Steve Jobs est connu pour son obsession pour l’expérience utilisateur, la simplicité, le soucis du détail, sa volonté d’aller au bout de ses idées qui frisait le jusqu’au-boutisme et il n’a jamais été avare de mots sur le sujet. Mais que dirait il ou qu’aurait dit de l’expérience employé ?
L’autre jour on parlait avec des amis des personnes qu’on aurait aimé rencontrer une fois dans notre vie ou qu’on aurait aimer interviewer. Ca fut intéressant, parfois amusant et des idées surprenantes ont même surgi que ce soit au niveau du mix personne/sujet ou des mots qu’on aurait mis dans leur bouche.
Et puis je me suis dit « pourquoi pas?« . Essayer de se mettre dans la peau d’une personne et deviner ce qu’elle dirait sur un sujet ça n’est finalement pas plus bête et certainement intellectuellement plus intéressant que faire une liste de 10 conseil avec liste à puces et un titre accrocheur (Comment le web appauvrit ses auteurs et ses lecteurs).
Donc à tout seigneur tout honneur, j’ai décidé de commencer par Steve jobs.
Moi : Steve…vous permettez que je vous appelle Steve…? … vous avez révolutionné l’expérience client. Pensez-vous que les mêmes principes peuvent s’appliquer à l’expérience employé ?
Steve Jobs : Absolument. Les employés sont le moteur de toute entreprise. Si vous ne soignez pas leur expérience, comment pouvez-vous espérer qu’ils soient capables de créer une expérience client exceptionnelle ?
C’est ce que disait le président de Mercedes-Benz USA il y a longtemps : » Il n’est pas possible d’offrir une expérience client exceptionnelle avec des employés malheureux . ». (Mercedes Benz CEO: Customer Experience is the New Marketing).
La limite de ton expérience client c’est ton expérience employé ! Ca s’appelle la symétrie des attentions et tu devrais connaitre car ça a été inventé en France par l’Académie du Service dans les années 2000.
En plus c’est simple : une bonne expérience employé, c’est comme le design d’un produit : elle doit être intuitive, fluide et inspirante. (A quoi reconnait on une bonne expérience employé ?).
Moi : Justement, comment définiriez-vous une bonne expérience employé ?
Steve Jobs : Une bonne expérience employé, c’est lorsque chaque individu sent qu’il a un rôle à jouer, que son travail a du sens, et qu’il dispose des bons outils pour réussir.
C’est sentir que son entreprise crée le contexte humain et organisationnel qui fait qu’il va réussir au lieu d’être un boulet qu’il traine (L’expérience collaborateur : un levier de transformation au service de la performance).
C’est designer un environnement où les frictions sont minimisées et où les collaborateurs peuvent se concentrer sur ce qu’ils font de mieux : innover, collaborer, résoudre des problèmes.
Nous avons souvent tendance à penser que l’expérience employé se limite à des avantages ou à un joli bureau, mais ce n’est pas ça. Une bonne expérience, c’est quand tout, du processus de recrutement aux outils numériques en passant par la culture d’entreprise, ses process et son organisation, est conçu avec le même soin que le design d’un iPhone.
Pour te citer car j’ai lu avec attention ce que tu as écrit sur le sujet : « L’expérience employé ça n’est pas mettre un spa à côté de la salle de torture mais raser la salle de torture« . (Il faut faire la différence entre « dans le travail » et « au travail » et Le flux de travail, plafond de verre de l’expérience employé).
Moi : Vous parlez de design appliqué à l’expérience employé. Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Steve Jobs : Bien sûr. Prenons les outils de travail, par exemple. La plupart des entreprises bombardent leurs employés de logiciels compliqués, mal intégrés, qui ralentissent plus qu’ils n’aident (Une expérience IT compliquée. Irritant #7 de l’expérience employé). Chez Apple, nous avons toujours pensé que la technologie devait être un facilitateur, pas une barrière. C’est pourquoi, même en interne, nous avons toujours cherché à simplifier les processus, à éliminer les étapes inutiles (La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé).
Mais ce n’est pas qu’une question de logiciels. Un logiciel compliqué c’est le symptôme d’une organisation et de process compliqués. Et à la fin ça crée des esprits compliqués qui à force de lutter contre la dette organisationnelle ne travaillent plus et ne créent plus rien (How to Tackle the Biggest Threat to Your Team’s Growth).
C’est aussi dans la manière dont vous communiquez. Si vos employés doivent deviner ce que l’entreprise attend d’eux, alors vous avez échoué.
Un bon design de l’expérience employé commence par la clarté : des objectifs clairs, des valeurs partagées, et une vision inspirante (De quoi l’expérience employé est-il le nom ?).
Et cela se termine par une communication claire. Tu as vu mes slides lors de mes keynotes ? Ca change des bullets points illisibles de ton CEO non ? Mais souviens toi que pour y parvenir j’ai du créer notre propre logiciel car le produit soit disant leader du marché ne permettait que de faire faire passer des messages à son image. Compliqués à réaliser donc à comprendre.
Moi : Que diriez-vous aux dirigeants qui hésitent à investir dans l’expérience employé, estimant que cela n’a pas d’impact direct sur les résultats ?
Steve Jobs : Je leur dirais qu’ils n’ont rien compris. Quand vous investissez dans l’expérience employé, vous investissez dans la qualité de votre produit, dans votre innovation, dans votre relation avec vos clients, dans votre excellence opérationnelle (L’expérience est le nouveau nom de la qualité et est le fruit de l’excellence opérationnelle, Les travailleurs du savoir, les exclus de l’excellence opérationnelle ? et L’open space n’est pas une usine mais parfois vous devriez le regarder ainsi). Les entreprises qui négligent leurs employés voient souvent cette négligence se refléter dans leurs produits et leurs services.
Regarde ce que nous avons fait chez Apple. Nous avons toujours cherché à attirer les meilleurs talents, non seulement en leur offrant des salaires compétitifs, mais surtout en leur donnant un environnement où ils peuvent s’épanouir et faire leur meilleur travail. Ils veulent sentir que l’entreprise est là pour créer le contexte de travail qui permet leur réussite sans avoir à se battre avec l’organisation pour y parvenir.
Les gens veulent se sentir fiers de ce qu’ils font. Et cette fierté se traduit directement par la qualité de ce que tu offres au monde, qui ne dépend que ce tu offres à vos salariés.
Moi : Vous avez souvent parlé de l’importance de la simplicité. Comment cela s’applique-t-il à l’expérience employé ?
Steve Jobs : La simplicité, c’est l’élimination de tout ce qui ne sert pas un but clair. Dans l’expérience employé, cela signifie éliminer les politiques inutiles, les processus complexes, et les outils qui ne font que créer des frustrations (Smart Simplicity : 6 règles pour gérer la complexité sans devenir compliqué). En somme, encore et toujours, lutter contre la dette organisationnelle.
Compare MacOS et son concurrent historique et tu comprendras vite.
Il s’agit aussi de simplifier la manière dont les gens collaborent. Par exemple, chez Apple, nous avons toujours eu de petites équipes dédiées à des projets précis. Pas de réunions interminables avec 50 personnes. Tu mets les bonnes personnes dans la pièce, tu définis un objectif clair, et tu leur donnes la liberté d’exécuter (Les salariés doivent suivre les process. En êtes-vous sûrs ? et Comment aimer le contrôle et ne pas être un poids pour soi et ses équipes ?). C’est ça, la simplicité appliquée à l’expérience employé.
Moi : Beaucoup d’entreprises parlent d’agilité et d’innovation. Comment pensez-vous qu’elles peuvent favoriser cela à travers l’expérience employé ?
Steve Jobs : L’agilité et l’innovation naissent d’un environnement où les gens se sentent libres de prendre des risques, où ils savent qu’ils ne seront pas pénalisés pour avoir échoué. C’est une question de culture. Mais cette culture ne peut pas être imposée, elle doit être vécue à tous les niveaux.
Et cela commence par la confiance. Tu ne peux pas micro-manager les gens et espérer qu’ils soient créatifs. Tu dois leur donner de l’autonomie, mais aussi des outils et des processus qui leur permettent de se concentrer sur ce qui compte vraiment. Et surtout, tu dois leur montrer que leur travail a un impact. L’innovation, c’est une question de passion. Et la passion ne peut exister que dans un environnement conçu pour cela.
Tu sais la passion c’est comme l’engagement : le salarié ne décide pas en appuyant sur un bouton on/off, il faut comprendre ses motivation personnelles et lui donner des raisons de s’engager, d’être passionné et ensuite tout s’enchaine (Engagement des Employés : Illusion de Performance ou Réel Impact ?).
C’est comme la conception de l’iPhone : on est partis de ce que voulait faire l’utilisateur au travers de la technologie sans chercher à faire un produit riche et lui demander de l’aimer.
Moi : Si vous deviez donner un seul conseil aux dirigeants pour améliorer l’expérience employé, lequel serait-il ?
Steve Jobs : Concentrez-vous sur l’humain et ce qu’il doit accomplir et le reste en découle. Trop souvent, les entreprises se perdent dans des KPI et des processus déconnectés de la réalité des employés. Parlez-leur. Comprenez leurs frustrations, leurs ambitions, leurs besoins (Améliorer le travail d’une équipe : histoire d’une amélioration continue et Changement et transformation ont besoin d’une nouvelle approche). Et ensuite, concevez tout autour d’eux.
C’est comme pour un produit : tu ne crées pas quelque chose parce que c’est cool ou parce que vos concurrents le font. Tu le fais parce que cela répond à un vrai besoin, de la manière la plus élégante et intuitive possible. Fais de même pour tes employés, et tu seras surpris des résultats.
Moi : Steve, pensez-vous que l’expérience employé devrait appartenir aux ressources humaines ?
Steve Jobs : C’est une excellente question. Mon point de vue est que l’expérience employé ne devrait pas être confinée à un département spécifique, même si les RH jouent évidemment un rôle clé. L’expérience employé doit être une responsabilité partagée par toute l’entreprise.
Les dirigeants, les managers, les équipes produits, et même le service informatique — tout le monde doit contribuer à créer un environnement qui favorise la créativité, la collaboration, et le bien-être. Les RH peuvent être les gardiens de la vision et des processus RH, mais ils ne peuvent pas tout faire seuls, se serait-ce que parce qu’ils n’ont pas la main sur tout ce qui relève des processus et de l’organisation du travail (De l’expérience employé à l’excellence opérationnelle : des RH pas si outillés !)
Chez Apple, par exemple, chaque manager était responsable de veiller à ce que ses équipes aient les outils et les ressources nécessaires pour exceller. Ce n’était pas « le boulot des RH », c’était le nôtre, en tant que leaders. Pour moi, c’est là que réside la vraie différence : dans la volonté collective de concevoir une expérience employé exceptionnelle, peu importe votre rôle dans l’organisation et plus vous êtes proches de la dimension concrète du travail et du quotidien plus vous aurez d’impact.
Moi : Merci pour cet échange passionnant, Steve.
Steve Jobs : Merci à Toi. Souviens-toi : tes employés sont tes premiers clients. Conçois une expérience exceptionnelle pour eux, et ils créeront des expériences exceptionnelles pour tes clients tout en étant beaucoup plus efficaces.
Ah, avant que nous terminions… one more thing.
Créer une expérience employé exceptionnelle, ce n’est pas seulement une question de culture ou d’outils. C’est une question de respect. Respect pour les talents, pour le temps, et pour l’humanité de chaque personne qui travaille avec vous.
Imagine un monde où chaque employé se lève le matin, non pas avec l’angoisse de la journée à venir, mais avec l’enthousiasme de contribuer à quelque chose de plus grand qu’eux. C’est ce monde que nous avons essayé de construire chez Apple.
Et tu sais quoi ? C’est possible. Mais seulement si vous tu es prêt à poser une question simple et puissante à tes équipes, tous les jours : « Comment puis-je vous aider à faire de votre mieux ?«
Parce qu’à la fin de la journée, ce n’est pas seulement une question de chiffres ou de parts de marché. C’est une question de laisser un impact durable sur tes employés, sur tes clients, et, pourquoi pas, sur le monde.
N’oublie jamais : les grandes entreprises ne se construisent pas seulement avec des produits, mais avec des personnes.
Moi : Encore une fois merci Steve.
NB : n’ayant jamais eu la chance de rencontrer Steve Jobs vous me pardonnerez certains écarts possibles et approximations avec sa vie, sa personnalité et la réalité même si je me suis documenté au mieux. Mais on est jamais à l’abris de son fameux champ de distorsion de la réalité quitte à essayer de l’utiliser soi-même.
D’ailleurs je ne serais pas surpris d’apprendre qu’il n’avait aucun intérêt pour le sujet de l’expérience employé mais c’était intéressant de se demander ce qu’il en aurait dit si ça avait été le cas.
Image : Tom Coates