Le plus souvent vos salariés ne partent pas : ils ne restent simplement pas

Même si la grande démission est désormais de l’histoire ancienne la rétention des talent reste un vrai problème pour les entreprises, ne serait-ce que parce que la pénurie de talent continue de toucher de nombreux secteurs et qu’un talent qui part est toujours un problème de recrutement à venir.

Pendant longtemps il a été souvent été considéré que celui qui démissionnait était celui qui abandonnait les autres et on le traitait avec le minimum d’égard. Les choses on évolué, parfois sous la pression du marché et de la prise de conscience de ce que coutait un départ de manière directe ou indirecte et on s’est mis à conduire des « entretiens de sortie ».

Ces entretiens ont deux buts : un souvent affiché qui est de comprendre pourquoi un salarié part, l’autre plus implicite est d’essayer de lui laisser une dernière bonne impression afin de ne pas saborder la marque employeur sur un marché concurrentiel où la voix des salariés est plus crédible que celle des entreprises (Votre expérience employé est votre marque employeur).

Je vois deux problèmes avec ces entretiens de sortie :

1°) Ils permettent de comprendre pourquoi cet employé est parti mais il y a tellement de variables personnelles dans une décision qu’il est difficile d’en tirer des généralités s’appliquant à tous les autres employés pour les retenir dans le futur.

2°) Pour cet employé il est déjà trop tard. L’entretien ne permettra pas de le conserver.

Qu’est ce qui décide un salarié à partir ?

J’ai vu récemment un travail sérieux qui a été mené quant aux raisons qui poussent les salariés à rester et celles qui les amènent à démissionner.

Si ses conclusions ne surprendront personne il a le mérite de confirmer des choses que, je l’espère, tout le monde a déjà compris (
Why Employees Quit).

Ce qui retient les employés :

  1. Engagement dans le travail et reconnaissance : Les employés restent lorsqu’ils se sentent appréciés et reconnus pour leurs contributions, comme illustré par la pratique des “stay conversations” où le manager vérifie régulièrement si l’expérience de l’employé est positive.
  2. Opportunités de développement et de croissance : Le fait d’avoir des discussions sur l’évolution de carrière et de se sentir soutenu dans son développement professionnel est un facteur important de rétention.
  3. Équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle : Les employés attachent de l’importance à un bon équilibre entre le travail et la vie personnelle, et apprécient les managers qui reconnaissent cette importance.
  4. Écoute et authenticité : Les employés restent lorsque leur manager écoute sincèrement leurs préoccupations et tente de comprendre leurs besoins, même si toutes les demandes ne peuvent pas être satisfaites immédiatement.

Ce qui pousse les employés à démissionner :

  1. Manque de soutien et d’interactions significatives avec le manager : Le cas de Rana montre qu’un manque de discussions sur des sujets autres que les tâches quotidiennes (comme le développement de carrière ou des préoccupations personnelles) peut conduire à la frustration et, éventuellement, au départ.
  2. Absence de perspectives de croissance : Lorsqu’un employé a l’impression de stagner ou de ne pas progresser dans sa carrière, il est plus susceptible de chercher des opportunités ailleurs.
  3. Sentiment de surcharge de travail : La surcharge de travail, sans temps pour accomplir ses tâches principales pendant les heures normales, mène à l’épuisement et à l’insatisfaction.
  4. Ignorance des promesses implicites : Les employés peuvent exprimer des frustrations qui cachent un besoin plus profond (comme un engagement à réaliser un travail de qualité ou un désir de progresser), et l’ignorance de ces “promesses cachés” peut les pousser à partir.
  5. Déclencheurs de risque de départ : Les changements de manager ou de responsabilités sont identifiés comme des moments où les employés sont plus enclins à chercher d’autres emplois.

Aucune surprise : ce qui pousse les salariés à partir est l’inverse de ce qui les amène à rester.

Plus intéressant est le déclencheur : beaucoup de personnes se questionnent sur leur avenir dans leur entreprise mais à un moment il y a un élément qui va déclencher la démission.

Ici on nous dit qu’il s’agit d‘un changement de manager ou de responsabilités, ce qui se comprend. Il s’agit en général du début d’une nouvelle étape et si on est insatisfait ou en proie au doute dès le départ on ne peut pas se projeter jusqu’à l’arrivée.

Mais j’en ajouterai un autre que j’ai souvent constaté et sur lequel l’entreprise n’a aucune prise : les conversations qu’une personne peut avoir sur sa carrière, son travail, sa rémunération avec ses proches et qui vont déclencher l’acte de démissionner. On sous estime la pression sociale réelle ou juste perçue qui résulte de la comparaison avec des amis et, plus encore, avec le conjoint. Ca n’est pas tant sa propre situation qui va être directement le motif de départ mais le regard des autres.

Qui ne dit mot n’acquiesce pas

Ce même article suggère de pratiquer des entretiens de « maintien », à l’opposé des entretiens de départ, qui permet d’identifier l’existence de cause de démission, ou plutôt leur perception, avant l’événement déclencheur.

La notion de perception est ici importante à mon avis : la cause de démission peut exister objectivement mais le salarié peut ne pas lui donner encore d’importance ou ne pas la voir, mais il peut aussi avoir une perception erronée de sa situation.

J’entends beaucoup de managers me dire « untel est super, il fait son job, ne se plaint ni ne récrimine jamais« .

Pour moi c’est au contraire un facteur d’alerte : ces salariés sont ceux qui vont vous quitter sans que vous ne voyiez rien venir du jour au lendemain et leur décision sera irrévocable. Ca n’est pas parce qu’ils ne disent rien qu’ils n’en pensent pas moins, c’est juste leur personnalité et ils s’attendent à ce que vous fassiez votre travail de RH et de manager qui est justement de les comprendre et d’anticiper.

Si vous décidez qu’il faut se plaindre pour mériter votre attention et que, sinon, vous ne vous préoccuperez pas d’eux vous envoyez un signal assez dommageable :ils ne méritent que vous vous intéressiez à eux qu’à partir du moment ou vous pouvez être un problème pour eux. Quant à leurs problèmes à eux…

Quant à ceux qui ne cessent de dire « je vais démissionner » j’ai remarqué qu’ils étaient ceux qui le faisaient le moins. Pourquoi ? J’ai fini par conclure, mais ça n’est que ma propre expérience, que ce sont des salariés très engagés, qui aiment l’entreprise et leur travail, et ça n’est qu’un cri du coeur qui dit « je t’aime mais j’ai besoin d’un peu d’attention en retour« .

Mais finalement les deux profils ont quelque chose en commun : ils veulent de l’attention et on a tout gagner à faire attention à eux et parler d’eux avec eux (pas de leurs objectifs, de leurs projets, de leur performance, juste d’eux) peut être une fois ou deux dans l’année ou si on sent ponctuellement que quelque chose ne vas pas (How to Ask Whether an Employee Is Happy at Work).

Le travail est un produit qu’on améliore sans cesse

Pour le coup c’est une idée qui, je pense, va prêter à controverse chez nombre de puristes mais je souscrit à l’idée que le travail est un produit que le salarié s’achète pour répondre à ses besoins (Reimagining Work as a Product)

« En s’inspirant de la théorie des tâches à accomplir de Clayton Christensen, qui postule que les gens « engagent “ des produits ou des services pour répondre à des besoins spécifiques dans leur vie, que se passe-t-il lorsque les managers se demandent : ” Qu’est-ce que les employés embauchent dans leur travail pour qu’il le fasse pour eux ?

[…]

Au sein des entreprises, il existe des équipes spécialisées qui se consacrent exclusivement à la création d’informations sur les clients et à l’amélioration de l’expérience client », écrit Stephan Meier, professeur à la Columbia Business School, dans son nouvel ouvrage intitulé The Employee Advantage, qui traite de l’expérience des employés d’Eli Lilly. « Un niveau d’attention similaire doit être accordé aux employés et à leur expérience ».

[…]

Jessica Zwaan, directrice de l’exploitation chez Talentful, suggère que toutes les entreprises – et pas seulement celles de la gig economy – considèrent le travail non seulement comme un produit, mais aussi comme un produit d’abonnement. Les gens prennent une décision d’achat chaque mois lorsqu’ils choisissent de rester employés et peuvent annuler cet abonnement à tout moment

[…]

Pour mieux comprendre ce qui pousse les salariés à « acheter » leur travail chaque jour[…]. Ses résultats révèlent que leurs besoins vont bien au-delà des facteurs couramment évoqués, tels que le revenu, la raison d’être et l’appartenance. Par exemple, certains employés déclarent embaucher leur travail pour résoudre des problèmes intéressants, disposer d’outils et de matériaux pour construire, remettre les choses en ordre, se produire sur une scène avec un public enthousiaste, « réparer » ce qui fonctionne pas dans l’entreprise, se mesurer à des adversaires de valeur, travailler en équipe pour amplifier leur contribution, disposer d’une plateforme pour améliorer le monde ou avoir l’occasion de laisser un héritage professionnel. Certaines personnes souhaitent que leur travail leur permette d’échapper à une vie familiale monotone ou difficile, de passer du temps avec leurs amis, de structurer leurs journées, de se réfugier face des difficultés personnelles, de rembourser une dette à la famille qui les a aidés à arriver là où ils sont, ou de voir ceux qui les entourent briller. Même lorsque les salariés parlent de leur rémunération – une raison évidente de choisir de travailler – ils évoquent souvent des motivations plus profondes, telles que prendre soin de leur famille ou montrer aux autres qu’ils sont à la hauteur de leur potentiel.

Ces raisons profondes qui motivent le choix d’un emploi n’apparaissent généralement pas dans les instruments traditionnels de gestion des ressources humaines.

[…]

Les managers qui adoptent cette approche tentent de trouver un équilibre entre les besoins en main-d’œuvre de l’entreprise et ce que chaque employé trouve le plus gratifiant« 

Je reviendrai plus en détails sur ce concept dans le futur car je suis certain que c’est vraiment une approche qui fonctionne (je l’ai moi même très partiellement employée) mais qu’elle ne pourra pas ne pas susciter de vives réactions en raison du changement de paradigme qu’elle suppose.

Mais voilà où nous en sommes : comme une entreprise écoute en permanence ses clients pour améliorer ses produits afin qu’ils continuent à les acheter, elles doivent faire pareil avec le travail pour qu’il continue à faire ce que les employés en attendent.

Les entreprises ne savent pas pourquoi leurs salariés restent

En fait on ne cesse de répéter la même chose avec des angles différents depuis le début de cet article.

Qu’est ce qui fait que vous arrêtiez d’acheter un produit, que vous arrêtez votre abonnement à un service ? Il ne vous procure plus ce que vous attendez ou ne semble pas mériter les efforts faits pour vous le payer.

C’est pour cela que les entreprises et notamment les plateformes numériques utilisent une foule de procédés pour toujours s’adapter à vos attentes.

Vous ne prenez jamais vraiment la décision d’arrêter mais vous ne voyez plus le bénéfice, la valeur, que vous tireriez du fait de continuer.

Avec le travail c’est un peu pareil : on ne démissionne pas, on ne nous donne juste aucune raison de rester.

En changeant de paradigme, en essayas de comprendre ce qui fait, profondément, que chacun ait envie de rester on évite d’avoir un jour à essayer de comprendre pourquoi ils sont partis alors que le mal est déjà fait.

Conclusion

Plutôt que la notion vague et généraliste d’engagement j’adhère volontiers à celle de « raison de rester » qui doit être traitée de manière très individualisée et réactualisé à intervalle régulier. Cela va au delà des carrières et des rémunérations et touche aux aspirations cachées, qu’on n’essaie jamais de faire exprimer, à ce que les gens attendent vraiment de leur travail pour eux. Et parfois ce sont des choses très simples, peut être un détail pour nous mais il compte beaucoup pour eux.

Ces raisons on ne vous les donnera pas si vous ne cherchez pas à les connaître. Et on ne vous les donnera pas davantage lors de l’entretien de départ.

Changement de paradigme pour les RH et les managers certainement mais un jour vient où on ne peut cacher les limites d’un modèle à bout de souffle.

Mais à l’ère du feedback (Feedback et données secondaires : comment mettre la data au service de l’expérience employé ?) et de l’organisation quantifiée (L’organisation quantifiée : Graal ou Big Brother ?) on ne manque pas de moyens de piloter cela à condition de changer d’état d’esprit.

Mais cessons de prendre le problème par le mauvais bout : un employé ne part pas, il décide juste de ne pas rester.

Image : démission de shisu_ka via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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