Digital Workplace : l’heure du coup de balais est venu

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Qu’il est loin le temps de l’intranet monotone qui ne servait pas à grand chose à ses utilisateurs mais satisfaisait le besoin en communication de l’entreprise.

Aujourd’hui et malgré toutes les réticences la promesse de la digital Workplace est tenue : il existe un vrai environnement numérique dans lequel le collaborateur peut vivre sa vie dans l’entreprise.

La digital workplace est désormais une réalité

Par vivre sa vie j’entends faire son travail, gérer les aspects administratifs de sa vie dans l’entreprise, communiquer, collaborer, socialiser.

C’est peut être évident pour vous mais je me souviens d’une époque où j’entendais « on ne va quand même pas donner des adresses email à tout le monde ! imaginez qu’ils commencent à écrire à des supérieurs hiérarchiques?  » puis « il est hors de question qu’un salarie publie quoi que ce soit sans un circuit de validation préalable« . Remarquez au même moment on entendait aussi « le Saas ? C’est hors de question« .

Bref aujourd’hui on parle pour 2024 d’un marché de 48,81 milliards de dollars (Digital Workplace Market Size & Trends)

Bref.

La digital workplace s’est donc développée de manière plus ou moins ordonnée mais par chance (ou pas) la concentration du marché autour de quelques acteurs a permis un développement relativement cohérent.

Mais c’était sans compter sur deux facteurs.

Le goût des salariés pour le shadow IT

L’offre des éditeurs s’améliore, les entreprises ont bien compris de la consumérisation des outils de travail est inévitable, le Saas réduit les temps de déploiement mais il n’empêche de le salarié reste une personne qui dans son cadre personnel a ses petites habitudes, découvre des choses qui lui plaisent et qu’il aime les retranscrire dans son environnement de travail.
Autrement dit s’il trouve un outil qui fait soit quelque chose que ne font pas les outils de l’entreprise soit qui le fait mieux il essaiera de le faire rentrer et l’utiliser sous le radar.

C’est vieux comme le monde et d’ailleurs on y est à nouveau confrontés avec l’IA (Half of workers use unauthorized AI at work and don’t want to quit).

Le COVID : quand les digues de la gouvernance s’effondrent

Le COVID a apporté un coup fatal à cet édifice parfois fragile. Les entreprises n’étaient pas préparées au travail à distance, n’avaient pas fait l’effort d’éduquer leurs salariés aux outils et leur usages à distance (Etes vous vraiment prêts pour tous les cas d’usage du télétravail ?) voire n’avaient pas déployé tous les outils qu’ils avaient sur étagère.

Il a donc fallu faire les choses dans l’urgence et déployer n’importe quoi n’importe comment, parfois même en doublon avec les outils d’entreprise et parfois en baissant les bras et laissant les salariés imposer explicitement ou tacitement leurs propres solutions.

Le meilleur exemple : le succès de Zoom alors que la quasi totalité des entreprises étaient équipées de solutions équivalentes de chez Microsoft ou Google.

Et comme satisfaites de l’offre proposée les entreprises avaient baissé leur garde en termes de gouvernance et ce qui n’était pas optimal mais souvent supportable a fait une sortie de route.

L’ère de la dispersion informationnelle

« Oui j’ai bien vu passer l’information…mais je dois la retrouver« . Une phrase très, trop fréquente.

Je parlais l’autre jour avec une personne qui me disait être au bord d’un burn out informationnel. Non seulement à cause de la quantité d’information en circulation (Infobésité Numérique : Quand les Outils de Collaboration Dégradent Productivité, QVT et Amplifient la Charge Mentale) mais également à cause de sa dispersion.

Il utilise un email, bien sûr.

Pour les réunions Teams est l’outil officiel mais, allez savoir pourquoi, plus de la moitié des réunions se passent sur Zoom.

Teams est également son outil de messagerie mais beaucoup de ses collègues utilisent également WhatsApp en 1:1 ou en groupes. Pourquoi ? C’est arrivé peu à peu et c’est devenu une habitude.

Ah mais il y a également Slack à coté ! Et le manager qui, lui, utilise Message d’Apple et WhatsApp selon son humeur du matin. Sans oublier le collègue geek et parano qui ne jure que par Signal.

Les outils de collaboration sont bien sûr ceux de Microsoft sauf que Notions fait des ravages sous le radar.

Et pour finir l’outil de gestion de projets interne a sa propre messagerie et ses propres espaces de stockage documentaire. Le problème c’est qu’il y a d’ailleurs deux outils de gestion de projets, chacun adressant une partie du sujet. Et chacun avec sa messagerie et ses documents… qui parfois transitent aussi sur WhatsApp en fonction des préférences des uns et des autres.

Est-il un cas isolé ? Je ne le crois pas du tout et je pense que sa situation se rapproche même de la norme.

Bordelic Workplace

En 2023, le travailleur de bureau a utilisé 11 applications pour accomplir ses tâches, contre six en 2019 (Desk workers use nearly twice as many apps as they did in 2019, Gartner finds).

En 2021, 99 % des travailleurs à distance déclarent utiliser en moyenne 4,8 applications de conférence différentes (on voit bien l’effet COVID) (70 Essential Online Collaboration Software Statistics: 2024 Market Share Analysis & Data).

Quant aux entreprises elles déploient en moyenne 16 outils SaaS pour faciliter diverses fonctions telles que la vidéoconférence, le courrier électronique, la gestion de projets et l’analyse de données (The Ultimate Guide to the Digital Workplace: Past History, Current Transformation & Trends Shaping the Future). Selon ma propre expérience c’est une fourchette (très) basse à laquelle on doit ajouter le shadow IT.

L’information est tellement dispersée qu’il devient impossible de la retrouver et même de la suivre (Dans l’enfer des groupes WhatsApp entre collègues). Je ne rentrerai même pas dans les risques du shadow IT en termes de confidentialité des données ou de valeur probante lors d’un conflit avec un client avec lequel il est utilisé !

Le résultat on le connait. Bien sûr il y a la dimension QVT mentionnée plus haut mais un impact incontestable sur l’efficacité et la productivité.

Et on parle des coûts IT inutiles pour l’entreprise en plus des couts humains et organisationnels ?

Il est temps de précéder à un grand nettoyage.

Une gouvernance à revoir

Je n’ai jamais cru aux outils monolithiques et à la promesse du « one size fits all », pour moi il doit y a avoir un outil par besoin et je me réjouissais à l’époque de ce virage impulsé à l’époque par Microsoft avec une logique de spécialisation doublée d’une très forte intégration (La digital workplace : à la fois plus fragmentée et intégrée). Teams incarne peut être le summum de l’exercice pour peu qu’on essaie vraiment de bien l’utiliser.

Par contre il y a une chose à proscrire : une concurrence d’outils pour un même besoin. C’est ce qui est malheureusement en train de se passer, ce qui transforme un outil d’efficacité individuelle et collective en un outil d’inefficacité (Pourquoi votre Digital Workplace nuit à la performance de votre organisation).

Les salariés ne disent pas autre chose quand on leur demande leurs besoins en la matière : simplicité d’utilisation, capacités adaptées à divers cas d’usage (synchrones et asynchrones), et standardisation pour éviter la fragmentation. Et qu’est ce qui coince ? une mauvaise gouvernance et un manque de formation, amplifiés par une adoption rapide lors de la pandémie (What Employees Want From Their Collaboration Tools)

Conclusion

Je ne pensais pas écrire cela un jour mais il est temps que les entreprises reprennent en main leur digital workplace et sa gouvernance. Un outil par besoin et, ensuite une sensibilisation des salariés à « qu’est ce que j’utilise dans quelles circonstances » quand par exemple messagerie, email et téléphone sont en concurrence à un moment donné et où l’intelligence contextuelle primera.

Aujourd’hui les salariés passent trop de temps à subir et rechercher de l’information, parfois sans même réussir à la trouver.

Le coût humain et productif de la mauvaise gouvernance des outils qui est une des causes de leur mauvaise utilisation est aujourd’hui un coût caché qu’on évoque mais sans en tirer les conséquences.

Il serait temps qu’on le fasse.

Image : apps de productivité de Tada Images via Shutterstock.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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