Manager est-il encore un métier ?

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Manager est-il encore un métier où, comme certains le pensent, un rôle qui va devenir obsolète au regard de l’évolution de la société et des organisations ?

C’est la question qui a été débattue lors de l’événement de présentation d’une étude Lucca sur les aspirations professionnelles des français (Les français et le travail : des aspirations changeantes et des conditions dégradées). Des experts se sont affrontés lors de battles sur trois des thèmes de l’étude et, donc, après l’entreprise rend elle incompétent, faire carrière est il encore désirable, on s’est demandé si manager était encore un métier.

Commençons par un résumé des débats avant d’aller plus loin.

A-t-on besoin de managers ou de management ?

Bien sur qu’on a besoin de managers et je vais juste donner un exemple. Un groupe de 6 personnes va au cinéma ensemble et doit choisir quel film aller voir. Jamais il n’y a de consensus : certains ne sont pas d’accord, d’autres laissent les autres choisir mais à la fin il y a une personne qui tranche et décide pour le groupe. On a toujours besoin que quelqu’un décide mais il faut admettre que le métier de manager est très mal maitrisé.

Mais non cela ne fonctionne plus comme cela. Pourquoi cela doit il toujours être la même personne qui décide ? Le métier de manager disparait car les organisations tayloriennes disparaissent et on va utiliser tous les salariés pour faire de la facilitation.

En effet les nouvelles formes de management sont là bien que très balbutiantes. La fin du manager n’est pas la fin du management mais va demander une grande rigueur.

Attention il ne faut pas assimiler le pouvoir de décision au fait d’être manager, le manager c’est celui qui permet de faire.

L’autorité est avant tout question de charisme, mais elle se définit d’une manière selon les époques et même selon les pays. Mais même distribuée l’autorité reste l’autorité et elle vient de la légitimité.

Non ! L’autorité doit être découpée entre les gens et pas incarnée par une personne.

Mais on a le contre exemple parfait avec Ted Lasso (personnage d’une fiction Apple). Il manage une équipe de football sans rien connaitre à ce sport, il est dans l’optimisme béat, c’est un punk ! Il pense que par sa bienveillance il va créer un espace qui va permettre aux gens d’essayer des choses et progresser. Mais à la fin c’est lui qui décide et distribue cette liberté.

On peut aussi se poser la question des bienfaits d’une approche bienveillante ou autoritaire : Miles Davis était un tyran mais on peu lui donner le crédit d’avoir inspiré des milliers de jazzmen qui ont éclos grâce à lui.

Mais non l’autorité n’est pas nécessaire ? Que fait-on du mentoriat par exemple ?

A la fin du débat un sondage express réalisé auprès de l’audience, principalement issue du monde des RH, montre que pour 76% des personnes présentes manager était encore un métier.

Essayons d’approfondir un peu tout cela.

Manager n’a jamais été un métier

Au risque de choquer beaucoup de monde je dirai que manager n’a malheureusement jamais été un métier, ce que confirme d’ailleurs un des intervenant en disant « métier mal maitrisé ».

Beaucoup de managers ont été promus comme récompense de leur performance sur le terrain et continuent à se réfugier dans la démonstration de leur expertise technique pour asseoir leur légitimité en ne donnant aux tâches liées à leur rôle que la portion congrue de leur temps, un rôle qui reste secondaire à côté de leur métier.

Les entreprises ont aussi leur tort car elles considèrent trop souvent que manager est comme une science innée. Il y a certainement une partie d’inné, ça n’est pas pour rien qu’on parle de « fibre managériale » mais il y a tout une masse de responsabilités et tâches associées qui vont avec le rôle et dont on pense qu’il est évident que les managers vont les effectuer sans que rien ne soit formalisé (Avez vous un delivery model pour le management ?). Et je ne parle que du contenu, même pas de la posture.

Donc manager, dans trop d’entreprises, n’a jamais été un métier avec des managers qui négligent par méconnaissance, manque de temps ou peur de l’échec toutes les obligations qui vont avec ce rôle.

Management incarné ou distribué ?

Le débat a tout de même beaucoup tourné non pas sur le management mais sur son incarnation : incarné par une personne ou distribué à tous ou à ceux à qui ont reconnait une autorité.

Mais les deux ne sont pas antinomiques : dans une équipe on peut avoir un manager et des personnes à qui il pourra déléguer des choses voire à qui les collaborateurs reconnaissent une autorité sur certains sujets. Un bon manager s’appuiera souvent sur elles.

Mais à la fin il faut une personne pour trancher, décider et, surtout, assumer !

On peut avoir un mode de management très participatif mais à la fin c’est le manager qui endossera seul la responsabilité des décisions. La responsabilité collective en entreprise cela ne fonctionne (presque) jamais car si tout le monde veut décider personne ne veut assumer.

D’ailleurs le raccourcis qui a été fait entre hiérarchie et taylorisme ne me semble pas à propos : dans une entreprise le travail s’organise de différentes manières, les décisions aussi, la hiérarchie n’est qu’un modèle de distribution des responsabilités. Libre au responsable de l’assumer comme il veut et mettre en place le modèle managérial qui lui semble le plus pertinent, et pourquoi pas très participatif.

Créer une structure de commandement est le propre de la nature humaine

J’ai beaucoup aimé le parallèle fait avec le choix d’un film au cinéma et j’adhère au postulat selon lequel la mise en place d’une hiérarchie et d’une chaine de commandement (peu importe la manière dont l’autorité est exercée) est naturel.

Une classe à l’école, une équipe dans un sport, un groupe d’amis, peu importe la manière dont c’est arrivé et comment c’est formalisé, à la fin il y a un chef.

Cela me rappelle une intervention de quelqu’un qui n’a jamais été un gourou du management mais a dit quelque chose d’assez juste sur le sujet : j’ai nommé Bernard Tapie.

« Toute la société est basée sur une hiérarchie. Mettez 150 personnes sur une île, revenez un an après, il y a un patron, deux adjoints….« 

Parce que c’est naturel, parce que c’est la nature humaine qui veut ça.

Les régimes politiques les plus égalitaire sur le papier ont souvent fini avec les pouvoirs plus autoritaires et parfois dans un bain de sang. On ne parlera même pas de la révolution française qui portait l’espoir d’une transformation radicale de la société, où les principes d’égalité, de liberté et de fraternité allaient redéfinir l’ordre social et qui a fini dans une spirale de violence et de terreur.

Si vous creusez ce qui s’est vraiment passé dans certaines entreprises ayant, à l’époque, pris le chemin de l’entreprise libérée (d’ailleurs on n’en parle plus), il y a parfois eu les pires horreurs managériales avec une violence et une toxicité inouïes.

Donc même non officielle la hiérarchie existe et est incarnée mais, pire encore, les mouvements les plus égalitaires ont fini par produire les formes les plus violentes et autoritaires de hiérarchie.

Et toujours dans le même ordre idée il est urgent de cesser de critiquer l’autorité au seul motif qu’on la confond avec l’autoritarisme (Non, l’autorité n’est pas une notion dépassée en entreprise).

Quoi qu’il en soit la question n’est pas de réduire cette question a une question de hiérarchie ou pas de hiérarchie. Elle est nécessaire, naturelle, l’essentiel étant de trouver le bon équilibre, et mêmes les entreprises les plus innovantes dans leur modèle managérial s’en sont rendu compte (Why it’s dangerous to have a company without hierarchy, according to pioneers of Google’s Startup Accelerator).

Une réflexion nécessaire sur le rôle du manager

Tout cela, comme dans les deux différents débats, nous ramène à une question : quelle est la définition du manager, son rôle. Et cela m’étonnerait qu’il y ait consensus sur le sujet ni qu’il doive nécessairement en avoir un.

Un intervenant a dit « le manager crée l’espace pour que les membres de l’équipe essaient et progressent » ce qui correspond un peu à ma vision des choses (Un manager c’est quelqu’un qui fait en sorte que les choses se passent).

J’ai beaucoup aimé l’analogie avec Ted Lasso (j’avoue qu’à priori la série ne m’attirait pas trop mais ça m’a fait réviser mon opinion) et je pense d’ailleurs écrire ultérieurement quelque chose de spécifique sur le sujet car je me suis rendu compte qu’à une époque assez récent j’ai fait du Ted Lasso sans le savoir.

Cela nous ramène à une question fondamentale qui est : un bon manager doit il être un expert technique du domaine ! Est-ce que c’est de cela seul qu’il tire légitimité et autorité ?

Ma réponse est non ou plutôt pas tout le temps. J’entends bien que ça soit très pertinent pour des métiers très techniques et pointus, moins pour d’autres.

Car si j’ai vu le modèle « Ted Lasso » très bien fonctionner (et notamment pour moi) le modèle inverse fonctionne tout aussi bien dans une entreprise comme Apple.

Apple n’est pas une entreprise où les directeurs généraux supervisent les managers ; c’est plutôt une entreprise où les experts dirigent les experts L’hypothèse est qu’il est plus facile de former un expert à bien gérer que de former un manager à être un expert.
[…]

Très tôt, Steve Jobs a adhéré à l’idée que les managers d’Apple devaient être des experts dans leur domaine de gestion. Lors d’une interview en 1984, il a déclaré : « Chez Apple, nous sommes passés par cette étape où nous nous sommes dit : » Oh, nous allons devenir une grande entreprise, engageons des cadres professionnels Nous avons embauché un grand nombre de cadres professionnels Cela n’a pas fonctionné du tout….Ils savaient comment gérer, mais ils ne savaient pas comment faire quoi que ce soit Si vous êtes quelqu’un de bien, pourquoi voudriez-vous travailler pour quelqu’un dont vous ne pouvez rien apprendre ? Et vous savez ce qui est intéressant Vous savez qui sont les meilleurs managers Ce sont les grands contributeurs individuels qui n’ont jamais, jamais voulu être manager mais qui décident qu’ils doivent l’être… parce que personne d’autre ne va… faire un aussi bon travail.

Harvard Business Review – How Apple Is Organized for Innovation

Vous souvenez de Louis de Funès dans la Folie des Grandeurs ? « Qu’est ce je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien faire ! ».

Je reviendrai plus tard là dessus car pour une fois je ne suis pas totalement d’accord avec Steve Jobs mais, justement, je pense que les deux approches ne sont pas antinomiques. Ca dépend de l’entreprise, de son métier, voire de la vision qu’elle a de son métier.

Je dirais que Ted Lasso pourrait diriger une équipe RH ou être COO mais pas une équipe d’ingénieurs dans le nucléaire ou…chez Apple.

Mais c’est une question qui reste ouverte et sur laquelle je suis preneur de vos réflexions.

Et pour finir, on dit souvent que dans une entreprise quand quelque chose va mal ça n’est que rarement à cause des gens mais du système.

W. Edwards Deming, professeur, statisticien et auteur renommé, a déclaré que 94 % des problèmes sont imputables au système Les gens ne peuvent pas faire mieux que ce que le système leur permet de faire..

Hyken.com –The Problem Isn’t the Employee, It’s the Business System

Ce qui vaut pour les salariés vaut pour les managers qui nous ramène à une réflexion plus globale sur l’entreprise en tant que système, et ce qu’elle permet ou pas au collaborateur et au manager de faire, voire de la complication et des injonctions contradictoires qu’elle génère et empêche le salarié de bien travailler et au manager de bien manager(La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé).

Conclusion

A mon sens il serait bien que manager devienne enfin un métier car cela amènerait enfin de s’interroger sur le contenu de ce métier.

Ensuite il ne faut pas confondre le champ des prérogatives du manager et sa posture. Il porte une responsabilité, a de nombreuses missions à l’égard de l’entreprise et de ses collaborateurs et le fera de la manière qui est la sienne à moins que l’entreprise n’en prescrive ou proscrive certaines.

Dans la même entreprise, à rôle, missions et responsabilités égales vous pourrez avoir un tyran ou un Ted Lasso.

Définir la fonction compte mais pas moins que la manière dont elle sera incarnée et dans quel système d’entreprise.

Image : Manager inutile de Elnur via Shutterstock.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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