Il semble désormais acquis que pour un collaborateur des interactions plus fréquentes, plus courtes et moins formelles avec son manager est plus bénéfique de les traditionnels entretiens d’évaluation formels semestriels ou annuels.
Pour autant et pour l’avoir mis en place et pratiqué ça n’est pas toujours la panacée ou, plutôt, cela ne fonctionne pas par magie.
Il faut prendre quelques précautions dans la conception du dispositif et, avant tout, se poser la question du rôle du manager tel qu’on veut le voir exercer dans l’entreprise.
Moins d’entretiens d’évaluation, plus de feedbacks
Je ne vais pas m’étendre sur les limites de l’entretien d’évaluation traditionnel car tout le monde les connait.
Leur formalisme ne permet pas de conversation fructueuse, ils sont parfois unidirectionnels, servent davantage à évaluer qu’à enclencher un démarche de progrès et leur fréquence leur enlève tout intérêt managérial.
Trop espacés pour pouvoir adresser de vraies situations à problème tant qu’il est temps ils sont insatisfaisant à la fois pour le collaborateur et le manager, si tant est que ce dernier s’intéresse à cette composante de son travail, ce qui n’est pas toujours le cas.
C’est toute la limite de cette approche ainsi que des baromètres d’engagement : le collaborateur insatisfait est souvent parti avant d’avoir eu le temps de s’exprimer et s’il est encore là il a eu des mois pour ruminer son mal être. Et quand c’est le collaborateur qui pose problème on attend des fois pour lui donner des axes d’amélioration ou enclencher les formations nécessaires.
De plus on est aveuglés par le contexte récent. On surpondère ce qui s’est passé les dernières semaines par rapport au reste de l’année. Au détriment du collaborateur comme à son bénéfice.
Donc est venue l’idée d’interactions plus courtes et fréquentes, parfois en remplacement des entretiens annuels parfois en complément car il faut aussi prendre en compte les obligations légales qui diffèrent selon les pays.
Je suis tombé récemment sur un article qui valorisait cette pratique et qui m’a inspiré un certain nombre de remarques tirées de ma propre expérience.
Chaque semaine, les membres de l’équipe répondent à quatre questions simples : ce qu’ils ont aimé la semaine dernière, ce qu’ils ont détesté la semaine dernière, leurs priorités pour cette semaine et l’aide dont ils ont besoin de la part de leur chef d’équipe. Il envoie ses réponses à son chef d’équipe, ce qui constitue à la fois une « demande » de réponse et le point de départ d’une conversation. Le membre de l’équipe et le chef d’équipe prennent alors le temps de discuter, et le chef d’équipe pose des questions pour comprendre ce qui a fait la différence la semaine dernière pour le membre de l’équipe (bonne ou mauvaise), pour s’assurer qu’il comprend le raisonnement qui sous-tend les priorités identifiées par le membre de l’équipe, et pour déterminer comment apporter l’aide dont le membre de l’équipe a besoin. Une fois cette étape franchie, ils mettent fin à la conversation s’ils sont pressés, ou abordent d’autres sujets qui leur semblent importants, principalement à la demande du membre de l’équipe.
Une pratique très simple à mettre en place d’autant plus que la technologie joue un grand rôle de facilitation. Cela peut se faire par email, par un formulaire, par un robot qui vient poser les questions dans un tchat et cela permet, effectivement, de donner du rythme et une forme d’intensité à la relation entre le manager et le managé. On peut même parler d’agilité managériale.
Pour autant l’approche n’est pas exempte d’inconvénients dont il faut avoir conscience pour anticiper leur cause. En effet l’idée ici n’est pas de vous dissuader d’aller dans cette direction car je pense que c’est la meilleure, mais de bien préparer le terrain pour éviter des débuts déceptifs qui porteraient un coup à la démarche.
On ne mélange pas les sujets personnels et les sujets business
Je n’avais pas pensé à ce point mais puisque l’article le mentionne il a allumé un signal dans ma tête.
L’auteur parle d’une série de questions où se mêlent, à mon avis, deux sujets : l’opérationnel (comment ça se passe dans tes missions) et le personnel (comment ça va, comment tu te sens). A mon avis les deux se traitent différemment.
Pour ce qui est de l’opérationnel mon expérience est qu’il s’agit de sujets à aborder collectivement car, c’est la définition d’une équipe, on ne travaille jamais seul et les problèmes des uns sont souvent liés à ceux des autres et la résolution doit souvent être collective. Les traiter d’abord individuellement pour ensuite devoir provoquer des réunions pour les adresser collectivement est donc une perte de temps. De plus ne s’agissant pas de problèmes personnels on peut les évoquer devant les autres membres de l’équipe qui, même lorsqu’ils ne sont pas concernés, apprendront souvent quelque chose qui leur servira plus tard.
Donc à mon sens le meilleur moyen de traiter ces sujets c’est lors d’une réunion de début de semaine où en une heure chacun évoque rapidement son bilan de la semaine passée, ses enjeux de la semaine à venir et ses problèmes. Comme ça toute l’équipe est informée de ce qui se passe et les problèmes sont traités individuellement et collectivement.
Pour ce qui est des questions personnelles je pense que par contre elles doivent être abordées individuellement lors d’un point hebdomadaire fixe ou facultatif s’il n’y a rien à dire. Méfiance, toutefois par rapport aux points facultatifs avec certains collaborateurs qui éviteront d’éviter des sujet par fainéantise ou timidité et laisseront couver des situations problématiques sans les évoquer jusqu’à ce qu’on atteigne un point de non retour alors qu’en creusant un peu on aurait pu les identifier lors d’une conversation.
Donc, mais ça n’est que mon expérience, deux systèmes cohabitaient.
Pour les sujets opérationnels un email envoyé le vendredi soir et une réunion collective le lundi matin.
Pour les sujets personnels un point individuel d’une demi heure chaque semaine qui pouvait être abrégé ou prolongé si besoin. Pour préparer ce point les informations peuvent être collectées de manière numérique comme évoqué plus haut mais j’avais abandonné cette option pour les raisons que je vais évoquer plus bas.
A un moment j’ai ajouté un troisième moment de rencontre, facultatif celui-ci. J’avais créé une réunion quotidienne d’un quart d’heure tous les matins, en visioconférence (en raison du télétravail et du fait que les gens étaient aussi dans différentes villes), un peu sur le modèle des stand up meetings des équipes agiles. Chacun était libre de venir ou pas mais avait la certitude que, malgré des agendas chargés, il y avait un créneau où j’étais disponible tous les matins. Certains venaient quand ils avaient un problème, un venait tous les matins pour qu’on papote en prenant le café, certains ne venaient jamais (mais dans ce cas ils ne pouvaient pas dire que je n’étais pas disponible pour les écouter et les aider.
Recevoir des feedbacks c’est bien, les lire c’est mieux, agir est vital
Quand on parle de feedbacks, car c’est en gros de cela qu’il s’agit, il y a trois conditions au succès du dispositif.
Le premier est que la participation.
Pour ce qui est du feedback opérationnel c’est assez simple et vu le sujet il est facile de le rendre obligatoire comme un reporting et personne n’objectera.
Pour ce qui est du feedback personnel c’est plus compliqué. Certains n’en voient pas l’intérêt, d’autres n’ont pas le temps, d’autres pensent que c’est inutile et d’autres préfèrent évoquer ces sujets de vive voix. Et autant vous dire que les trois premiers cas sont intimement liés.
Ca nous amène donc à la seconde condition qui est la prise en compte.
Imaginez le collaborateur qui prend le temps de faire ses feedbacks et se rend compte une fois en réunion qu’ils n’ont pas été lus… il va vite arrêter de participer. Mais ça n’est pas tout.
La troisième condition pour gagner l’adhésion des collaborateurs est l’action.
C’est bien de prendre en compte les feedbacks mais agir en fonction est mieux. Il n’y a rien de plus démotivant pour un collaborateur que de remonter des problèmes, des dysfonctionnements, demander de l’aide et ne rien recevoir en retour.
Tout cela semble évident mais cela va mieux en le disant.
J’en ai eu la démonstration en mettant en place un autre dispositif. Dans une démarche d’amélioration continue nous avions mis en place un formulaire d’alerte pour faire remonter des dysfonctionnements organisationnels identifiés par les collaborateurs de terrain ou, au contraire, des bonnes pratiques ou idées à généraliser.
Au départ le succès a été plus que mitigé et la cause facile à comprendre : les remontées restaient coincées au niveau des managers et rien ne se passait. Donc on a décider de tout faire remonter au niveau de la direction générale, on faisait une revue hebdomadaire et on faisait un retour systématique qui allait de « c’est une situation normale et voici pourquoi » à « nous allons changer des choses et on se revoit dans x semaines pour faire un debrieffing ».
A partir du moment où ils ont vu que les choses bougeaient la participation a explosé, une véritable mine d’or pour nous afin d’améliorer le fonctionnement de l’entreprise, parfois sur des sujets invisibles de la direction mais qui avaient un vrai impact sur le terrain.
Dans cette partie j’ai fait référence à un point essentiel qui est le rôle du manager. Là encore quelque chose qui semble évident mais qui, dans les faits, l’est rarement. Et c’est un problème fondamental dans de nombreuses entreprises avec des conséquences parfois dramatiques.
Parfois il y a des managers qui veulent le titre mais pas le rôle ou parfois ils n’ont juste pas le temps.
Manager c’est un métier, pas un titre
Premier cas : le manager qui voulait le titre mais pas les responsabilités et ceux là sont assez nombreux.
Un des rôles du manager est de…manager. Un manager c’est une personne qui fait en sorte que les choses se passent en réglant, notamment, les problèmes de son équipe et en aidant les individus à progresser individuellement et collectivement. Cela demande, entre autre du temps et de l’écoute mais quand on a pas envie d’écouter ou d’aider il est évident qu’on aura de nombreuses raisons de ne pas trouver le temps.
Les entreprises ont bien sûr leur part de responsabilité en promouvant à des postes de management des personnes sur la seule base de leur performance métier et sans prendre en compte leurs qualités managériale ni leur appétence pour la fonction. Et comme c’est souvent le seul moyen de faire avancer sa carrière le manager accepte à contrecoeur. Dans l’histoire l’entreprise perd un exécutant compétent pour gagner un mauvais manager.
C’est un peu la raison pour laquelle j’avais abandonné la plateforme numérique de collecte de feedbacks personnels que les managers ne lisaient pas pour imposer des points individuels.
Dans un second temps j’ai élaboré un management delivery model qui listait les attentes de l’entreprise à l’égard des managers au service du collaborateur lui-même au service du client. Cela a aidé à les mettre devant leurs responsabilités de manière factuelle, de les évaluer en fonction (et le cas échéant d’en remplacer quelques uns) et de nommer les futurs managers selon les bons critères.
On me manage pas une équipe comme on mène un troupeau
Mais tous les managers ne rentrent pas dans la catégorie précédente : certains sont simplement dans l’incapacité de remplir la composante managériale de leur rôle par manque objectif de temps.
Un manager cumule un certain nombre de rôles :
• Parfois un rôle de production, comme les membres de son équipe
• Un rôle de décision et de coordination
• Un rôle de support à ses équipes
• Un rôle de développement des collaborateurs
• Un rôle d‘écoute, nécessaire à l’accomplissement du précédent.
Sur une semaine tout cela prend du temps, beaucoup de temps. Et ce temps encore faut il l’avoir car je constate deux choses.
La première est la pression de plus en plus forte des entreprises sur la dimension production, surtout dans le secteur des services aux entreprises mais pas uniquement. Quand vous avez un manager à qui on demande qu’il soit facturable 80% ou 90% de son temps comment voulez vous qu’il trouve du temps pour le reste ?
Tout dépend bien sur de la taille de l’équipe mais le résultat est connu : peu de disponibilité, peu d’écoute, partie RH du rôle bâclée, évaluations faites à la va vite etc.
Certains ont tenté de remédier à cela d’instaurer un nouveau rôle avec des « People Partners », « People Managers » ou je ne sais quoi pour prendre en charge la partie RH du rôle, le manager se concentrant sur la partie opérationnelle. Je ne sais pas ce que ça vous inspire, en vous mettant à la place du collaborateur, d’être géré « humainement » avec quelqu’un que vous ne voyez pas au quotidien, que vous connaissez à peine, avec qui vous n’avez pas de réelle relation, qui ne sait rien de votre quotidien, de ce que vous vivez, de comment les choses se passent, voire de votre métier mais personnellement ça ne me dit rien de bon.
Et puis il y a la taille de l’équipe. En théorie il se dit que la taille idéale d’une équipe tourne autour de 7 personnes pour le le manager puisse vraiment faire son travail. Personnellement une fois j’ai hérité d’une équipe en interim en plus de la mienne et on était monté à 15. Autant vous dire qu’à ce stade il n’y avait plus moyen de faire des entretiens hebdomadaires, que le suivi était plus distant, la réactivité également et que la qualité du management dans son ensemble a globalement baissé à mon avis.
Alors quand j’entends parler d’équipes de 20, 30 personnes ou plus je me demande sincèrement quelle peut être la qualité du management et l’attention reçue par les collaborateurs.
Je sais que beaucoup d’entreprises se plaignent de l’investissement de leurs managers et de la qualité du management mais quand elles donnent des équipes pléthoriques à manager, à peine quelques heures par semaine pour le faire voire les deux elles ne récoltent que ce qu’elles sèment.
Après je ne dis pas que les deux biais que je viens d’évoquer ne relèvent pas d’une certaine logique voire d’une certaine rationalité. Je dis simplement qu’il faut être cohérent avec ses objectifs : on peut avoir un manager qui manage ou un manager hautement chargé en tâches productives mais pas les deux. Le corolaire est qu’on a les managers qu’on mérite.
Conclusion
Multiplier les interactions entre managers et collaborateurs, donner du rythme et de l’intensité à la relation managériale est vraiment une chose essentielle mais cela nécessite quelques pré-requis.
Au nombre d’entre eux l’attention et le temps disponible pour le manager afin de faire son travail convenablement.
Force est de reconnaitre que les mêmes entreprises qui insistent pour que leurs managers consacrent plus de temps et plus souvent à leurs collaborateurs font tout d’un autre côté pour que les managers n’aient pas la bande passante ni l’attention nécessaire pour le faire.
Sans cela on peut multiplier les dispositifs digitaux ou non, rien ne fonctionnera.
Le feedback et l’évaluation ne sont pas que des dispositifs, des process et des outils c’est avant tout une culture qui demande de tout penser en cohérence. Quand c’est un gadget plaqué sur une culture inappropriée ça ne produit rarement ses effets en on en déduit que ça ne fonctionne pas alors que les gens n’ont juste pas le temps de le faire fonctionner.
Image : entretien d’évaluation de baranq via Shutterstock.