En 2009 Netflix publiait un document de 125 pages résumant sa culture et sa vision du travail qui avait, en son temps, fait beaucoup parler de lui. Au début de l’été une version mise à jour a été mise en ligne et c’est l’occasion de revenir sur ce document assez disruptif et voir ce que nous dit son évolution au fil du temps.
Une approche clivante du marketing RH
Même si le document a été mis à jour depuis je ne peux que vous inciter à lire ces 125 slides qui sont non pas un condensé mais, au contraire, une vision exhaustive de la culture Netflix et de leur vision du travail pour comprendre à quel point le document avait surpris voire choqué à l’époque.
On ne pouvait que reconnaitre à Netflix le mérite de l’honnêteté quitte à être clivant, à l’opposé de la plupart des entreprises qui affichent des valeurs assez consensuelles pour plaire à tous quitte à ce qu’elles ne se vérifient pas dans la pratique.
Il ne faut pas oublier que ce document avait pour objectif le recrutement et, d’une certaine manière, plutôt que dire « pourquoi nous rejoindre » il disait tout autant « pourquoi ne pas nous rejoindre« , « si vous n’êtes pas confortable avec ça surtout ne postulez pas« .
J’admet m’en être d’ailleurs inspiré à un moment au moment de mettre en place un site carrière afin de ne plus perdre de temps sur des candidatures peu pertinentes : plutôt qu’un discours qui donnait envie au plus grand nombre de candidater j’ai préféré un discours qui allait plaire à des gens qui nous ressemblaient et rebuter les autres.
Typiquement, Netflix allait en 2009 à l’encontre d’un discours très en vogue dans beaucoup d’entreprises, notamment de la tech, qui clamaient qu’elles étaient une grande famille. Netflix a toujours tenu le discours opposé, se comparant plutôt à une équipe de sportifs professionnels avec ce que cela implique sur l’emphase mise sur la collaboration, la performance et ce qui lie les gens. Indirectement, et contrairement à beaucoup d’autres, son image n’a pas été écornée lorsqu’elle a du licencier car ça n’était pas orthogonal avec les valeurs qu’elle communiquait.
Ceci dit le moins qu’on puisse dire c’est que cette culture ne les a pas empêché ni de recruter ni de réussir.
La culture Netflix en 2024
Netflix a donc publié une mise jour du manifeste de sa culture au printemps dernier. Qu’est ce qui change ? Tout d’abord la taille puisque tout est condensé pour tenir sur une seule page. Comme si ils avaient pris le temps d’avoir du recul ce qui a permis de simplifier le propos sans pour autant que cela ne change beaucoup sur le fond.
Fondamentalement je ne vois pas beaucoup de changement et cela ne me surprend pas : en 2009 Netflix affichait une culture qui étaient en phase avec la direction que prenaient le monde, la société, l’économie, ce qui tranchait justement avec celles d’entreprises un peu plus ancrées dans le passé. Or, depuis, si les choses ont changé c’est pour aller dans le sens de ce que percevait Netflix, confirmant qu’ils avaient vu juste depuis le début.
Rien de neuf mais une vision affinée et améliorée de la précédente au fil du temps et de l’expérience.
Mais surtout une version plus synthétique ce qui permet d’aborder plus facilement ses quatre pierres angulaires.
La « Dream Team »
On en revient à la notion d’équipe préférée à celle de famille. On y trouve une liste des valeurs qui doivent être partagées (altruisme, jugement, candeur, créativité, courage, inclusion, curiosité, résilience) dont on verra qu’elles sont essentielles à la mise en oeuvre des autres dimensions de la culture Netflix. Quand on voit les retours d’expériences de salariés d’entreprises qui essaient de se substituer à leur propre famille ils n’ont certainement pas tort (After Working at Google, I’ll Never Let Myself Love a Job Again).
Il y a surtout une référence constante à la performance : au delà des valeurs c’est la performance et elle seule qui fait qu’on est digne ou non de rester dans l’équipe.
Derrière la candeur on trouve la notion de feedback continu, la volonté de constamment se remettre en cause et accepter d’être remis en cause par autrui dans une logique d’amélioration continue.
Les gens au dessus des process
Netflix reconnait la primauté de l’individu sur les process et considère que les gens sont capables d’avoir un impact sur leur propre travail si on les laisse utiliser leur capacité de jugement, leur sens des responsabilités et la critique constructive.
On a le droit de ne pas être d’accord avec ce qui est fait ou la manière dont on le fait à condition de finalement s’engager une fois qu’une discussion a eu lieu sur le sujet.
Cette confiance donnée aux individus sur la manière d’organiser leur travail permet d’éviter les complications et l’excès de process qui accompagnent souvent la croissance des entreprises (Smart Simplicity : 6 règles pour gérer la complexité sans devenir compliqué).
Cela rejoint une préoccupation émergente dans nombre d’entreprises sur le fait que jusqu’à présent les gens étaient dirigés par les process alors qu’aujourd’hui nature même du travail et des challenges auxquels font face les collaborateurs demandent de donner aux collaborateur la capacité d’influer sur les process. Il y a de nombreuses réflexions en cours sur cette notion de People Centric Operations (Les salariés doivent suivre les process. En êtes-vous sûrs ?) mais ça ne sont que des réflexions tant cette approche pousse les entreprises à sortir de leur zone de confort. Pour Netflix c’est une réalité.
Inconfortablement excitant
Divertir 2 milliards de personnes demande d’innover, sortir de sa zone de confort, sans cesses essayer des choses nouvelles. Au delà de ce qui sonne comme une évidence qui, a mon avis, ne s’applique pas qu’à Netflix et aux entreprises de son secteur mais quasiment à tout le monde (encore faut il en avoir conscience) cela demande aux collaborateurs d’accepter de vivre dans l’inconfort du changement permanent.
Une vérité que tout le monde connait même si peu d’entreprises osent l’assumer, préférant vendre à leurs employés l’illusion rassurante d’une stabilité qui n’existe plus. (La transformation n’est pas un état provisoire de l’entreprise et vos employés le savent donc ne mentez pas.)
Excellent et toujours meilleur
Les salariés, appelés ici membres de la Dream Team, doivent sans cesse améliorer les choses et construire un futur dont on ne sait pas ce qu’il sera. Rappelez vous que Netflix a commencé en 1998 en louant des DVD qu’ils envoyaient par la poste et qu’il s’agit du parfait exemple d’une entreprise qui n’a pas subi la transformation digitale de l’économie. D’ailleurs plutôt que la subir c’est elle qui transformé son secteur.
Pour Netflix c’est sa culture qui est la cause de sa réussite et elle enjoint à ses salariés de sans cesse l’améliorer et surtout pas de la préserver telle qu’elle comme, là encore, trop d’entreprises le font, perdant ainsi la capacité à saisir des opportunités et se transformer.
Pour moi cela fait écho à une intervention de Ginnie Rometti, alors PDG d’IBM, il y a plus de 10 ans et où elle avait dit qu’il ne fallait jamais « protéger le passé« .
Conclusion
Il est surprenant de constater à quel point la manière dont Netflix formalise et présente sa culture détonne encore dans le monde d’aujourd’hui alors que rien ne me semble plus pertinent si on est réalistes par rapport à ce qu’est le monde d’aujourd’hui et les challenges auxquels font face les entreprises.
Pourquoi un tel grand écart ?
Tout d’abord une réelle volonté de la part des entreprises de protéger le passé. Une entreprise est un organisme vivant, sa culture doit évoluer avec le temps et les gens afin de prendre en main son futur et non le subir.
Ensuite la peur de déplaire, de déranger. Beaucoup d’entreprises essaient de plaire au plus grand nombre et, surtout, ne veulent en aucun cas déplaire à qui que ce soit que ce soit en termes de marketing RH ou de marketing tout court. Or ce que dit Netflix fait peur : beaucoup de personnes ne sont pas confortables dans un tel environnement et ce qu’il raconte de la compréhension qu’on a du monde. Netflix a décidé de ne s’intéresser qu’à ceux qui sont alignés à cette vision même si cela veut dire se couper d’un grand nombre de talents. Notons également que Netflix fait une claire séparation entre marketing et marketing RH là où beaucoup pensent qu’il y a un lien entre les deux : ses produits sont pour tout le monde mais tout le monde ne peut pas y travailler. Votre abonnement est bienvenu, pas votre CV.
Enfin la difficulté de changer. Une culture ne se décrète pas, elle se vit et est incarnée au premier chef par ses dirigeants. Pas facile d’opérer un tel virage si on se dit qu’on risque d’en être la première victime. Cela me rappelle l’exemple de CISCO à la fin des années 2000 (Entreprise 2.0 : retour sur l’expérience de CISCO). Non seulement John Chambers, le PDG de l’époque, avait dit qu‘il avait du aller contre sa nature profonde pour aller dans le sens du bien de l’entreprise mais en plus qu’il avait du se séparer de la moitié du top management incapable d’incarner la nouvelle organisation et la culture qui allait avec.
Image : Netflix de Emre Akkoyun via Shutterstock.