IA en entreprise : aller au delà de l’augmentation pour enfin transformer

L’IA générative a été le grand sujet de 2024 et risque de le rester pour un temps. Pour autant les entreprises qui entreprennent de la déployer en interne ont une approche trop superficielle qui les empêche d’en tirer le plein potentiel.

Les entreprises ne sont pas passées à côté du train de l’IA et font feu de tout bois pour apprivoiser cette technologie dont elles attendent beaucoup. Les cas d’usage sont identifiés par milliers et des pilotes sont lancés par centaines de milliers sans que pour autant elles soient pleinement satisfaites des résultats.

Dirigeants ou salariés pas prêts ou pas confiants ? Peut être, cela ressort de nombreuses études. Problèmes de gouvernance ? Cela ressort également comme étant un problème majeur et d’ailleurs l’absence de gouvernance aide parfois à avoir des résultats plus rapidement au risque de commettre de grosses erreurs.

D’ailleurs on ne parle pas trop de problèmes d’adoption mais plutôt de problèmes de valeur créée.

Adoption massive ne signifie pas valeur

Ca n’est pas parce qu’une technologie est massivement adoptée par les utilisateurs qu’elle crée de la valeur ou en crée assez. Les outils de collaboration en sont le meilleur exemple (Outils collaboratifs en entreprise : de la confiture aux cochons ?) : tout le monde les utilise mais tellement mal qu’on perd en efficacité tout en augmentant la charme mentale.

Peu de risque de ce côté avec l’IA générative dont il est difficile d’imaginer que son mauvaise usage individuel ait un effet sur le collectif mais encore faut il qu’elle soit bien utilisée (de manière maitrisée et avancée) et pour les bonnes choses (là où la valeur créée ou les coûts diminuées sont les plus importants)

Le piège des outils dits d’augmentation

L’IA générative est présentée comme un outil d’augmentation dans la mesure où sa promesse est d’augmenter les capacités du collaborateur plutôt que le remplacer.

L’augmentation du salarié doit donc lui permettre de faire les choses plus vite et/ou mieux et c’est donc au niveau individuel que l’on va mesurer les choses, le temps gagné étant l’indicateur le plus facile à mesurer.

A priori cela semble logique mais c’est méconnaitre la réalité du travail : on ne travaille que rarement seul et même quand c’est le cas on est le plus souvent un maillon d’une chaine qui permet d’atteindre un résultat final.

Qu’une personne gagne du temps dans la chaine est à coup sûr une bonne chose mais :

1°) Si elle est la seule il reste un potentiel de gain énorme qui n’est pas réalisé. Au lieu de gagner 1h sur la chaine on pourrait en gagner peut être 2, 3 ou 10 fois plus.

3°) Si le reste de la chaine ne calque pas son rythme sur les personnes qui enregistrent un gain de productivité on ne gagnera rien à la fin, surtout si un goulot d’étranglement demeure en fin de chaine. Prenons un exemple simple quitte à être caricatural : si un document passe entre les mains de plusieurs personnes, que l’une fait sa partie du travail plus vite mais que la suivante n’est pas à ce moment disponible pour prendre la suite le gain est de zéro. Encore plus caricatural si une personne ou une équipe termine un livrable en 3 jour au lieu d’une d’une semaine mais qu’on garde le rythme d’une séance de validation finale hebdomadaire le livrable final ne sera toujours validé qu’au bout d’une semaine et, pire, les personnes concernées se tourneront peut être les pouces pendant deux jours en attendant validation et nouvelles instructions.

Pour dire les choses autrement avoir une approche individuelle est un bon début mais on trouvera les plus gros gains avec une approche a minima plus collective.

Le besoin d’une approche globale de bout en bout

Lorsqu’on parle d’améliorer la productivité des travailleurs du savoir (car c’est bien de cela qu’il s’agit) il y a trois niveau.

1°) L’individu

2°) Le collectif (lorsque des individus travaillent ensemble de manière synchrone ou bon).

3°) Le process : la chaine qui amène au « produit » fini, peu importe sa nature, qui est la raison d’être de tout le reste. Rien de ce qui est produit et se passe en amont n’a de valeur en dehors de sa contribution à ce livrable. Si celui-ci n’est pas livré et validé comme conforme aux attentes plus vite et/ou avec une qualité supérieure tous les gains enregistrés le long de la chaine sont inutiles.

Ce qui m’inquiète est :

1°) qu’on mesure le temps gagné par une personne sur une tache et pas le temps gagné sur un process global).

2°) Qu’on ne priorise pas les cas d’usages en fonction du potentiel de gain sur un process donné mais seulement en fonction du type de tâche à un niveau individuel. (AI Success Depends on Tackling “Process Debt”)

Il s’agit de :

1°) Partir de ce qui doit être produit

2°) Comprendre comment cela est produit

3°) Repenser la manière dont on va le faire à l’aune de ce que permet la technologie

4°) Repenser les acteurs impliqués : a-t-on besoin d’autant de personnes, de compétences nouvelles, faut il externaliser tout ou partie des tâches à des partenaires, à de la technologie

5°) Enfin établir le cas d’usage de l’IA au niveau individuel avec, le cas échéant, les formations appropriées.

En somme il faut appliquer l’IA au travail puis aux gens et pas l’inverse

L’IA victime d’un problème managérial connu

La mise en œuvre de l’IA est ici victime d’un problème connu : personne dans l’entreprise ne se soucie de savoir et comprendre comment les gens travaillent. (Smart Simplicity : 6 règles pour gérer la complexité sans devenir compliqué).

On sait quelle est la fonction d’une personne, ce qu’elle doit produire, mais on ne rentre jamais dans les détails de savoir comment. Il y a les tâches prescrites, soit, mais également beaucoup de tâches qui ne le sont pas parce qu’elles sont le résultat de mauvais outils, d’une collaboration défaillante ou au contraire rendue nécessaire par des outils ou process défaillants ou tout naturellement par la large part prise par les activités informelles et les process tacites dans le travail du savoir où le collaborateur a un pouvoir conséquent sur la manière dont il organise son travail.

Un manager connait le métier d’une personne, connait ses activités telles que définies dans la fiche de poste mais ne sait que rarement toutes les tâches cachées qu’il y a derrière.

Je me suis un jour livré à ce petit jeu en passant des heures à côté d’un de mes collaborateurs. Bien sûr je savais ce qu’il faisait, mais je voulais voir comment, c’est à dire tout ce qu’il devait faire pour y parvenir. Autant vous dire qu’il y a des choses qui m’ont horrifié et que la personne concernée n’en était en rien responsable : elle s’adaptait à un contexte défaillant, perdait un temps fou et voyait sa charge mentale augmenter de manière inutile.

Il n’y a rien de tel que prendre le temps de l’observation empirique mais, en plus, aujourd’hui on a également des données pour objectiver les choses (De quelles données avons nous besoin pour comprendre comment les gens travaillent ?) même si l’exercice a ses limites (L’organisation quantifiée : Graal ou Big Brother ?)

Que l’on parle d’IA ou d’autre chose on ne peut améliorer significativement les choses sans comprendre ce que font exactement les gens au quotidien et en se limitant à la notion très macro d’activité.

Conclusion

L’IA a pour vocation d’améliorer le travail des gens en termes de vitesse, de qualité mais également dans la mesure où elle permet de s’affranchir de tâches chronophages.

Par contre on ne la déploiera de manière vraiment productive que si on comprend bien le travail en question : a quel livrable contribue-t-il, quelle est la chaine d’activités et d’intervenants concernés, quelles sont les tâches effectuées par chacun.

Une approche centrée sur l’individu ne garantit en aucun cas des gains au niveau d’un process ou, en tout cas, pas autant qu’avec une approche de bout en bout.

Image : travail d’équipe de Jacob Lund via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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