Les managers ont besoin de plus qu’un SIRH

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Pour moi le système d’information RH est un des deux piliers du système d’information d’une entreprise avec le système d’information financier.

Je les mets avant les autres outils métiers. Pourquoi ? Parce que si vous ne pilotez bien ni les le capital humain ni l’argent même avec les meilleurs process et les meilleurs outils métier vous n’irez pas loin ou pas longtemps.

Alors bien sûr ils sont en quelque sorte en bas de la pyramide de Maslow du SI mais je parle pas de leur utilité, de l’intérêt voir du plaisir qu’on a à les utiliser en fonction des sujets qu’ils adressent, simplement parce qu’ils adressent deux fonctions vitales sans lesquelles le reste est futile.

Réfléchissez à la valeur d’une excellente forme physique quand on est aveugle et avec des troubles mentaux et vous comprendrez.

Le SIRH n’a pas la considération qu’il mérite

Mais, j’en conviens, mettre le SIRH aussi bas dans la pyramide est un peu injuste. Il pourrait et devrait être présents à plusieurs étage tant la matière qu’il gère est aussi passionnante qu’essentielle. Ca n’est pas qu’un outil administrativement vital, c’est un outil de développement et de management vital. Ou devrait l’être.

Malheureusement les outils ne sont que ce qu’on en fait avec la vocation qu’on leur donne (Les entreprises connaissent leurs salariés. Vraiment ?).

Devant une pelle certains voient la possibilité d’assommer quelqu’un et d’autre imaginent les arbres qu’ils vont planter dans leur jardin. Une salle deux ambiance, un outil deux usages.

Le passionné que je suis à propos de ce sujet est un ardent promoteur d’un SIRH complet délivrant de la valeur à toutes les parties prenantes mais le manager/dirigeant que je suis est toujours ressorti un peu frustré de son utilisation et je ne suis pas le seul.

Mais le sujet a l’air tabou, entre ceux qui n’osent critiquer un outil qui a couté des sommes conséquentes et ceux qui ont depuis longtemps abandonné ce combat et intégré le fait que c’était un outil administratif au bénéfice des RH et qu’ils n’avaient, eux, que peu de valeur à en tirer.

Bref peu importe le discours des éditeurs sur leur sujet et leur envie de faire changer le SIRH de dimension il reste dans les yeux des entreprises et des utilisateurs un outil administratif et en aucun cas un outil business. Peu importe que ce soit affaire de conception, d’implémentation ou de perception : « perception is reality ».

Faisons un rapide état des lieux de la position des managers face au SIRH.

Le SIRH est centré sur l’administration et non sur le management

La majorité des SIRH sont conçus pour répondre aux besoins des fonctions RH : suivi des congés, gestion des paies, reporting légal, etc. Ces fonctionnalités apportent une valeur ajoutée en matière de conformité et d’administration mais ne répondent que marginalement aux enjeux des managers.

Comment motiver une équipe ? Comment développer les compétences individuelles ? Comment améliorer la collaboration ou résoudre les conflits ?

Exemple concret : le SIRH d’aujourd’hui permet une vraie gestion des talents, aux antipodes de ce qui était bricolé sur des feuilles Excel il y a 20 ans. Mais c’est de manière administrative, voire quasi logistique car on considère la compétence comme un bien.

On liste des compétences, on fait acquérir des compétences, on suit leur évolution, on flèche leurs détenteurs vers certains postes mais rien pour faciliter leur mise en œuvre sur le terrain, ce qui est la mission du manager à travers la manière dont il manage, organise le travail, promeut tel ou tel style de travail, accompagne et suis ses équipes etc.

Les managers n’y trouveront rien ou pas grand chose qui les aidera sur le sujet, pas plus qu’une manière de suivre mesurer l’impact des actions qu’ils tenteraient d’entreprendre sur le sujet.

Ils attendent davantage d’un outil qui les accompagnent dans la gestion humaine au quotidien. Oui on ne parle pas ici de ressources mais de gens qui ont un travail, une mission, un contexte de travail et des émotions.

Le SIRH contient données riches, mais peu exploitables

Les SIRH collectent une quantité massive de données : évaluations de performance, formations suivies, taux d’absentéisme, etc. Cependant, ces données sont souvent présentées sous forme de tableaux ou de graphiques standardisés, sans analyse approfondie ou recommandations exploitables.

Pour un manager, l’accès à ces données brutes peut devenir une source de surcharge informationnelle au lieu d’être un outil d’aide à la décision.

Pire encore le SIRH ne fait pas le lien entre données RH et données métier…

Un manque d’intégration avec les besoins stratégiques

En effet, les SIRH sont rarement alignés avec les priorités stratégiques d’une organisation et encore moins leur pilotage opérationnel.

Par exemple, un manager confronté à une réorganisation peut difficilement s’appuyer sur son SIRH pour identifier les compétences clés, anticiper les tensions dans son équipe, ou mieux gérer la charge de travail.

Le SIRH contient des évaluations mais la performance dans le métier est contenue et mesurée dans le CRM, les outils de gestion de projet etc…les outils où se passent le métier au quotidien.

Par exemple et c’est le cas le plus criant, l’évolution d’un commercial peut être plus ou moins objective, biaisée, voire réalisée avec plus ou moins de soin. Mais cela n’est pas croisé avec les seules données objectives tangibles : celles du CRM. Elles ne disent pas tout mais font tout de même partie du sujet.

Pareillement, si le SIRH pense compétences, le manager veut également une approche en termes de savoirs (L’IA sauvera-t-elle le Knowledge Management ?) et il est fou que certaines réponses innovantes et pertinentes nous soient venus du monde des moteurs de recherche (Le réseau social implicite selon Sinequa).

RH et business vivent chacun dans leur bulle et ça ne sont pas des caches misères comme les HRBP qui y changeront quoi que ce soit (Why it’s time for HR Business Partners 2.0) :

« Parce que, par sa définition même, la fonction RH systémique fait passer les RH d’un statut de prestataire de services cloisonné à celui d’une fonction intégrée et consultative qui s’attaque aux défis les plus pressants de l’entreprise.

D’après notre étude, seules 11 % des entreprises ont une fonction RH véritablement systémique« .

Ou encore (Aligning HR With the Business) :

« Connaître l’entreprise. S’il existe des éléments communs à toutes les entreprises, chaque organisation a une philosophie de fonctionnement différente. Les professionnels des RH doivent savoir comment l’entreprise fonctionne , qui sont ses clients et comment elle gagne de l’argent. »

Et comme les outils suivent la fonction, des fonctions en silo donnent des outils en silo.

Une interface peu intuitive une activité chronophage

Nombre de managers me disent la même chose : de nombreux SIRH souffrent d’interfaces complexes et peu adaptées aux besoins des utilisateurs finaux. Souvent débordés, ils voient ces outils comme des éléments supplémentaires qui alourdissent leur charge de travail au lieu de la simplifier.

Là je ne suis qu’à moitié d’accord mais on a tout de même une leçon majeure à apprendre.

Je ne suis pas d’accord car, comme la plupart des applications d’entreprise, les SIRH ont fait un bon spectaculaire en terme d’expérience utilisateur et d’interface ces dernières années.

Oui ils sont composés d’une foule de modules mais chaque module correspond à un besoin, la question étant davantage de savoir si ce besoin est celui des RH ou des managers et avec quelle facilité le manager peut y trouver de la valeur pour lui.

Enfin la complication d’utilisation d’un outil ne dépend que de celle des process qu’il supporte. Des process compliqués donnent des outils compliqués, pas l’inverse, et on ne peut pas dire que que la simplification des process RH avec une optique « user centric » ou « employee centric » soit encore une norme.

On aurait pu croire que la vague naissante de l’expérience employé continuerait à régler la question mais ça n’est pas le cas : ce sont malheureusement des programmes principalement orientés QVT et quand on y a aborde la question des process RH c’est sous l’angle de la cosmétique autour des process (interface) pas sur le coeur du problème (le process lui-même et le parcours utilisateur dans les outils) (Baromètre 2023 de l’expérience collaborateur : l’expérience employé face à ses contradictions).

Mais comme « quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage » les managers ont vite fait d’inventer des défauts au SIRH pour ne pas s’en servir.

Mais derrière ce semblant de mauvaise foi il faut chercher la vraie cause : le client du SIRH est les RH, c’est à eux d’en tirer de la valeur, le manager n’est là, souvent qu’un contributeur qui l’alimente.

C’est ce que quelqu’un me disait encore récemment : « je passe des heures à rentrer des entretiens d’évaluation mais quelle valeur pour moi ? C’est mon équipe je la connais, je ne tire rien d’aller lire des choses que j’ai écrit moi même !« .

Quand on est pas le client d’un outil on n’en voit pas la valeur pour soi, son utilisation devient chronophage donc on le pare de tous les défauts et on bâcle parfois le travail.

Que manque-t-il au SIRH pour qu’il séduise les managers ?

Il manque quelques choses au SIRH pour trouver grâce aux yeux des managers. Pas grand chose mais des choses qui comptent et qui relèvent parfois de la fonctionnalité, de la conception du produit (les RH ne sont pas seuls clients), de l’implémentation (technique, paramétrage et change management), de la manière dont l’entreprise conçoit ses process et services RH (les éditeurs ne sont pas responsables de tout) et au final de la perception du SIRH qu’auront les managers.

Quelques pistes :

Tout d’abord mettre l’accent sur les compétences humaines. Un manager efficace est avant tout un leader capable d’inspirer, de motiver et de guider son équipe. Les outils numériques devraient donc intégrer des fonctionnalités d’aide au coaching, de simulation de scénarios managériaux ou encore de feedback adaptatif en fonction des interactions avec les collaborateurs.

Ensuite personnaliser les recommandations pour devenir proactif et utile. Les outils devraient proposer des analyses prédictives et des recommandations sur-mesure comme « Si vous augmentez la fréquence des entretiens individuels, le taux d’engagement de votre équipe pourrait s’améliorer de X %. ». Mais pour cela il faut que les outils concernés se parlent et que les données soient partagées alors que trop souvent tout cela vit en silos.

Il est également important d’intégrer les outils dans le flux de travail. Les solutions doivent s’intégrer naturellement dans la routine du manager, par exemple via des applications mobiles intuitives, des notifications intelligentes ou des tableaux de bord personnalisés. Là c’est n’est pas tant de savoir ce que peut faire le SIRH mais ce qu’il fait, quand et comment et pour préoccupation première la pertinence pour le manager et son temps d’attention disponible

Enfin, « last but nos least » aller au-delà de la gestion administrative. Le SIRH doit également aider à gérer les dimensions stratégiques et émotionnelles du management : gestion des compétences critiques, prévention des conflits, ou encore évaluation de la dynamique d’équipe mais pas seulement. Il faut également, notamment à l’ère de l’IA et de la data créer des ponts entre le SIRH et les applications métier.

Conclusion

Les managers jugent le SIRH insuffisant pour répondre à leurs besoins. Ils cherchent pas uniquement à automatiser des tâches ou à accéder à des données brutes : ils ont besoin d’un accompagnement réel, pertinent et stratégique. Pour aller plus loin, éditeurs mais aussi entreprises doivent donc penser à des solutions qui replacent l’humain et le leadership au cœur de la performance managériale tout en faisant le lien avec la performance métier.

Maintenant deux questions se posent.

La première est celle de la performance managériale. Un terme un peu bateau mais au sujet duquel il faudrait s’entendre sur une définition et une manière de la mesurer.

Ensuite reste à savoir comment cette évolution du SIRH pourrait ou devrait prendre forme. Une évolution des solutions du marché ? Une meilleure collaboration entre entreprises et collaborateur dans leur déploiement et le codesign de l’offre RH et de sa mise en œuvre ? Un outil radicalement nouveau au service du manager ? Vers un vrai système d’information managériale ?

J’explorerai ces sujets très prochainement mais je suis curieux d’avoir vos retours sur le sujet.

Image : manager énervé de AriSys via Shutterstock.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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