Faire carrière est il toujours désirable ?

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Est-ce que le carriérisme forcené des années 80 est une chose du passé au regard des aspirations nouvelles des salariés ou existe-t-il encore des gens qui valorisent leur carrière plus que d’autre chose ?

Il y a quelque temps j’étais invité par Lucca pour la prévention d’une étude sur les aspirations des français relativement au travail (Les français et le travail : des aspirations changeantes et des conditions dégradées), événement autour duquel nous avons été divertis par des battles où deux experts s’opposaient lors d’une joute verbale sur une des thématiques de l’étude.

Une première nous amenait à nous demander « l’entreprise rend elle incompétent » ensuite il a été question de se demander si faire carrière était toujours désirable.

Après un bref résumé des échanges entre les deux orateurs, je vous donnerai la réflexion que cela m’a inspiré personnellement.

Faire carrière : entre accomplissement personnel et soumission

Voici, résumés très rapidement, les arguments qui ont été développés.

Oui faire carrière est toujours désirable mais il faut en revoir la définition car elle est aujourd’hui has been. On peut aujourd’hui faire carrière en tant que col bleu en se reconvertissant et, de manière générale, plus uniquement en montant dans la hiérarchie. Aujourd’hui on peut créer sa carrière et pas uniquement suivre une voie toute tracée.

Non ! Faire carrière à tout prix n’est plus désirable car cela implique des renoncements.

Il faut avoir en tête que s’identifier à son activité professionnelle est finalement assez récent. Avant il y avait des corps de métiers, on endossait un métier et on le gardait toute sa vie. En fait c’est l’instauration de la sécurité sociale qui a tout changé : il fallait un emploi salarié pour acquérir des droits et ensuite logiquement s’est posé la question de la nécessité de gravir les échelons pour progresser.

Aujourd’hui de plus en plus de gens ne veulent plus devenir managers en raison de la charge de travail. Il y a de nombreuses personnes qui ont choisi de décroître professionnellement par choix mais le modèle reste masculin et viriliste et cela pose la question du revenu universel.

Ca n’est pas vrai : vivre sa carrière c’est vivre sa vie et de manière pas forcément linéaire.

Non : la carrière suppose allégeance et subordination ! Au moins dans la fonction publique on n’y est pas soumis.

Mais non ! On peut prendre sa carrière en main et ne pas la subir. Et là l’intervenante cite son propre exemple puisqu’elle cumule deux fonctions chez son employeur à sa propre demande à qu’elle a en plus une activité freelance à côté.

A la fin débat un sondage réalisé auprès des participants, essentiellement des gens du monde des RH a montré que pour 51% des personnes présentes faire carrière n’était plus désirable.

Redéfinir la notion de carrière

La première intervenante à souligné que la définiront du mot carrière était dépassée et c’est à mon avis le point essentiel à retenir. Et pas seulement, à mon avis, le mot carrière mais l’expression faire carrière !

Quand on pense carrière on pense forcément à une entreprise et à quelque chose de linéaire et ascendant ce qui n’est en effet plus la réalité. Ou, plutôt qui peut ne plus être la réalité pour ceux qui décident de prendre les choses en main.

Je pense d’ailleurs qu’il serait plus pertinent de parler de « mener sa vie professionnelle » qui est tout de même moins connoté et laisse la porte ouverte à pleins d’options différentes.

La pression de la progression professionnelle

Là où tout de même je rejoins l’intervenante qui avait la position la position la plus radicale est que beaucoup de gens, en tout cas en France, ne veulent plus manager : l’étude Lucca montre qu’encadrer une équipe n’est recherché que par 4% des répondants.

Rien de neuf sous le soleil : c’est une tendance de fond sur laquelle on fermait les yeux, un éléphant dans la pièce qu’on n’a plus pu faire semblant de ne pas voir après le COVID.

« 20% des cadres (dont 25% de femmes) ne veulent pas gérer d’équipe . Cette proportion est encore plus élevée dans la tranche des 35-49 ans (27%), pourtant celle la plus susceptible d’occuper des fonctions managériales. Cela interroge d’autant plus que 87% des salariés âgés de 18 à 34 ans – les plus jeunes sur le marché de l’emploi – souhaitent, pour leur part, encadrer une équipe.« 

Les Échos – Crise sanitaire : les managers, sur les nerfs, se détournent de leur fonction

Je vais éviter de redire la même chose que dans mon analyse de l’étude mais on en revient à un problème de définition : qu’est ce que manager et promeut on à ces postes les bonnes personnes sachant que le salarié le plus performant sur le terrain ne fera pas le meilleur manager et que c’est même souvent l’inverse qui se produit.

Il y a donc deux pistes à effectivement explorer.

La première est déjà de ne plus faire de la promotion à un poste de manager une récompense mais de nommer des gens qui ont l’appétence pour le rôle et les compétences pour.

Cela fait depuis les années 50 que l’armée américaine a compris qu’il y avait une grande différence entre un bon soldat et une personne capable de diriger des soldats et elle ne cesse de perfectionner ses tests dans ce sens. De la même manière c’est une des grandes plaies des cabinets de conseil où le système du « up or down » peut mettre hors jeux de futurs très bons managers ou partners qui n’étaient pas des juniors exceptionnels mais ont d’autres qualités qui leur auraient été utilises à un poste plus élevé.

La seconde est de valoriser des plans de carrière reposant sur l’expertise pour valoriser des personnes aux compétences techniques hors pair, qui ne veulent pas devenir manager et que, d’ailleurs, promouvoir manager amènerait à une double peine : perdre un salarié de valeur sur le terrain pour hériter d’un mauvais manager.

C’est ce qu’à compris une entreprise comme IBM. Chez IBM, le Technical Career Path est conçu pour ceux qui souhaitent rester concentrés sur leur expertise. Cette voie permet de monter en grade tout en continuant à se concentrer sur les aspects techniques.

Les étapes ultimes, Distinguished Engineer ou IBM fellow font partie des postes les plus prestigieux et les plus valorisés de l’entreprise.

Et vous verrez dans mon prochain article sur ces battles qu’Apple a adopté une voie différent mais tout aussi intéressante.

Faire carrière ou faire carrière à tout prix ?

Le début du débat a introduit une nuance essentielle : faire carrière ou faire carrière à tout prix.

C’est le à tout prix qui change tout !

Et effectivement faire carrière demande des efforts, parfois des sacrifices, que tout le monde n’est pas prêt à faire. Mais c’est encore un sujet sur lequel il est dur de généraliser : ce qui est un sacrifice pour l’un sera un levier de motivation pour d’autres et vice versa.

Mais je pense que ce problème peut être en partie sinon totalement réglé en changeant notre vision des choses comme expliqué à plusieurs endroits dans cet article : penser en terme de « mener sa vie professionnelle » plutôt que faire carrière, en repensant la filière managériale et la progression professionnelle non hiérarchique…

Tout cela devrait permettre à chacun de trouver sa voie en s’épanouissant et sans rompre les équilibres essentiels qui lui sont propres.

L’éléphant dans la pièce : le salaire

Il y a bizarrement un élément clé de l’étude qui a été passé sous silence et qui est à mon avis central dans le débat.

Beaucoup de personnes sont contraintes de faire carrière alors qu’elles sont très bien dans leur poste et à leur niveau de responsabilité avec pour seule motivation l’argent. Il faut cesser l’hypocrisie sur le sujet et l’étude Lucca le montre : c’est l’aspiration numéro une des personnes intéressées.

Donc d’un côté on payait les gens convenablement et si d’un autre on leur permettait de progresser dans leur carrière et donc dans leur salaire autrement que par la voie hiérarchique on arriverait peut être à sortir beaucoup de monde de cette logique.

Conclusion

La question n’est pas de savoir si faire carrière est encore désirable mais que savoir quel prix on est prêt à payer pour y parvenir, qui n’est certainement pas le même que par le passé.

Et le prix à payer peut être rendu plus acceptable voir disparaitre si on change de perspective sur les notions de carrières et de promotion : on doit pouvoir mener une vie professionnelle épanouissante sans devoir en permanence courir après des promotions mais pour cela tout un système est à repenser.

Image : faire carrière de IR Stone via Shutterstock.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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