Meta (anciennement Facebook) a annoncé la fin de Workplace, son réseau social d’entreprise lancé en 2016 afin de concurrencer les Microsoft Teams et autres Slack. J’ai vu passer de nombreuses réactions à ce sujet, notamment des regrets par rapport à cette annonce dans la mesure où collaborer n’a jamais été si important et que cela traduisait donc le faible intérêt des entreprises par rapport à se sujet.
Je pense effectivement que la fin de Workplace envoie certains message mais pas forcément celui qu’on croit.
Qu’est ce Workplace ?
Lancé en 2016, Workplace a été la tentative de Facebook de rentrer sur le marché des outils de communication interne d’entreprise et, avant même cela, de conquérir des territoires nouveaux dans l’entreprise en parlant aux fonctions internes et plus seulement au marketing.
J’ai eu la chance d’avoir pu le déployer dans mon entreprise en avance de phase quand Facebook le proposait à quelques early adopters triés sur le volet à l’époque où il s’appelait Facebook at Work et vous pouvez lire mon retour d’expérience de l’époque ici.
Une expérience plus que positive pour peu qu’on utilise l’outil pour ce qu’il sait faire et qu’on essaie pas de le tordre pour le transformer en ce qu’il n’est pas.
Pourquoi META arrête Workplace ?
Le service s’arrêtera donc le 31 aout 2025, le temps pour les clients actuels de changer leur fusil d’épaule et éventuellement migrer leurs données sur une autre plateforme du marché.
La raison principale invoquée est le besoin de META de se concentrer sur le développement de solutions estimées prioritaires pour son avenir telles que l’IA ou le Metavers. On en accepte l’augure même si je ne pense pas que Workplace était une solution gourmande en capital même si elle était dotée de fonctionnalités qui lui étaient propres par rapport au Facebook grand public.
La raison sous-jacente est qu’il s’agissait d’un cheval de Troie pour rentrer sur un marché nouveau, parler à de nouveaux interlocuteurs, trouver sa place sur le poste de travail de chaque collaborateur et in fine aller se battre sur le terrain de Microsoft ou Slack acquis depuis par Salesforce.
Ma lecture est que le produit a rencontré un vrai succès d’estime mais insuffisant au regard des attentes de l’entreprise.
Workplace a en effet séduit un grand nombre d’entreprises et pas uniquement des entreprises moyennes comme on aurait pu le penser au début. Renault, la SNCF, Delta Airlines, Booking.com, Danone, Spotify, Walmart, Nestlé et j’en passe ont en effet adopté le produit.
Mais ce succès ne sera qu’un succès d’estime : très souvent son utilisation était confinée à un service ou une business unit où le produit était rentré sous l’impulsion d’un dirigeant ouvert d’esprit.
Au final on parle de 7 millions d’utilisateurs ce qui, en soit est un bon résultat, mais loin des 280 millions d’utilisateurs de Microsoft Teams, des 18 millions de Slack. Et quand on s’appelle Facebook soit on domine un marché soit on le quitte.
Nul ne sait quel succès aurait rencontré Workplace si Facebook l’avait lancé à l’époque où le marché se façonnait, entre 2005 et 2015 (Teams est arrivé en 2017 mais a bénéficié de la base installée de Microsoft même si le produit a été extrêmement bien pensé). Mais c’était un peu trop tôt par rapport à l’âge de l’entreprise et il faut admettre que les pur players de l’époque ont tous fini par disparaitre comme Jive, BlueKiwi ou Yammer qui a été mourir chez Microsoft et que même Google qui a lancé Google Apps en 2007. Mais le géant de la recherche ne compte « que » 6M d’entreprises clientes (et peu de grands comptes) et n’a vraiment jamais compris comment adresser le sujet de la collaboration sociale.
Faire ce pari a été courageux pour Facebook qui ne s’appelait pas encore META, sur un marché globalement dominé par Microsoft faute de combattants et où même IBM était en train de jeter l’éponge (son portefeuille de logiciels de collaboration principalement issu de son rachat de Lotus a été vendu à HCL Technologies en décembre 2018), il y avait peut être un espace plus grand à conquérir mais l’arrivée de Teams a réglé le marché une fois pour toutes.
Un mauvais signe pour la collaboration ?
L’arrêt de Workplace est-il un signe du désintérêt des entreprises pour la collaboration ? En aucun cas et ce pour trois raisons.
Tout d’abord parce que les entreprises qui n’ont pas choisi Workplace ont choisi autre chose donc l’offre existe et est largement déployée dans les entreprises avec même des niche players qui continuent à coexister avec succès avec les mastodontes comme, en France, des Talkspirit ou des Jamespot qui ont traversé les différentes vagues de consolidation du marché et se portent bien aujourd’hui. Mais leur vocation n’était pas d’être hégémoniques donc leurs objectifs et leur stratégie étaient décidés en fonction.
Ensuite parce que, selon mes critères, Workplace n’était pas un outil de collaboration au sens premier du terme. C’était un outil de communication social, utilise pour mettre de l’information en mouvement, créer des conversations et connecter les gens mais ça n’était pas un outil qui permettait vraiment de s’organiser et faire des choses avec une perspective métier. Bien sûr au fil du temps il s’est ouvert à Microsoft 365 notamment mais ça n’était pas assez et, pour avoir une expérience conséquente dans les outils collaboratifs, je peux vous dire que la pérennité d’un tel outil tient à sa capacité à créer des échanges autour des données des outils métier. Raison pour laquelle je vous disais qu’il fallait prendre Workplace pour ce qu’il était : un outil inégalé pour créer de l’engagement et mettre de l’information en mouvement mais le travail se passait ailleurs.
Enfin parce que les outils ne font pas la collaboration et ne sont que rarement autoporteurs (ce que, pour le coup, Workplace était d’une certaine manière vu que tout le monde savait utiliser Facebook). La collaboration c’est une culture, c’est des manières de faire et ensuite seulement des outils et mon expérience personnelle est que les entreprises qui ont commencé par les outils ont toujours échoué avant de se reprendre.
Ca n’est pas parce que les outils collaboratifs sont partout que les gens s’en servent pour travailler mieux et c’est à mon grand désarroi ce que je ne peux que constater aujourd’hui. La question n’est plus, comme lorsque j’étais dans ce secteur, de convaincre du bien fondé de déployer telle ou telle solution : les outils collaboratifs sont déployés et sont partout. Mais partant de ce principe et les considérant comme une commodité les entreprises ont cessé de se demander comment bien les utiliser et ce que je vois en termes d’usage est purement catastrophique dans un grand nombre de cas sans que plus personne ne s’en émeuve.
Bref ça n’est pas un outil de plus ou de moins sur le marché qui témoigne d’un intérêt plus ou moins fort des entreprises pour la collaboration. Elles savent que c’est important mais ont largement déployé des outils en laissant les collaborateurs en faire n’importe quoi sans mesurer à quel point cela pouvait les pénaliser à terme en termes de performance.
Je reviendrai plus tard sur ce sujet mais il y un an j’expliquais qu’outils collaboratifs et digital workplace nuisaient à la performance des entreprises et je pense que depuis les choses n’ont fait qu’empirer.
La leçon à retenir de la fin de META
La seule leçon a retenir de l’expérience Workplace, si ça n’est que même un outil très familier du grand public il est difficile de se faire une place sur le poste de travail et changer son centre de gravité, relève peut être du choix de ses prestataires.
En effet, si Workplace n’a peut être pas été le succès escompté par ses créateurs, il jouissait d’un fort capital sympathie chez ses utilisateurs ce qui est loin d’être le cas de la plupart des produits du marché. Un produit peut être bien conçu et efficace, il y a toujours quelque chose d’un peu irrationnel (ou pas si irrationnel que ça) dans le fait qu’il soit vraiment aimé de ses utilisateurs.
Et voilà donc les entreprises qui ont fait confiance à META contraintes de changer de crèmerie avec une destination désignée : Workvivo (racheté par Zoom en 2023), seul produit pour lequel un service de migration est proposé.
Une solution assez similaire à Workplace à vue de nez et, surtout, avec un ADN assez similaire. Et si, personnellement, j’ai toujours été réfractaire à Zoom en raison du mépris total affiché par la société au regard des données personnelles, Workvivo bénéficie d’un ADN « européen » sur ce point (c’est une société irlandaise).
Mais pour le client qui a fait confiance à META la pilule peut être difficile à avaler : on fait confiance à un acteur nouveau, on l’aide à établir sa crédibilité parce qu’on y croit et un jour il nous dit « merci pour tout et au revoir ».
Quand une entreprise se lance sur un nouveau secteur et que des clients lui font confiance c’est un pari des deux côtés. Et parfois le pari est gagné d’un côté mais pas de l’autre ce qui fait qu’au final il est perdu ou presque (les clients auront progressé sur leur courbe d’apprentissage) des deux côtés.
Et on prend toujours un risque quand on choisit un fournisseur, aussi bien établi soit il, qui décide de se lancer sur un secteur qui n’est pas le sien. En cas d’échec voire de demi-réussite il ne va pas s’accrocher comme si sa vie en dépendait mais, au contraire, peut décider de retirer du jour au lendemain.
C’est dans ce sens que faire confiance à ce qui n’est ni plus ni moins qu’une régie publicitaire B2B2C pour un besoin B2B purement interne était un pari.
Ca n’est pas propre qu’aux métiers du logiciel : parlez en aux clients d’Orange Bank par exemple.
Ca n’est aucunement une critique mais un constat : quand on fait un pari sur une entreprise qui elle même fait un pari on augmente les risques et je ne doute pas que la pérennité de Workplace ait été évaluée et les choix faits en conséquence de cause.
C’est à mon avis la leçon principale à retenir : choisir un acteur nouveau peut être un pari gagnant, surtout si on est le premier à parier sur celui qui va disrupter un marché. Mais si cette activité n’est pas vitale pour lui et qu’il s’est donné des objectifs élevés il risque de vous abandonner du jour au lendemain. Et plus une entreprise est grosse, plus elle a d’activités, moins en arrêter une est problématique.
Ca n’est pas une critique mais un constat face à des décisions business rationnelles. Il faut juste en être conscient.
Conclusion
La fin de Workplace par META n’est en rien un mauvais signal par rapport à l’importance donné par les entreprises à la collaboration, c’est simplement le signal que META a compris qu’il ne deviendrait jamais un leader et a préféré recentrer ses investissements sur des domaines plus proches de son ADN.
Ce qui ne veut pas dire que malgré l’importance prétendument donné au sujet les entreprises ne font pas n’importe quoi en matière de collaboration mais c’est un autre sujet dont on parlera prochainement.
C’est simplement dommage pour ceux qui aimaient ce produit.
Image : Workplace by Meta de Mojahid Mottakin via Shutterstock.