Comment le web appauvrit ses auteurs et ses lecteurs

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Internet et les réseaux sociaux sont un espace d’expression infini et d’ailleurs ont stimulé la production d’information à un point qu’on ne pouvait imaginer avant leur avènement.

Ca n’est pas tellement à internet mais ses usages et outils et notamment les plateformes sociales sous leurs différentes formes qui ont explosé depuis la révolution du « Web 2.0 » ou web social il y a une vingtaine d’années qu’on le doit dans la mesure où c’est cette époque qui a vu l’utilisateur lambda prendre la main sur la production d’information.

On dit souvent que 90% des données mondiales ont été créées dans les deux dernières années. C’est un chiffre tellement récurent qu’il est admis par tous même si je me dis qu’au fil du temps il a certainement augmenté. Je le prendrai donc pour juste car je n’ai jamais entendu personne le démentir.

De l’information au contenu

Ce chiffre est toutefois trompeur : si la masse d’information générée a explosé en quantité cela ne prend pas en compte la qualité ou l’utilité de cette information.

D’ailleurs aujourd’hui on ne dit plus information mais contenu et ce changement de vocable est tout sauf neutre. On ne crée pas de l’information pour informer et être utile mais pour occuper un terrain infini et capter l’attention et les clics.

On n’informe plus on cherche à exister.

On n’essaie pas d’être pertinent mais influent.

On ne recherche plus la reconnaissance mais l’argent.

On ne cherche plus à stimuler la conversation et à lancer une conversations, être lu suffit et générer des clics suffit.

J’aime lire et c’est mon mode d’apprentissage favori de même que l’écriture est, dans l’autre sens, mon mode de communication et de partage favori. Oui j’admets que la vidéo a pris le dessus mais il se sera jamais aussi simple de bookmarquer une vidéo, surligner les points saillants, pouvoir la lire en diagonale comme on le fait avec un texte pour y retrouver le moment, le point précis qui nous intéresse et sur lequel on veut revenir des mois plus tard au moment où on en a besoin.

Or si je compare à ce que je considère comme un certain age d’or qui va du début des années 2000 au milieu des années 2010 je ne peux que noter un appauvrissement notable de ce que je lis aussi bien dans la forme que sur le fons.

Le fléau de l’écriture web

C’est à cette même époque qu’est apparu le concept d’écriture web avec l’idée sous jacente que le web demandait un ton et une forme d’écriture différents des écrits conventionnels.

Je suis d’accord même s’il y a toujours un lectorat pour des choses plus longues et profondes, tout est question de savoir à qui on s’adresse et ce que recherchent ces personnes.

Mais pour des gens qui devaient surtout communiquer je comprends la pertinence de la chose qui a d’ailleurs enrichi nombre de formateurs. Mais je finis par penser qu’on a été trop loin : l’écriture web a entrainé une uniformisation des styles, une perte de qualité et de profondeur dans le propos et in fine cela a éduqué des lecteurs à se contenter de peu, être peu exigeants sur la qualité, voire ne plus être capables de lire ou comprendre un texte long ou une réflexion plus profonde.

Après des années on a fini par avoir des lecteurs web aux demandes moindres qui justifient donc une pression à la baisse sur la qualité de l’écriture.

Mais comment en est on arrivé là ? Cela fait plus de 10 ans que l’idée de ce billet me trottait dans la tête et je prends enfin le temps de m’attarder une dernière fois sur le sujet sans espoir qu’un jour on refasse machine arrière.

Une perte de richesse stylistique

Il reste beaucoup de personnes intéressantes et agréables à lire, bien sûr, mais leur proportion dans les soit disant créateurs de contenus se réduit comme une peau de chagrin.

L’écriture pour le web met souvent l’accent sur des phrases courtes, un vocabulaire simple, et des listes structurées. Il est impossible de ne pas voir que cela a entrainé un appauvrissement du style avec des textes sans nuances, métaphores, ni vraie construction narrative.

En dehors du fait que cela n’éduque pas le lecteur à bien écrire lui même cela fait perdre son identité à l’auteur. Quand je lis un texte des « blogueurs historiques » que je suis depuis longtemps (enfin ceux qui n’ont pas jeté l’éponge justement pour les raisons que j’évoque auquel s’ajoute le pourrissement des réseaux sociaux entre X qui devient n’importe quoi et Linkedin qui se Facebookise) je peux deviner l’auteur après quelques lignes.

Ailleurs j’ai l’impression que c’est la même personne qui écrit partout, sans style ni personnalité. Et l’arrivée de l’IA n’arrangera pas les choses (Désolé pour l’absence…mais je ne voulais pas confier mon audience à n’importe qui).

Des idées fragmentées

On n’écrit plus pour des humains mais pour des algorithmes qui amèneront des humains. La logique est de ratisser large, pas de se dire qu’on va construire un lectorat qui reviendra.

On met donc l’accent sur la scannabilité du texte et on se plie aux désidératas des robots et des algorithmes : on fragmente les idées en blocs ou en liste pour qu’ils les isolent et les comprennent bien.

On y perd de la réflexion, de la fluidité, de la qualité dans l’enchaînement des idées mais ça n’est pas grave : on veut être compris des robots et que le lecteur clique. Qu’il comprenne ou pas ce qu’il lit, qu’il en tire quelque chose ou pas est secondaire.

Résultat : une impression d’incohérence voire de superficialité. Mais est-ce une impression ?

Au temps pour ceux qui recherchent des analyses plus complètes.

N’oublions pas non plus la dimension SEO qui oblige à caser une certaine densité de mots clé quitte à rendre le style maladroit. Mais on écrit pour des robots, plus pour des humains.

Le triomphe du clickbait sur la crédibilité

Toujours dans cette logique du « clic roi » : pour attirer l’attention dans un flux dense, l’écriture web favorise les accroches sensationnalistes et les titres exagérés.

Logiquement le contenu n’est pas à la hauteur de la promesse et la crédibilité de l’auteur et du média en ressort affaiblie.

L’humain se met au niveau de l’algorithme

Les contraintes des algorithmes favorisent les formats qui maximisent l’engagement rapide comme le like, le partage, plutôt que l’approfondissement. Des idées complexes ou nuancées sont sacrifiées au profit d’un contenu plus « populaire » car, une fois encore, l’objectif n’est pas que le contenu apprenne, informe, nourrisse mais qu’il soit facile à consommer pour le lecteur donne un brin de son attention.

Une fois qu’il a vu les publicités et idéalement repartagé un article vide de sens qu’il n’a même pas lu en entier le lecteur a fait son travail.

Un ton insipide et uniformisé

Je parlais plus haut de l’uniformisation des styles mais ça ne vaut pas mieux quand on parle du ton.

Quand on parle de susciter de l’engagement et non de l’intérêt il vaut être positif et jovial que sérieux d’autant plus que le monde dont nous parlons a vite fait de considérer que sérieux et ennuyeux sont synonymes.

Le résultat est un ton parfois artificiel, peu authentique et parfois même totalement décalé par rapport au sujet abordé.

Qu’on parle d’un individu ou d’une marque quand vous êtes lisse vous ressemblez à tout le monde donc finalement vous n’êtes personne et surtout pas vous même.

Une régression de l’engagement intellectuel

L’écriture web se veut immédiatement et rapidement lisible, je dirais même consommable ! Mais le plus souvent cela a un prix : le lecteur ne doit faire aucun effort intellectuel pour vous lire.

Lorsque le lecteur n’a pas à s’engager intellectuellement avec un texte (notez bien que je ne dis pas contenu) ce texte ne laissera aucun impact durable.

Et quand un texte ne laisse aucun impact, qu’il est vite consommé vite oublié, son auteur suit le même sort.

Conclusion

Appauvrissement du fond, appauvrissement de la forme, appauvrissement de l’engagement intellectuel du lecteur, appauvrissement des idées transmises lorsqu’il y en a, l’écriture web a fait beaucoup de mal à l’écriture.

Mais comme elle a réussi dans sa mission de remplir une forme de vide avec une autre forme de vide qui a cependant le mérite d’être monétisable personne ne le lui reprochera jamais.

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Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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