On n’a jamais été aussi bien outillés pour collaborer et être plus productifs sans que cela ne se vérifie dans les chiffres.
On sait bien que la collaboration est une affaire de pratiques avant d’être une affaire d’outils mais les entreprises semblent persister à croire que la technologie est autoporteuses.
Or rien n’y fait : on empile les outils, on les utilise mal (Outils collaboratifs en entreprise : de la confiture aux cochons ?), ce qui crée des dégats réels (Infobésité Numérique : Quand les Outils de Collaboration Dégradent Productivité, QVT et Amplifient la Charge Mentale).
Zoom vient de sortir un rapport qui dresse un état des lieux peu engageant.
Note : quand une étude est sponsorisée par une entreprise qui a quelque chose à vendre il y a bien sûr toujours un message commercial caché mais ça n’enlève rien à la réalité des chiffes.
Surcharge de réunions et d’applications
La collaboration est souvent entravée par un excès de réunions et une surutilisation des applications. Les dirigeants et managers qui utilisent plus de 10 applications passent en moyenne deux fois plus de temps à résoudre des problèmes de collaboration que ceux qui en utilisent moins de cinq.
Ce phénomène engendre des « pertes de temps cachées » dues à des réunions qui manquent de clarté ou de but précis, ce qui a un coût important en productivité. Par exemple, pour une entreprise de 1 000 employés, si un tiers des managers passe une heure pour régler un problème dû à une collaboration inefficace le cout annuel est de 874 000 dollars.
Sinon on a une fois de plus la preuve que la multiplication des outils disperse l’attention et nuit à la collaboration et que les réunions servent malheureusement à tout sauf à collaborer.
La messagerie instantanée est le premier canal de collaboration
La messagerie instantanée est plébiscitée par les employés et les dirigeants pour sa rapidité et son efficacité, devançant les réunions en personne, qui, bien que reconnues pour leurs avantages en termes de créativité et de connexion, sont jugées chronophages.
Parmi les outils asynchrones, employés et dirigeants apprécient particulièrement les outils de gestion de projets et les documents partagés, qui permettent une collaboration flexible sans besoin de synchronisation constante.
Les générations plus jeunes (Millennials et Gen Z) montrent une préférence accrue pour ces méthodes asynchrones.
Un peu étonnant quand on voit la surutilisation de l’email et des listes de diffusion mais par contre le goût des plus jeunes pour l’asynchrone est un vrai sujet, non pas parce que c’est inefficace mais en raison des écarts de pratiques avec les autres qui peut faire que chacun reste enfermé dans son propre canal.
L’IA aurait un impact positif sur la productivité
Les équipes qui utilisent des outils d’IA rapportent des gains de productivité notables. Les dirigeants utilisant l’IA déclarent accomplir des tâches plus rapidement (+7 % par rapport à l’année précédente), être plus productifs (+6 %), et fournir un travail de meilleure qualité (+5 %).
L’IA est particulièrement appréciée pour les collaborations asynchrones, car elle aide à organiser le partage d’informations, à automatiser les suivis et à simplifier la création de contenu (comme les résumés de réunions).
Je demeure toutefois un peu sceptique quand on parle des gains de productivité liés à l’IA.
Tout d’abord parce qu’un gain de productivité individuel ne veut pas dire un gain collectif ou au niveau d’un process (IA en entreprise : aller au delà de l’augmentation pour enfin transformer) et ensuite parce qu’accélérer une organisation dysfonctionnelle ne fait que vous envoyer dans le mur à plus grande vitesse (AI Reasoning Is Cool, But First How Can We Tackle Organisational Debt).
Mais comme Zoom a inclus de l’IA dans ses produits ce discours n’est pas surprenant.
Les différences générationnelles ont un impact sur les méthodes de travail
Le rapport montre que les préférences en matière de collaboration varient selon les générations : les Baby Boomers préfèrent les réunions en personne, tandis que les Gen X, Millennials et Gen Z se tournent vers des outils plus flexibles et numériques. Gen Z est la génération la plus susceptible de privilégier les échanges en messagerie instantanée pour leur rapidité et efficacité, au détriment des réunions physiques.
Selon l’étude cette divergence souligne l’importance pour les entreprises de proposer une gamme d’outils et de méthodes de collaboration pour s’adapter aux différentes préférences générationnelles, ce qui est surprenant puisque qu’elle dit également que trop d’outils nuit à la collaboration.
Et bien que chaque génération ait ses préférences, si on ne veut pas que chacune discute dans son silo il serait peut être préférable que l’entreprise impose une gouvernance claire et pédagogique qui explique quel outil est le plus approprié pour quel usage et dans quel contexte.
En tout cas et au delà des questions de collaboration et de productivité j’y vois peut être une cause d’un mal humain plus profond (La Solitude des Seniors dans les ESN : Réalité ou Déconnexion avec la Nouvelle Génération ?)
Le défaut de collaboration a un coût
Les coûts d’une mauvaise collaboration sont élevés, notamment en raison du temps perdu à résoudre des problèmes internes de communication et de coordination. Près de 37 % des dirigeants et 27 % des employés passent au moins une heure par jour à régler des soucis de collaboration, comme les réunions sans résultat, les suivis de projets ou les malentendus dans l’équipe.
Chaque heure passée à régler ces problèmes peut représenter une perte annuelle significative pour les entreprises, atteignant par exemple 16 491 dollars par dirigeant ou manager.
Rien de vraiment nouveau ici même si depuis le temps ça n’a pas poussé les entreprises à rationaliser leurs pratiques.
Quelques pistes pour mieux collaborer
L’étude termine bien sûr par quelques recommandations où l’on sent bien la patte de l’éditeur de logiciel.
- Réduction des applications : Consolider les outils pour réduire la complexité et éviter le « burnout » des applications est crucial. Une plateforme unique offrant diverses fonctionnalités (messagerie, gestion de projets, documents partagés) pourrait réduire les problèmes liés à l’excès d’applications.
Quelle surprise vu que c’est ce qu’essaie de vendre désormais Zoom depuis le rachat de Workvivo et la tentative d’attirer les anciens clients de Workplace (Clap de fin pour Workplace by Meta : est-ce grave ?)
Promotion des outils asynchrones et de l’IA : Encourager l’utilisation d’outils de collaboration asynchrones, en particulier avec des fonctionnalités d’IA, pourrait libérer du temps pour des activités plus stratégiques. Des solutions comme l’IA générative peuvent aussi composer des résumés et des messages de suivi pour alléger la charge de travail des dirigeants.
Quand on vend des marteaux on aime bien que tous les problèmes ressemblent à des clous.
Adaptation aux préférences générationnelles : Comprendre les préférences des employés en fonction de leur génération permettrait aux entreprises d’optimiser les méthodes de travail et d’encourager une utilisation plus judicieuse des outils de collaboration.
A moins que ça ne recrée des silos générationnels qui commencent dans les outils et se propagent dans la vie réelle ?
Conclusion
Je retiens trois choses de cette étude.
La première, sans surprise, est qu’il s’agit d’un document à vocation marketing qu’il faut donc débiaiser. Oui la technologie permet de faire pleins de choses mais les leviers de productivité sont ailleurs (Télétravail et productivité : et si on repensait les vrais leviers d’efficacité ?)
La seconde, mais ça on le sait, c’est que mal utilisée la technologie non seulement ne résout pas de problème mais en créée de nouveaux.
La troisième est le risque d’isolement générationnel qui peut commencer dans les outils et se propager ensuite dans la vie réelle.
Image : collaboration digitale de izkes via Shutterstock.