Un manager donne une instruction, confie une mission, et au moment de présenter son travail ou débrieffer de ses résultats le collaborateur s’avance assez confiant, satisfait, voire plus du travail qu’il a réalisé.
Et là catastrophe ! Rien ne va, ça ne correspond pas aux attentes et il se fait vertement sermonner. Une chose d’autant plus désagréable qu’il ne s’y attend pas du tout, voire comptait bien être félicité.
C’est une situation que nous avons tous soit observé soit vécu personnellement soit les deux. Très désagréable quand vous êtes directement concerné, gênant quand vous en êtes témoin.
Manager trop exigeant ? Salarié incompétent ?
Ca serait un raccourci un peu facile car le plus souvent ils ne se sont juste pas compris.
L’idée ici est de réfléchir à comment être certains d’être compris des autres quand on formule une demande et vous verrez que ChatGPT peut être sinon un bon professeur pour vous en tout cas un bon cobaye pour tester votre capacité à communiquer de manière claire et compréhensible.
La communication manager/managé est très perfectible
Quelques exemples.
Le mémo n’était pas assez fouillé ni bien présenté mais il n’a jamais été dit qu’il devait servir en board et que le manager avait une idée particulière en tête.
Le document est arrivé en retard mais le collaborateur ne savait pas que le directeur n’attendait que quelques bullet points pour se faire une idée sur un sujet à défricher et que cette présentation n’avait aucunement vocation à être diffusée.
En réglant un conflit avec un client, un fournisseur ou même un conflit interne le collaborateur n’a fait que mettre de l’huile sur le feu ou a mal protégé les intérêts de l’entreprise ou les a tellement bien protégés qu’ils ont perdu le client. Mais on ne lui a jamais expliqué sa marge de négociation ni l’issue attendue à part « régler le problème ».
Le livrable est de bonne qualité à première vue mais pas assez fouillé. D’un autre côté on avait dit au collaborateur « fais moi un topo là dessus ».
Le collaborateur ne connait pas tous les chiffres d’un projet dans les détail avec les taux de rentabilité et d’utilisation de chaque ressource etc, juste les données économiques macro et se fait passer un savon. D’un autre côté on lui avait dit « faisons un point rapide« .
L’office manager organise le pot de rentrée mais c’est soit pas assez qualitatif soit il n’y en a pas assez soit c’est trop cher. Mais on lui avait dit « organise le pot ».
La même office manager organise le déplacement d’un dirigeant. Train trop tôt, retour à une heure où il a une réunion, l’hôtel ne plait pas. Elle passe un sale quart d’heure mais on lui a juste dit d’organiser le déplacement.
Des exemples comme cela on en a tous des dizaines voire plus en mémoire.
Ce qui se passe en fait c’est que le manager ou le dirigeant sait exactement ce qu’il attend, il se dit à lui même « il faut faire ça » et ensuite délègue à quelqu’un en formulant la chose de la même manière.
Vous n’avez jamais remarqué ? Que ce soit en cours ou en fin de réunion ou dans un email ou un tchat lapidaire (le célèbre « merci de …. ») la tâche/mission est confiée en une phrase, une ligne sans autre indication de contexte.
Normal : le manager sait ce qu’il veut mais oublie que la personne à qui il délégue n’est pas lui.
Normal mais totalement inefficace car la personne se retrouve face à deux choix :
1°) Essayer de deviner tout ce qui n’a pas été dit
2°) Demander des précisions au risque de laisser penser qu’elle n’a pas compris, laisser penser qu’elle n’est pas compétente ou, pire, de se faire rabrouer parce que le manager « n’a pas le temps ».
Le manager Vs. ChatGPT
J’entends beaucoup de managers se réjouir de l’arrivée de l’IA car elle va leur permettre d’avoir rapidement les informations et analyses qu’ils n’arrivent pas à avoir de salariés qui ne comprennent jamais rien et sont des crétins.
S’ils ne l’ont pas fait je leur conseille d’essayer dès maintenant.
Quiconque a commencer à se frotter à l’IA, même pour des choses simples, a vite compris quelque chose : si la demande n’est pas claire on obtient quelque chose de qualité discutable et il faut faire de multiples repasses pour affiner et arriver à quelque chose d’acceptable.
J’ai lu une analogie très intéressante sur les IA il y a peu :
« Lorsque j’ai commencé à jouer avec ChatGPT, je n’étais pas sûr de l’usage que j’en ferais. Puis, un jour, alors que je travaillais à distance, j’ai commencé à taper des questions, m’adressant comme je le ferais à un collègue assis en face de moi et m’aidant à réfléchir à de nouvelles idées. Il en est résulté une conversation passionnante qui m’a permis de réduire mon temps de travail et d’améliorer mon produit final. Après m’être familiarisé avec l’outil, j’ai commencé à le considérer comme un partenaire de réflexion omniprésent, ce qui m’a amené à réfléchir à la manière d’intégrer la GenAI dans des équipes non techniques. J’ai réalisé que l’intégration de GenAI n’est pas si différente de l’ajout d’un nouveau membre à l’équipe. »
Fast Company – How to transition nontechnical teams to use GenAI
J’ai vraiment trouvé l’idée de faire comme si on ajoutait un nouveau membre à l’équipe très juste et pertinente.
Il y aussi l’idée l’implicite qu’il a compris qu’il devait se faire comprendre de l’IA.
Et bien votre collaborateur ou votre stagiaire n’est pas si différent de ChatGPT : si vous ne vous faites pas comprendre de lui il ne pourra rien faire de bien pour vous.
Mais pour beaucoup de manager une différence existe dans leur tête : ils ont compris qu’il fallait dompter ChatGPT alors qu’ils partent du principe que leurs collaborateurs vont naturellement comprendre sans connaitre les tenants et les aboutissants
On pourrait même dire que l’absence de lien hiérarchique avec l’IA crée une relation plus équilibrée pour ne pas dire saine.
Et pour en revenir au fait que certains managers pensent que tous leurs collaborateurs sont mauvais on a plutôt la preuve que leur incompétence présumée est proportionnelle à l’incapacité du manager à se faire comprendre.
Sachez prompter vos équipes
Donc le manager qui a compris que c’était à lui de faire l’effort d’être compris par ChatGPT a appris à lui parler, à lui donner des instructions. Ce qui dans le jardin de l’IA se dit écrire un prompt ou prompter.
Sans avoir la prétention d’être un expert sur le sujet qui est beaucoup moins simple qu’il ne semble à prime abord, voici quelques règles pour un bon prompt :
Clarté et spécificité : Plus le prompt est spécifique, plus la réponse sera pertinente. Il est important de bien préciser le contexte et les attentes. Par exemple, au lieu de demander « Explique l’IA », on pourrait dire « Explique comment l’IA améliore la productivité dans les entreprises ».
Contexte : Inclure des informations contextuelles qui peuvent aider à affiner la réponse. Par exemple, « Décris les avantages de l’IA dans le secteur de la santé en 2024 » offre un cadre plus précis. Exemple « c’est pour une présentation à mon patron » ou « c’est pour écrire un article de vulgarisation sur linkedn »
Objectif : Dire à quoi va servir la réponse aide à la rendre plus pertinente sur le fonds et la forme. Exemple « c’est pour une présentation à mon patron » ou « c’est pour écrire un article de vulgarisation sur linkedn »
Format souhaité : Indiquer le type de réponse attendu (paragraphe, liste à puces, tableau, etc.) ainsi que la longueur permet d’orienter la réponse. Par exemple, « Fais une liste des avantages et inconvénients du télétravail ».
Désambiguïsation : Éviter les formulations vagues ou ambiguës pour réduire le risque de recevoir une réponse hors sujet.
Tonalité et style : Préciser la tonalité (formelle, informelle, technique) ou le style (persuasif, descriptif) si c’est pertinent pour le contexte.
Je pense que d’autres pourront fournir un guide technique très précis de l’écriture du prompt parfait mais ma conviction profonde est que si au lieu de donner une instruction lapidaire d’une ligne le manager prenait le temps de donner les éléments de contexte, préciser ses attentes sur le fonds et la forme, ses intentions et d’éventuelles contraintes il serait moins déçu par le travail de ses collaborateurs.
L’auteur de l’article disait qu’il fallait considérer l’IA comme un nouveau membre de l’équipe mais d’une certaine manière il faudrait peut être considérer certains collaborateurs comme une IA, surtout les moins expérimentés et ceux avec qui on a le moins de vécu commun.
Mais peu importe le référentiel dont on se sert l’idée est bien que, entre être humains, on surestime souvent soit la capacité des autres à deviner nos pensées ou notre propre capacité à être clairs.
Leçons tirées de l’agilité
je faisais référence à ChatGPT car c’est un sujet à la mode mais par le passé j’avais été inspiré par quelque chose de plus ancien lorsqu’il s’agissait de formaliser des instructions : les user stories.
Leur principe repose sur la création de courtes descriptions ou scénarios exprimant les besoins d’un utilisateur ou d’un client dans un projet, souvent dans le contexte du développement logiciel, en se concentrant sur la valeur ajoutée qu’une fonctionnalité ou un service doit apporter.
Si c’est dans l’industrie du développement que j’y ai été exposé et sensibilisé, j’ai vite compris qu’on pouvait les appliquer à autre chose.
Lors de la mise en place d’une démarche d’amélioration continue qui n’avait rien à voir avec un quelconque développement j’avais identifié l’agilité comme critère d’acceptabilité de la démarche avec ceux qu’elle allait concerner : avancer vite par petites itérations en créant ensemble la vision cible.
Mais au moment de distribuer les tâches à chacun (moi y compris) il importait qu’on soit vraiment alignés sur les attentes. Toutes les personnes concernées pratiquant l’agilité dans le cadre de leurs fonctions on a logiquement fini avec une formulation proche de celle d’une user story, quand bien même l’objectif n’était pas de développer quoi que ce soit mais davantage de modifier des process et des choses liées à l’organisation et méthodes de travail.
Je rappelle les caractéristiques d’une user story pour ceux à qui le concept est étranger.
Perspectives centrées sur l’utilisateur : Elles sont écrites du point de vue de l’utilisateur final (client, employé, etc.) afin de s’assurer que le résultat final répond à ses besoins réels.
Simples et concises : Les user stories sont intentionnellement courtes et claires, sans entrer dans les détails techniques. Elles décrivent ce que l’utilisateur souhaite accomplir et pourquoi cela est important pour lui.
Centrée sur la valeur métier : L’accent est mis sur la valeur que la fonctionnalité ou l’amélioration apportera à l’utilisateur ou à l’organisation.
Itératives et évolutives : Les user stories sont souvent complétées ou ajustées au fil du projet. Elles évoluent à mesure que l’équipe développe une meilleure compréhension des besoins et des priorités de l’utilisateur.
Critères d’acceptation : Chaque user story est généralement accompagnée de critères d’acceptation, qui sont des conditions spécifiques qui doivent être remplies pour que l’histoire soit considérée comme complétée.
Cela peut sembler très formel mais ça a le mérite d’être exhaustif et si vous formulez une demande de cette manière le risque que ce que vous obteniez soit aux antipodes de vos attentes est faible, peu importe le domaine auquel vous l’appliquez.
Mais autant on sent intuitivement que c’est à nous de faire les efforts pour être compris par une IA, que dans le cadre d’un projet aux multiples intervenants provenant de différents métiers il faut une manière très simple mais structurée de formuler ses attentes, autant lorsqu’on s’adresse à une autre personne on a tendance à lui passer la patate chaude sans faire d’effort et, sans surprise, on est souvent déçu par le résultat.
Conclusion
Par manque de temps, de respect, d’attention ou je ne sais quelle raison trop de managers ont tendance à être expéditifs dans leurs demandes quitte à être incompris, être déçu par le résultat et finalement reporter la faute sur les autres.
Ou peut être ne savent ils pas ce qu’ils veulent et espèrent que quelqu’un trouvera pour eux ?
Quoi qu’il en soit un effort doit être fait pour qu’instructions et demandes soient formulées de manière claire et non ambiguë.
Je ne dis pas que si on est capable d’écrire un bon prompt on sera un bon manager mais j’ai des doutes que quelqu’un qui en soit incapable soit capable de se faire comprendre et donner des instructions claires.
Image : manager utilisant chatGPT de Celia Ong via Shutterstock