Les récentes annonces de Mark Zuckerberg sur la fin de la modération chez META ont sans surprise fait couler beaucoup d’encre et entrainé des réactions parfois choquées. Mais le plus surprenant pour moi n’est pas tant l’annonce que, justement, le fait qu’on en soit surpris car le moins qu’on puisse dire est que le bougre nous a souvent habitué à faire le grand écart entre éthique et business.
Et puis souvenez vous : « quand c’est gratuit c’est que le produit c’est vous ».
Petit retour en arrière.
Nous vivons dans un monde peuplé de milliards de gens hyperconnectés et qui, pour la plupart d’entre eux, le sont grâce aux outils de M. Zuckerberg. Et celui-ci a passé le temps à faire le funambule pour essayer de concilier à la fois ses ambitions économiques, les attentes d’utilisateurs qui sont également les produits qu’il vent à ses clients et finalement des clients eux mêmes pris entre le marteau et l’enclume (l »éthique et le business) avec pour objectif que ni clients ni utilisateurs ne quittent le navire (Que penser d’une entreprise qui méprise ses produits ?).
Il s’est donc efforcé, aidé d’algorithmes plus ou moins biaisés et d’une armée de modérateurs sous-payés, de tenter de nettoyer le gigantesque dépotoir numérique qu’il avait lui-même construit.
« Trop de censure, trop d’erreurs »
Mark Zuckerberg a donc annoncé la fin du programme de fact-checking de Meta en admettant que ce système était devenu un outil de censure excessive et de « trop d’erreurs ».
A sa décharge on dira que l’art est compliqué tout simplement parce que ce qui est culturellement acceptable ici ne l’est pas là (After an Eight-Year Legal Battle, Facebook Ends Its Dispute With a French School Teacher Who Posted Courbet’s ‘Origin of the World) mais à un moment on a les erreurs qu’on mérite par exemple celles qui consistent à bannir des publications sur le changement climatique tout en laissant prospérer des théories fumeuses sur les vaccins.
Mais rassurez vous ! Dans un tour de passe passe dont il a le secret Zuckerberg nous explique que la modération n’est pas abandonnée mais évolue. Maintenant, ce sont les utilisateurs qui vont modérer via un système de « notes de la communauté », un peu comme si un maire fermait les commissariats pour donner à chacun une casquette de policier. Une manière efficace de botter en touche.
Texas, terre de liberté
Ironiquement cela s’accompagne d’une décision lourde de sens. Les équipes de modération (ou ce qu’il en reste) seront déplacées de Californie au Texas. Peut être parce que les Californiens auraient développé une intolérance chronique aux opinions contraires ?
Le Texas, avec son goût pour la liberté et les armes à feu semble donc plus adapté pour cette nouvelle ère. Après tout des mots tueront toujours moins que des armes. Quoique…
Eloge de la neutralité sélective
Blague à part je suis surpris que nous soyons surpris.
En effet il y a quelques années notre cher « Zuck » se voulait le chantre d’un internet propre et responsable. Il a dépensé des milliards de dollars dépensés pour combattre la désinformation, interdire les discours haineux, et bannir quelques individus gênants (coucou, Donald Trump). À l’époque, il affirmait que Meta devait prendre ses responsabilités face aux dérives de ses plateformes.
Et maintenant ? Le vent a tourné et Zuckerberg avec lui. . Avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche il faut donc faire un « update » des priorités. La liberté d’expression reprend le dessus de manière opportuniste confirmant qu’« on ne mord pas la main qui nourrit ».
Chaos bien ordonné commence par soi même
Cette modération distribuée (une manière plus politiquement de dire « non modération » nous est vendue comme une réponse aux critiques sur la censure mais c’est aussi une manière bien pratique de réduire les coûts. Moins de fact-checkers, moins d’équipes de modération, moins de comptes à rendre. Et comme en plus les contenus extrêmes boostent sinon l’engagement en tout cas les réactions qui va s’en plaindre ? Ni les actionnaires ni même la plupart des annonceurs. Encore que…
Car il faut se souvenir que sur META nous sommes le produit et que tout cela génère des clics, des likes, et des revenus publicitaires. Et tant pis si ça tourne mal, c’est la communauté qui aura mal fait son travail.
Mais les utilisateurs de Facebook sont ils une communauté ? La question mérite d’être posée.
Et nous là dedans ?
Tout le monde s’offusque mais on peut sans problème parier que tout le monde continuera à jouer le jeu. A cliquer, indignés ou fascinés par ce chaos que nous contribuons à entretenir. Après tout si META abandonne la modération et devient n’importe quoi, c’est nous qui fournissons le carburant qui la fait avancer.
Alors, que faire ? Fuir vers d’autres plateformes ? Twitter est devenu un vrai dépotoir et TikTok appartient à la Chine, ce qui vous renvoie à votre définition de la liberté et du respect des données. Reste BlueSky dont je vous parlerai plus tard mais où vous pouvez me rejoindre.
Conclusion
Zuckerberg n’a ni conscience politique ou éthique, c’est juste un pragmatique. Il ne cherche pas à être aimé, seulement à être indispensable, attirer un maximum de gens à exposer à un maximum de marques. Il n’est pas là pour résoudre les problèmes de la société mais pour mieux les exploiter. Peut importe qu’on le dise cynique ou libertaire : tant qu’on ne pourra pas se passer de META la terre continuera de tourner, en tout cas pour lui.
Finalement Zuckerberg ou même Musk ne sont pas le problème, juste des produits du monde actuel ou des conséquences du problème. Le problème c’est qu’on soit à ce point dépendants de ces plateformes. La faute à qui ? Peut être à nous.
Image : Marc Zuckerberg par Frederic Legrand – COMEO via Shutterstock.