où m’en prendre aux individus. Outils, process, workflows de décision, organisation, indicateurs de performance inadaptés ou contradictoires…il y une tonne de causes externes aux individus qui font que la performance individuelle n’est pas bonne et donc que cela se retrouve au niveau de l’organisation. Je renvoie ceux que le sujet intéresse à la lecture d’Yves Morieux.

Bien sur, et j’y reviendrais dans un autre billet plus spécifique, je regardais ce que faisait chacun individuellement et chacun a toujours besoin de progresser. Mais pour l’essentiel voir qu’une personne ne performait pas assez m’a la plupart du temps donné l’occasion de changer des choses au niveau du système ce qui, bizarrement, augmentait la performance des individus.

Mais là on s’éloigne de notre sujet de départ.

Pour revenir à mon idée de départ la productivité est une notion financière vitale au niveau de l’entreprise (la rentabilité) ou au sein d’y système qui peut être considéré comme stable : par exemple des machines le long d’une chaine de production. Dans des systèmes complexes et à forte composante humaine elle n’est qu’un indicateur que quelque chose ne va pas quelque part, et rarement au niveau des humains. Ou en tout cas ils n’en sont pas les premiers responsables et je dirai presque les première victimes car il est plus simple de sanctionner les hommes que le système. Et surtout de le changer.

Mais c’est plus globalement la question de la mesure individuelle qui doit être posée à partir du moment où un individu n’est pas responsable à 100% de sa performance ou de sa propre productivité. Par expérience plus de 90% de ce que m’apprennent les indicateurs individuels m’apprennent sont des points d’amélioration de l’organisation et moins de 10% concernent le salarié. Et si la proportion commence à s’inverser c’est que le design de l’organisation et du système est très performant…ce que j’ai rarement eu l’occasion de constater.

Le monde est complexe on le sait, mais les entreprises ont répondu à cette complexité par de complication au lieu de simplicité, ce qui in fine nuit à la performance et à l’expérience individuelle (j’ai toujours constaté que les deux allaient de paire tant qu’on avait pas une vision simpliste de l’expérience employé).

Et, honnêtement, les problèmes de compétence ou de comportement se voient sans aucun indicateur et même là la personne n’y peut rien : c’est votre process de recrutement qui est défecteux ou vos évaluations qui n’évaluent pas la bonne chose pour enclencher les formations adéquates.

Donc la question de la productivité est vitale au niveau globale et perd de sa pertinence au fur et à mesure que son scope se restreint.

Mais par quoi la remplacer ? Je reviendrai un autre jour sur la question des mesures individuelles et systémiques mais puisqu’on s’entête à vouloir mesurer individuellement des gens qui ne sont pas responsables de 100% de leur performance regardons ce que propose l’étude.

Là où je suis d’accord est qu’il faut changer de paradigme et adopter le terme plus large de performance humaine comme dit dans le rapport. Là où je suis mal à l’aise est que cela nous amène à introduire des indicateurs qualitatifs donc subjectifs et qui ne tiendront jamais la route face à la nature apparemment rationnelle d’une approche chiffrée et in fine financière.

L’étude nous donne l’exemple d’Hitachi qui a adopté le bonheur des employés. Vous savez certainement ce que je pense du sujet et à quelle place tient le bonheur au travail dans mon estime quand il s’agit de le lier à la performance : très bas. Non seulement je lui préfère le terme de satisfaction, mais je pense en plus que la notion de bonheur au travail est fausse voire mensongère.

D’autant plus que l’exemple qui nous est proposé part d’une augmentation du bonheur au travail pour le lier à une augmentation des ventes et, surtout du nombre de ventes par heure. Dans cette affaire on oublie la différence entre corrélation et causalité et on oublie l’existence de tout facteur externe qui auraient pu impacter les ventes. Et si tant est que cela soit pertinent on mesure une cause alors que la productivité mesure un résultat, ce qui est radicalement différent. Enfin mesurer l’augmentation des ventes par heure pour montrer l’importance du bonheur au travail c’est…confirmer l’importance de la productivité.

Et à la fin on en revient à la durabilité humaine et au besoin d’avoir un impact positif sur l’individu et l’entreprise….on ne nous dit pas davantage comment mesurer tout cela.

Finalement s’il est aisé de constater que la mesure de la productivité individuelle est sinon dépassée en tout cas imparfaite, on ne voit pas de proposition concrète réellement émerger. Que ce soit ici ou ailleurs d’ailleurs.

Vers une approche de la mesure de la performance de type « Balanced Scorecard »

Revenons sur la manière dont l’étude définit la « durabilité humaine ». La manière dont elle mêle différentes perspectives me rappelle quelque chose d’assez ancien mais toujours efficace : le Balanced Scorecard (BSC).

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la notion disons qu’il s’agit d’un tableau de bord stratégique dont l’objectif est de prendre en compte l’ensemble des dimensions concourant à la performance au-delà des simple mesures financières.

Son intérêt est de partir d’une vision pour la décliner en priorités, actions et objectifs mesurables, ce qui colle assez bien à notre besoin. De plus il ne s’agit pas seulement d’un tableau de bord mais d’une méthodologie qui part de la stratégie pour aller à l’indicateur final ce qui aiderait aussi à fixer des objectifs individuels pertinents.

C’est un outil d’organisation et de suivi stratégique utilisé à un niveau macro mais peut-on le transformer en un outil RH adapté à une équipe et à des individus en le dépoussiérant un peu ?

Voici les grands axes d’un balanced scorecard :

La dimension financière pourrait être l’actuelle mesure de productivité ou en tout cas les objectifs financiers.

La dimension client des choses plus qualitatives mais mesurables de manière objective liées à l’impact sur le client.

La dimension process interne concernerait aussi bien le respect des règles que la capacité à proposer et innover.

Puis la partie apprentissage et croissance concernerait la mesure des progrès et apprentissages faits par le collaborateur soit pas plus d’effort ou de rigueur, soit par le biais de dispositifs de formation ou autoformation.

Ca n’est qu’un travail rapide qui demanderait d’être beaucoup plus poussé mais ça ouvre des perspectives.

Si on creuse un peu voici un exemple de BSC qui, bien sûr ne concerne pas l’évaluation de la performance humaine, mais qui montre clairement qu’il serait facilement adaptable à un usage nouveau.

On remplace vision par titre, objectif par les éléments clés de la fiche de poste, priorités par… une priorisation des missions et les résultats stratégiques par ce qu’on veut constater à la fin de la période d’évaluation.

Le reste du tableau est aisé à comprendre bien qu’il faille bien sûr le transformer dans une perspective RH.

On aurait donc une méthodologie qui permet de partir de la stratégie de l’entreprise et de redescendre jusqu’à la mesure individuelle et qui permet de couvrir différents champs tout en assurant l’alignement entre la mission, les priorités de l’entreprise et les critères de mesure individuel.

Bien sûr à ce stade on peut être tenté de creuser plus loin la question de l’adaptation du Balanced Scorecard à des problématiques RH. Mais je pense que cela serait une perte de temps et d’énergie car cela existe déjà, ou presque.

Les OKR sont ils le futur de la mesure de la performance ?

Les OKR pour (Objective and Key Results) sont une méthodologie qui part également des objectifs de l’entreprise pour les décliner étage par étage dans l’organisation pour arriver à la définition de résultats attendus, clairs et mesurables au niveau de l’individu.

Les deux sont au départ des outils de fixation et déclinaison d’objectifs stratégiques jusqu’au terrain à un détail près qui est que le BSC permet l’alignement de différentes perspectives (ce qui est notre sujet de départ) ce qui n’est pas le cas à priori des OKR.

Ceci dit je ne vois pas ce qui empêche d’inclure ces perspective dans les OKR pourvu qu’elles soient définies au niveau des objectifs. Si un expert en OKR lit cet article je suis curieux d’avoir son avis sur la faisabilité de la chose.

Le BSC donnerait davantage de place à des mesures qualitatives mais là encore je ne vois pas ce qui empêche de les prendre en compte dans les OKR.

Alors que le BSC est une démarche semestrielle ou annuelle, les OKR se mesurent et s’adaptent mensuellement ce qui correspond davantage aux enjeux actuels de mesure de la performance.

Les OKR fonctionnent mieux dans les environnements agiles et le BSC dans des environnements structurés et stables. Mais j’ai des doutes sur la notion de stabilité en 2024 et de mon point de vue une organisation qui n’est pas agile aujourd’hui est une organisation qui n’a pas compris l’intérêt à l’être ou n’arrive pas à le devenir.

Par contre les deux partagent des points communs comme l’alignement avec la stratégie, la cascade des objectifs, favorisent la transparence, sont adaptés à un management par objectif et sont des moteurs d’amélioration continue.

Choisissez l’un ou l’autre ou essayez de les imbriquer mais finalement on ne part pas de zéro et le futur de la mesure de performance me semble déjà être là, pourvu qu’on daigne constater son existence et faire les efforts d’adaptation nécessaires.

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Mais pourquoi se compliquer la vie alors qu’on a une méthode éprouvée qui fonctionne depuis la nuit des temps ? Comme déjà dit, au niveau de l’entreprise on a deux indicateurs vitaux qui se basent sur deux grandeurs : les dépenses et les rentrées. Si on opère une soustraction on sait si on gagne de l’argent, si on les divise on a la rentabilité qui n’est autre que a productivité des dépenses.

C’est aussi simple qu’essentiel et si on peut mesurer d’autres choses choses et de différentes manières en complément, il s’agit du minimum vital. Une entreprise qui perd de l’argent meurt et ça n’est pas plus compliqué que cela. C’est un peu comme le corps humain : il y a pleins de manières pertinentes et complémentaires de mesurer qu’on est en bonne santé mais si l’apport en oxygène n’est plus suffisant pour alimenter les muscles, à commencer par le coeur, votre taux de cholestérol ou votre indice de masse corporelle est le dernier de vos soucis alors que c’est important pour vous maintenir en bonne santé.

Donc on a un indicateur aussi simple voire simpliste que vital et on le cascade partout dans l’organisation. Mais on pourrait, en complément, essayer de mesurer d’autres choses comme le bon sens inciterait à le faire pour rendre compte de la notion de performance de manière exhaustive, non ? Et bien non seulement on le fait mais en fait cela ne sert pas à grand chose.

Chassez le naturel il revient au galop

A part dans des activités très simples et basiques qui sont de plus en plus rare on utilise déjà plusieurs indicateurs quantitatifs et qualitatifs pour mesurer la performance des gens. On peut discuter le fait que certaines évaluations soient biaisées, que ces évaluations ne sont pas toutes vraiment utiles ou utilisées à des fins décisionnelles mais cela existe.

Mais cela n’est pas pris en compte dans les moments les plus cruciaux de la vie de l’entreprise et de la carrière de collaborateur.

Parlant de ROI j’ai coutume de dire que « plus on garde le I faible moins on vous embête avec le R » et « plus le R est élevé moins vous avez à vous battre pour le I« . On est un peu dans le même cas de figure.

Dans une entreprise qui se porte bien on pourra regarder et utiliser une foule d’indicateurs de performance, s’en servir pour faire progresser les individus et l’organisation. On utilisera voire abusera d’indicateurs que je qualifierai de hard (quantitatifs et mesurables) et soft (qualitatifs et partiellement subjectifs).

Par contre quand les choses vont moins bien les gens reviendront à des raisonnements primaires et oublieront les indicateurs soft pour ne regarder que le hard. Logique puisque ce sont les signaux vitaux essentiels mais cela revient à nier de facto le postulat auquel on souscrit volontiers en période favorable selon lequel une personne contribue de plusieurs manières différentes à la performance de l’entreprise, pas seulement au travers de sa propre productivité et parfois d’une manière essentielle au redressement de l’entreprise, à sa cohésion, à sa capacité à se réinventer.

Ajoutons à cela que la somme des performances individuelles ne fait pas la performance collective. Combien d’entreprises vont mal alors que tout le monde fait tout bien ? Parfois le problème est ailleurs.

Une question de priorités et de culture d’entreprise

C’est avant tout une affaire de priorités donc une affaire financière ! Comme je l’ai dit, une fois qu’on a plus d’air pour respirer le reste a peu d’importance. Quand à savoir si c’est le reste qui conditionne la capacité à respirer…

Et c’est là que cela devient une question de culture. Une question de culture « partagée » avant tout : lorsqu’une entreprise va mal, marché et investisseurs s’attendent à ce qu’à un problème financier on apporte une réponse financière. Cela même alors qu’on sait que que parfois l’entreprise a des problèmes parce qu’elle a sous investi ailleurs, parfois financièrement, parfois seulement en termes d’attention et de priorités et que les finances sont le symptôme, pas le problème, et qu‘il est aisé de momentanément réduire les coûts sans jamais régler aucun problème. Et, bizarrement, les conséquences des problèmes finissent par revenir.

On a vu des entreprises rogner les budgets de recherche au détriment du marketing alors que le problème était le produit ou se séparer de collaborateurs sans les remplacer alors qu’elle avait besoin de sang neuf et de penser différemment. Ironiquement ceux qui sont la cause du problème décident de se séparer de ceux qui auraient pu le résoudre…

Et puis il y a des questions de culture d’entreprise. Je me souviens, il y a longtemps, d’avoir appris des gens de Danone comment travaillaient avec SAP pour que la préoccupation environnementale qui devait peser dans les décisions ne pèse pas sur le reporting et les KPIs. Autrement dit l’idée était de contrebalancer l’impact négatif sur les indicateurs de certains choix allant dans le « bon » sens et de ne pas pénaliser de « bonnes » décisions qui n’auraient pas un impact financier optimal au regard des indicateurs classiques. Il en avait résulté la création d’un Green Capex. Je ne sais s’ils ont persévéré dans cette voie mais c’était une excellente idée pour éviter les objectifs contradictoires et totalement en phase avec la culture de l’entreprise…en tout cas à l’ère Riboud.

On peut aussi parler de Boeing dont les déboires récents ne sont pas subitement tombés du ciel mais sont la conséquence d’une foule de petites décisions opérées depuis la fusion avec McDonnell Douglas. Mais le virage est culturel : quand on passe d’une entreprise d’ingénieurs qui a pour credo « work together » à une entreprise de financiers qui remplace ce credo par « more with less » on change les priorités, puis les gens et enfin les comportements. Pour les résultats que l’on sait.

Conclusion : la mesure de la performance n’est pas le vrai sujet

Quant on parle d’évaluation de la performance individuelle le rapport Deloitte dit finalement tout ce qu’il y a à savoir dès les premières phrases : « tout le monde sait qu’il faut changer mais presque personne n’essaie de le faire« .

Les raisons ne sont pas « techniques » : on sait aujourd’hui monter les tableaux de bord multidimensionnels, pour peu qu’on abuse pas des indicateurs et crée des injonctions paradoxales.

Le problème est, sinon culturel, en tout cas dans les têtes. Quel message envoit on si on agit ainsi ou ainsi ? En tant qu’entreprise ou en tant que manager. Alors que (demande des marchés une fois encore) toutes les entreprises essaient d’être « comparables » elles en finissent par agir et penser pareil et faire ce qu’attendent des investisseurs qui pensent à court therme alors qu’elles doivent conjuguer court et long terme.

D’où une mesure de la performance qui favorise l’immédiat au détriment de l’investissement sur la performance future. Et donc les indicateurs qui en découlent.

« Quand la mesure devient un objectif, elle cesse d’être une mesure« . C’est vrai et d’ailleurs ce rapport nous dit justement que ce besoin de mesurer la performance autrement découle de l’émergence de priorités nouvelles. Ce qu’il semble c’est ce qui les entreprises ont conscience de ces priorités et des caractéristiques nouvelles du monde qui nous entoure mais ne mesurent pas nécessairement leur ampleur ou leur urgence ou n’osent pas s’écarter d’une doxa qui les rapproche de leurs concurrents et rassure leurs investisseurs.

Au lieu d’injonctions à mesurer autrement il faudrait peut être en priorité convaincre sur le contexte actuel et futur et ses exigences. Le reste en découlera.

Finalement il en est de la notion de performance comme des indicateurs qui la mesurent : ils ne sont que les symptômes d’autres problèmes qu’on a souvent moins envie de regarder.

Image : performance de Olivier Le Moal via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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