Les outils collaboratifs ont envahi notre poste de travail et notre quotidien avec la promesse de transformer la manière dont on travaille et augmenter notre productivité car, c’est bien connu, mieux collaborer c’est être plus efficaces.
Mais n’y a-t-il pas un abus de langage en la matière qui nous induit en erreur ?
En français on dit le plus souvent « outils collaboratifs » ou « intranet collaboratif » là où les anglo saxons disent « outils de collaboration » (collaboration tools) et non pas « collaborative tools ».
Un peu comme si les uns pensaient que les outils collaboraient par eux mêmes sans intervention humaine là où les autres les désignent par l’objectifs pour lequel ils sont utilisés par des humains.
Peut être que l’IA fera peut être en sorte qu’un jour les outils collaborent sans nous mais nous n’en sommes pas encore là.
Une réflexion linguistique que je ne mènerai pas plus loin car j’ai l’impression que peu importe la langue des utilisateurs on s’en sert toujours aussi mal (Outils collaboratifs en entreprise : de la confiture aux cochons ?).
Mais peut être que le plus grand abus de langage est simplement d’utiliser le mot collaboration pour en parler.
Les outils de collaboration ne sont pas utilisés pour collaborer
Qu’est ce que la collaboration ?
La collaboration implique généralement un travail conjoint et coordonné pour atteindre un objectif commun, où chaque membre apporte ses compétences et idées dans un processus interactif. Les membres d’une équipe collaborative travaillent de manière interdépendante : ils construisent ensemble les solutions, partagent les responsabilités et contribuent activement à un projet commun.
Collaborer c’est échanger et s’organiser pour accomplir quelque chose ensemble.
Elle se distingue de la coopération qui consiste en un travail parallèle et coordonné (Ne pas confondre travail d’équipe et parallélisation du travail), mais sans nécessairement une interdépendance des tâches. Chaque membre peut travailler sur une partie distincte ou indépendante du projet, mais en suivant des directives communes. Les contributions sont ensuite assemblées pour former le produit final. La coopération est plus structurée et repose sur une division des tâches, où chaque personne ou groupe est responsable de son domaine, et l’interaction directe est parfois moins fréquente.
Communiquer n’est pas collaborer
Mais nous servons nous de ces outils pour collaborer ou coopérer ? En général ni l’un ni l’autre : on s’en sert pour communiquer.
Envoyer un email ? C’est communiquer.
Envoyer un chat ? C’est communiquer.
Organiser une réunion ? Le plus souvent c’est pour informer et cela sert davantage les objectifs de l’organisateur que celui des participants.
Partager un fichier ? Déjà beaucoup de gens n’ont pas encore compris qu’un fichier ne s’envoie pas mais se partage mais en général c’est juste transmettre une information.
Communiquer peut être un préalable nécessaire à la collaboration mais très souvent ça ne sert que l’objectif de l’émetteur. Et quoi qu’il en soit la notion de travail conjoint et coordonné est totalement absente.
La vérité c’est que ce qu’on appelle collaborer n’est en fait qu’envoyer massivement des message unidirectionnels qui au lieu de contribuer à la performance collective ne fait que nuire à la performance individuelle pour la simple raison que le traitement de ces messages crée une charge informationnelle insupportable (Infobésité Numérique : Quand les Outils de Collaboration Dégradent Productivité, QVT et Amplifient la Charge Mentale) qui ne laisse aux gens que peu de temps pour faire leur travail :
• La gestion des emails consomme une partie significative du temps de travail : les collaborateurs passent 3h14 par semaine à traiter leurs emails, tandis que les dirigeants y consacrent 10h45 par semaine.
• En parallèle, les réunions accaparent une large part du temps disponible : les dirigeants, par exemple, n’ont plus que 17 % de leur temps de travail pour se concentrer sur des tâches de production individuelle.
Et quand on manque de temps pour faire son travail on en a encore moins pour vraiment travailler ensemble donc on se limite au plus simple : on envoie de l’information et advienne ce qu’il adviendra.
Trop de messages unidirectionnels consomment le temps disponible pour collaborer
Pire : cela ne fait que contribuer au « syndrome du Hamster », inspiré de deux ouvrages de Mike Song et Vicki Hasley (The Hamster Revolution et The Hamster Revolution For Meetings). L’idée sous jacente est que comme le hamster dans sa roue qui plus il coure vite est contraint de courir encore plus vite, plus nous envoyons d’emails plus nous avons de réponses, plus nous avons des réponses à envoyer et ainsi de suite.
Envoyez un email le matin avec 10 personnes en copie vous avez lancé une machine qui produira des dizaines d’emails dans les heures voire les journées qui suivent.
Pire encore : il y a eu des tentatives d’essayer de mesurer l’activité des salariés sur la quantité et non la quantité de leur utilisation de ces outils de soit disant collaboration (Comment inciter vos collaborateurs à brasser du vent au lieu d’être productifs (merci Microsoft)).
Mais dans cette accumulation de messages unidirectionnels et de réunions qui ne nous laissent plus de temps pour travailler il n’y a que très peu de choses qui relèvent vraiment de la collaboration, c’est à dire s’organiser et travailler ensemble pour atteindre un objectif commun.
On communique beaucoup, on coopère peu, on ne collabore presque pas.
Conclusion
Finalement le terme collaboratif est on ne peut plus galvaudé.
Le principal problème avec des outils collaboratifs c’est qu’ils ne servent pas à collaborer mais à communiquer et que leur utilisation repose sur des pratiques individuelles et pas collectives.
Utiliser des outils collaboratifs ne fait pas de nous des gens qui collaborons, c’est la manière dont nous travaillons qui le fait ou non et cela indépendamment des outils qui ne sont que des facilitateurs.
La différence entre outil de collaboration et de communication n’est pas tant une affaire d’outil que de la manière dont nous pensons le travail et utilisons les outils en conséquence.
Image : outils de collaboration de Tada Images via Shutterstock