Qu’on les appelle programmes de changement ou de transformation (c’est juste une question d’ampleur), les programmes visant à adapter l’entreprise à son environnement pullulent mais sont loin de systématiquement atteindre leurs objectifs. Peut être parce que la manière dont on les envisage de correspond plus aux challenges auxquels les entreprises font face.
Les écueils des programmes de transformation
Avant tout et il n’y a pas besoin de s’étendre sur ce point qui fait consensus, qu’on parle de transformation et de changement on parle de mots qui font peur.
Ils font peur parce qu’on aime le confort d’une situation connue (et même, paradoxalement, si elle est inconfortable) et que changer demande un effort et comporte une part d’inconnu.
Ces programmes échouent également de par leur incapacité à mobiliser. On ne change pas contre les gens mais avec eux. Or le plus souvent on voit les collaborateurs comme les sujets du changement alors qu’ils doivent en être les acteurs et l’existence d’agents de changement identifiés sur lesquels on peut s’appuyer, si elle est utile, n’est pas suffisante.
Ces programmes échouent car ils sont supposés régler un certain nombre de problèmes mais pas ceux des collaborateurs, ou en tout cas sont perçus comme tels. D’où d’ailleurs leur difficulté à mobiliser.
Ces programmes échouent enfin de par leur temporalité. Ils visent le plus souvent à faire face à une situation existante qui aura évolué le jour où ils parviendront à leur terme, s’ils ne sont pas abandonnés en cours de route. Le problème ici c’est qu’on a une entreprise à deux vitesses : des salariés de terrain à qui on demande réactivité, adaptabilité et agilité et un management qui avance au rythme des réunions de ses différentes instances. Des gens qui pensent, décident, agissent et réagissent en trimestres imposent cette temporalité à des gens qui doivent penser et s’adapter au jour le jour. Ils sont donc incapables de répondre à leurs questions, résoudre leurs problèmes et les accompagner dans le rythme qui est le leur. Le management n’avance pas à la vitesse du business et c’est un problème (et pas que pour transformer).
La nécessité d’une approche d’amélioration continue
Cela fait un certain temps que je suis mal à l’aise avec les mots transformation et changement. Pour les rasions invoquées plus haut bien sûr mais aussi parce que ce sont des mots qui induisent l’idée qu’on est dans une situation transitoire entre un état de départ et un état d’arrivée.
La vérité est que dans un monde qui va de plus en plus vite, une fois le point d’arrivée atteint et même si par chance le changement mis en place correspond encore à la réalité, un nouveau projet de changement va être mis en place sur un sujet ou un autre. D’où l’impression de la part des collaborateurs que ça ne finit jamais et à la fin un sentiment d’insécurité et d’épuisement.
Dans cette histoire tout le monde à raison. L’entreprise qui doit continuellement s’adapter et le collaborateur qui a l’impression que ça ne s’arrête jamais. Mais peut être est-ce juste un problème de formulation.
A une époque j’ai eu à reprendre en main une équipe que je qualifierai de dysfonctionnelle. Pas humainement mais organisationnellement. Il fallait quasiment tout jeter à la poubelle et reconstruire. Je n’aime pas mentir aux gens mais je n’étais pas convaincu que vu ce qu’ils venaient de traverser ce serait un discours très mobilisateur, bien au contraire.
En plus j’avais besoin d’eux pour mener les choses à bien. Ce qui impliquait de faire exister ce programme de changement dans leurs têtes et dans leur emploi du temps à côté de la charge de travail déjà lourde de leur métier.
J’ai alors réfléchi à ce qui rendrait les choses acceptables.
La première chose était qu’ils comprennent bien que l’objectif était de les aider dans leur travail. Qu’on allait changer les choses pour eux et qu’ils en seraient les premiers bénéficiaires.
La seconde était qu’il faudrait des résultats rapides pour les convaincre que ça n’était pas des mots en l’air.
J’ai donc décidé de laisser les mots changement et transformation dans le tiroir pour parler d’amélioration continue et ce pour différentes raisons.
• Amélioration suggère qu’ils ont des bénéfices à en attendre, pour eux.
• Continue fait clairement entendre que c’est une démarche permanente. Pas de début ni de fin mais quelque chose de permanent, de plus doux, de lissé.
• Amélioration continue suggère une logique de petites améliorations incrémentales et surtout pas d’un big bang au bout d’un long tunnel.
J’en attendais un autre bénéfice : faire rentrer tous les sujets dans un seul programme, faire de l’amélioration une démarche permanente ancrée dans les têtes, quelque chose qui ferait partie de la culture et de l’ADN de l’équipe.
Voici donc a posteriori ce que j’identifie comme les principes fondateur d’une démarche d’amélioration continue réussie.
Sourcer les sujets au sein de l’équipe
Bien sûr je savais ce que je voulais faire en priorité mais je n’avais pas la prétention d’imaginer que j’étais le seul, d’autant plus que si dysfonctionnements il y avait ils étaient les premiers à y être confrontés.
Donc au lieu d’arriver avec ma liste je leur ai demandé ce qui les empêchait de travailler aussi bien qu’ils l’aimeraient. Bizarrement ou pas on est arrivés à la même chose et ils sont même remonté des choses qui étaient passées sous mon radar.
Une fois de plus j’ai eu la confirmation d’une chose : il est plus simple de faire changer les gens quand ils savent que ça résout leurs problèmes et qu’on les associe à l’élaboration de la solution. Tout le travail est fait en amont et ensuite ça se passe tout seul. Ou presque.
Première victoire : ils avaient compris que démarche était construite pour les aider.
Adopter une approche agile
L’idée d’améliorations incrémentales était au cœur de l’approche et rien ne s’y prête mieux que l’agilité que j’ai employé de manière « non intégriste », autrement dit en en gardant les principes mais sans vouloir être plus royaliste que le roi.
Un réunion d’une heure avec toute l’équipe tous les 15 jours où on remonte les axes d’amélioration. Il était important de séparer les sujets: il y avait les réunions où l’on parlait du quotidien de leur métier et des éventuels problèmes qu’on essayait de régler. Dans celle là on prenait de la hauteur pour attaquer les causes premières : pourquoi quelque chose s’était mal passé ? Approche plus systémique qui permet d’éviter que les mêmes problèmes se reproduisent.
J’ai toujours eu la conviction que quand les choses n’allaient pas le coupable était plus souvent le système que l’individu et Deming ne nous dit pas autre chose : 96% des problèmes ont une cause systémique et pas humaine. Et cela a été confirmé : quasiment tous les problèmes que l’on aurait pu imputer à une personne avaient en fait été en quelque sorte provoqués par un process mal pensé, un manque de formation ou d’information, un outil défecteux, le manque de directives claires dans une circonstance donnée etc.
Ensuite on découpait les solutions qu’on devait apporter en micro taches qui finissaient dans un board JIRA. On les priorisait et les repartissait en fonction des compétences de chacun et on avait 2 semaines, jusqu’à la prochaine réunion pour faire le travail. Et très rapidement on a vu des choses changer concrètement, progressivement mais sûrement.
2e victoire : ils étaient convaincus du bien fondé de la démarche, soulevaient de plus en plus de sujets et étaient moteurs dans la mise en place des initiatives.
3e victoire : la démarche existait dans leur tête, une partie de leur temps et de leur attention y était dédiée car ils voyaient ce qu’ils avaient à y gagner. Elle ne prenait pas du temps sur leur travail car elle leur permettait de travailler mieux et réduire le nombre de problèmes qu’ils avaient à gérer.
Casser les silos
Quand vous pilotez une équipe qui a un rôle central dans une entreprise vous êtes rapidement confronté à la question des silos.
Parfois la cause des problèmes est ailleurs, dans une autre équipe, une autre BU. Parfois elle est chez vous et les décisions que vous prendrez auront un impact chez les autres, ce qui est inévitablement source de tensions.
J’ai donc invité tous les patrons des autres BU à se joindre à cette réunion. Chose qu’ils ont fait avec plaisir car ça permettait d’entendre leur voix, parfois arbitrer en se disant que la solution appliquée chez nous créerai plus de problèmes ailleurs (donc on savait tous pourquoi on irait pas aussi loin que prévu), et que le plus souvent cela permettait de régler leurs propres problèmes. Au départ c’était un exercice de transparence pour faciliter les choses, c’est devenu un exercice de collaboration transverse fructueux.
Il n’y a pas d’opposition de principe entre différents métiers dans une entreprise…à condition qu’on fasse en sorte que les gens se parlent.
4e victoire : j’ai créé de la transversalité et donné une voix à des gens qui avaient l’impression que personne ne s’intéressait à leurs problèmes.
Etre bienveillant
La bienveillance est un concept tellement galvaudé que j’évite de l’utiliser mais là je n’ai pas d’autres mots.
Quand une personne identifie un problème c’est, le plus souvent, parce qu’elle s’est retrouvée en difficulté, et ce qu’elle craint le plus est qu’on l’en rende responsable. Personne n’a envie d’être à la fois victime d’un problème organisationnel et de la colère d’un manager qui ne regardera pas plus loin que le bout de son nez en disant « si tu as eu un problème c’est que tu as mal fait les choses ».
Le « blâmer le système, pas les individus » a été salvateur. Au fil du temps les réticences se sont estompées et chacun osait ouvertement parler de situations qu’il n’aurait peut être pas partagé avant afin qu’on en trouve les causes premières.
Il y a même eu des effets de bords inattendus. Dans les réunions où on parlait vraiment du quotidien et de l’opérationnel les gens n’avaient plus peur de dire « là c’est moi qui me suis planté » parce qu’ils savaient qu’on était pas là pour leur taper dessus mais trouver des solutions (à condition que la leçon soit apprise).
Cela peut sembler évident mais arriver à ce que les gens disent « là un truc pas normal s’est produit et je n’y suis pour rien mais là tout est de ma faute » est quelque chose de très rare dans le monde de l’entreprise.
Ajoutez une touche d’humour dans l’animation, dédramatisez les choses et vous avez une ambiance sereine pour travailler et une équipe capable de faire face à tout dans le calme, sans stress ni peur. Ca n’est pas parce qu’on fait des choses sérieuses qu’il faut tout dramatiser.
5e victoire : confiance réinstaurée et renforcée au sein de l’équipe.
Conclusion
J’ai l’impression d’avoir écrit un long post plein de banalités mais le fait est que les choses les plus évidentes et le bon sens ne sont pas ce qu’on trouve le plus souvent en entreprise.
Ecouter, observer, mobiliser les gens, s’occuper de leurs problèmes et les résoudre, gagner la confiance par les résultats et l’attitude, est ce que n’est juste pas le travail d’un manager ?
J’aurais pu aller de manière plus verticale, sans eux voire contre eux. Les actions à entreprendre auraient été quasiment les mêmes mais est-ce que j’en aurais accompli plus de 10% ? Et puis j’avais besoin d’eux : d’un point de vue technique et métier ils étaient tous infiniment plus compétents que moi mais on ne me demandait pas de faire leur travail, juste de créer le contexte pour qu’eux le fasse le mieux possible. Une nuance que beaucoup de managers oublient. Manager c’est animer, libérer le potentiel de votre équipe et rendre les choses possibles.
A la fin j’avais une équipe que je pouvais quasiment laisser en pilotage automatique pour me consacrer à la dimension humaine du management. Et un peu la fierté d’avoir créé quelque chose de rare : une réunion à laquelle tout le monde veut participer et être invité, que parfois ils auraient aimé voir durer davantage et dont ils attendaient la prochaine occurence avec impatience.
Bref le changement ça n’est pas compliqué quand on garde en tête à quoi il doit servir : aider les gens à réussir.
Image : Conduite du changement de EtiAmmos via Shutterstock