Il se dit qu’il suffit de fixer des objectifs clairs et réalistes pour ne plus se poser de savoir si les salariés travaillent effectivement en télétravail ou non. C’est en fait une condition nécessaire mais pas suffisante : les qualités du manager jouent également beaucoup.
Je pensais qu’en 2024 les entreprises auraient fini par acquérir assez de maturité sur le télétravail pour que ne se posent plus certaines questions mais ça n’est pas le cas et certaines continuent à vouloir faire revenir aveuglément leurs salariés au bureau 100% du temps.
Télétravail : autant de bonnes solutions que de cas individuels
Ne vous méprenez pas sur mes propos : même si en ce qui me concerne je suis convaincu des aspects plus que positifs du télétravail dans mon cas particulier, mon métier etc tout n’est pas tout blanc ou tout noir. Je ne pense pas que la réponse soit aussi simple que 0% ou 100% ou même qu’il s’agisse de fixer un pourcentage fixe applicable à tout le monde tout le temps. Cela dépend de nombreux facteurs liés à là où se situe le salarié en termes d’ancienneté dans l’entreprise, dans son poste, dans son projet actuel que pour une même personne, en fonction des étapes de sa carrière, cela peut varier de 0 à 100% d’une semaine à l’autre (Pourquoi un salarié veut-il ou doit-il télétravailler ?). Et encore, une approche individualisée est loin d’être toujours pertinente alors que le travail est un sport collectif. (Le télétravail : un sujet collectif traité individuellement)
Il se trouve toutefois que nombre d’entreprises ne le comprennent pas et restent dans une vision manichéenne du sujet quitte à mettre en place des pratiques destructrices en termes d’engagement et de confiance (Is Workplace Trust Dead? A ‘Big Four’ Firm Will Soon Use Location Data to Track Employees).
A l’inverse, par exemple, Netflix dont je parlais justement il y a peu (Qu’est ce que la culture et le management de Netflix nous disent sur le monde d’aujourd’hui ?) est largement ouverte au télétravail malgré sa culture d’exigence. Ca doit bien vouloir dire quelque chose.
Mais je ne crois pas non plus aux raisonnements simplistes à ce propos et aux solutions en mode « il n’y a qu’à ».
Pas de télétravail sans objectifs clairs et mesurables
A chaque fois qu’on me pose la question sur le fait de savoir comment je sais si personnes que je manage travaillent vraiment ou pas lorsqu’elles sont en télétravail je n’ai qu’une seule réponse : je m’en moque éperdument.
Ils ont des objectifs, on peut suivre la progression dans l’atteinte des objectifs au fil du temps et, à la fin, leur atteinte ou pas et lorsqu’ils ont censés produire quelque chose et je vois si c’est fait ou non et avec le niveau de qualité requis. (Dans le futur du travail on contrôle le résultat et rien d’autre)
Ca n’est pas plus compliqué que cela, d’autant plus que l’avancée sur certaines tâches n’est pas nécessairement fonction du temps passé (Le télétravail impose une culture du résultat).
Je suis tombé récemment sur un article au titre quelque peu survendeur (This management theory could reshape the return-to-office debate) qui ne disait pas autre chose : si on fixe des objectifs clairs on n’a plus qu’à vérifier s’ils sont atteints et, d’un autre côté, si on ne donne pas d’objectifs il ne faut s’attendre à avoir des salariés désoeuvrés mais cela vaut aussi bien en télétravail qu’au bureau.
Le management par objectifs ne suffit pas à un télétravail efficace
De toute manière il ne fallait pas attendre autre chose d’un auteur dont le métier est de vendre…du management par objectifs. Mais le titre un peu réducteur sur le ton « il existe une baguette magique » et la lecture de l’article en question m’ont fait comprendre qu’il y avait une partie de l’équation que j’oubliais lorsque je parlais de suivre les objectifs plutôt que surveiller le travail. Ou, plutôt, quelque chose que je prenais pour acquis et ne l’était pas.
Dire qu’il suffit de fixer des objectifs et de les suivre c’est un peu très limite en terme de vision du rôle de manager. « Je définis les objectifs, je mets tout le monde en télétravail et je me moque de ce qu’il se se passe« . Non, cela ne fonctionne pas comme ça.
Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un salarié rate ses objectifs ou ne produit pas en temps et en heure ce qu’on attend de lui. Le dillétantisme n’est que l’un d’entre eux et est loin d’être le plus fréquent.
On peut avoir sous-estimé l’ampleur de la tâche, il peut rencontrer un problème inattendu, le problème peut venir de l’extérieur (le client), il peut ne pas comprendre quelque chose…
Dans cette hypothèse le collaborateur et le manager ont des obligations réciproques. Celle du collaborateur est d’alerter le manager le plus tôt possible qu’il n’arrive pas à avancer, celle du manager est de l’aider.
Oui, nous sommes en 2024 et il faut encore rappeler que le rôle du manager est d’aider son équipe à réussir et pas de passer son temps derrière leur dos.
Peut on faire du management baladeur à distance ?
Là on peut me rétorquer que, justement, pour mieux aider voire pour se rendre compte qu’un salarié est à la peine derrière son écran, il est préférable d’être parmi eux au bureau.
Je n’ai jamais contesté les bienfaits du management baladeur, manière francisée de désigner le management by wandering around qui consiste simplement à se balader dans un lieu de travail pour comprendre ce qui s’y passe mais il faut remettre les choses dans leur contexte.
Cette technique est née dans les années 70 tout d’abord dans les usines avant de se propager dans les bureaux mais dans les deux cas il y avait un point commun : l’absence de moyens de communication autres que le courrier et le téléphone. L’email date de 1965 mais je doute qu’il ait été aussi populaire à l’époque qu’il ne l’est aujourd’hui, surtout dans les usines.
Bref si l’idée est pertinente il faut l’adapter au contexte d’aujourd’hui avec des outils et de nouveaux modes de travail qui sont autant de contraintes que de solutions.
Les managers manquent de leadership numérique
Le manager soit développer ce que j’appelle une sorte de leadership numérique avec une nouvelle approche des interactions, de leur rythme, de l’usage des multiples outils à sa disposition, adapter son ton à chaque outils sous peine que son message ne soit pas compris.
On parle souvent du télétravail sous l’angle du collaborateur mais, malheureusement, jamais sous l’angle du manager qui le plus souvent est un handicapé numérique (Le télé-manager, maillon faible du télétravail). Je ne parle pas de l’utilisation du numérique en général mais spécifiquement dans son rôle de manager et encore plus dans l’expression de son leadership.
Ca n’est qu’à ce prix que le management par objectif justifiera pleinement le recours au télétravail sans que les managers n’aient à se préoccuper de l’activité de leurs équipes.
Bottom line
Management by objectives is as effective as it is reassuring when it comes to teleworking, but effective remote working also requires appropriate management and leadership.
You may think that I’m giving you an unstoppable argument to go against my ideas and justify returning to the office… but it’s also an argument for businesses to think about the qualities really required of today’s managers.
Image : objectifs de Dmitry Demidovich via Shutterstock.