Beaucoup de questionnements sur le manager, son rôle, son utilité et son futur (Manager est-il encore un métier ?) pour toujours en finir avec le même débat insoluble quant à savoir ce qu’est un bon ou un mauvais manager.
Insoluble car si on raisonne en distinguant les bons managers des mauvais on est dans le subjectif, le jugement de valeur. Tout le monde n’a pas la même vision du management donc on ne s’entendra jamais sur une réponse.
Mais on peut tenter d’objectiver le jugement en partant de ce qu’on attend de lui et évaluer cela de manière tangible. Bien sûr ce qu’on attend d’un manager dépend de l’entreprise, de sa culture, de sa vision du management mais cela permet de donner un cadre à la réflexion car au final c’est sa mission : atteindre des objectifs dans un contexte donné. Raison pour laquelle d’ailleurs un manager peut réussir dans une entreprise et échouer dans une autre sans que ses qualités et compétence soient en cause (Pourquoi un très bon candidat peut devenir un mauvais salarié (ou l’inverse)).
La semaine dernière j’évoquais d’ailleurs la limite des SIRH comme soutien à l’action du manager (Les managers ont besoin de plus qu’un SIRH) en concluant que pour savoir comment les outiller encore fallait savoir ce qu’on attendait d’eux et comment on le mesurait (Dis moi comment tu me mesures, je te dirai comment je me comporterai).
Cela nous fait donc basculer sur la notion de performance managériale, une notion pas aussi évidente à appréhender qu’on peut le penser car, justement, bien qu’elle soit protéiforme elle est souvent évaluée de manière unidimensionnelle, ce qui conditionne le comportement du manager.
Les deux faces de la performance du manager
Commençons par un moment de définition. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus. Je ne sais si dans le cas présent cela ajoute à la misère du monde mais je ne doute pas qu’elle ajoute à la celle des collaborateurs avec pour conséquence à long terme d’ajouter aux problèmes de l’entreprise.
L’essentiel de la littérature et de la réflexion sur la performance du management porte sur la gestion des resources et la prise de décision. C’est donc le management dans le sens gestion du terme sans rien sur la dimension humaine à part un peu la gestion des ressources mais qui relève davantage d’une approche quantitative.
Une seconde composante existe mais qui n’a pas droit aux mêmes égards : le management et le développement des gens et des équipes en tant que tel.
L’un est mesuré de manière précise et est l’alpha et l’omega de l’évaluation du manager.
L’autre est apprécié mais rarement décisif. Un peu comme un « nice to have« .
Vous ne me croyez pas ?
Si vous avez un manager qui a une excellente performance business au prix d’un carnage humain avec un désengagement fort, un haut niveau de turnover, des burn outs, qui ne développe pas ses équipes et d’un autre coté quelqu’un qui a des résultats corrects mais avec un haut niveau d’engagement, de confiance de ses équipes, et qui mise sur leur développement à long terme.
A votre avis qui sera valorisé, promu et aura le meilleur bonus ? Sérieusement.
Il y a le résultat et la manière, le court et le long terme. Impossible d’obtenir une performance durable si on oppose les deux ou si on n’en prend qu’un en compte.
C’est pour cela que je préfère utiliser la notion de performance managériale qui a mon sens implique à de manière égale les deux faces du management, sa face habituellement visible et sa face cachée qui se retrouvera enfin dans la lumière pour avoir le poids qu’elle mérite.
La performance business : une affaire de performance stratégique
On est ici au cœur de la performance du management dans son acceptation la plus courante.
C’est la capacité d’un manager à atteindre des objectifs stratégiques et opérationnels en optimisant l’utilisation des ressources disponibles. C’est une approche orientée vers les résultats, où les chiffres et les données deviennent les principaux indicateurs de succès.
Pour certains c’est « old school », c’est l' »ancien monde » mais pour m’être déjà opposé à des gens qui dénonçaient sa conséquence ultime, à savoir « la dictature de l’EBITDA » je rappelle qu’il conditionne la capacité à financer l’innovation et payer les salaires et que lorsqu’il devient négatif il n’y a plus de futur pour l’entreprise ni les salariés.
Le problème n’est pas l’indicateur choisi mais les attentes excessives et le fait de sacrifier le futur pour le maximiser à court terme.
Les attente en termes de performance business sont de trois ordres.
Tout d’abord la vision stratégique : les managers performants savent anticiper les tendances du marché et repositionner leurs activités en conséquence.
Ensuite la gestion des ressources : il s’agit de maximiser le retour sur investissement tout en minimisant les coûts superflus.
Enfin vient la prise de décision qui suppose la définition de KPI clairs pour orienter les décisions.
L’avantage de ce scope c’est qu’il se mesure facilement de manière assez objective pour peu qu’on n’érige pas d’objectifs conflictuels entre eux (« En 1955 les entreprises avaient entre 4 et 7 impératifs de performance contre entre 25 et 50 aujourd’hui. 15 à 50% de ces indicateurs sont contradictoires, ce qui n’était pas le cas en 1955 » – Smart Simplicity : 6 règles pour gérer la complexité sans devenir compliqué).
Donc cette performance se mesure généralement au travers de trois types d’indicateurs.
Tout d’abord les indicateurs financiers comme le chiffre d’affaires, l’EBITDA, la marge brute.
Ensuite des indicateurs opérationnels : productivité, délais de livraison, taux de défauts.
Enfin des indicateurs stratégiques : part de marché, niveau de compétitivité.
Pour finir cette performance se pilote au travers de différents outils que je ne vais mentionner qu’à titre d’information car on y reviendra dans un futur article sur la pertinence d’un système d’information managérial en complément du SIRH.
On commencera par le balanced scorecard (tableau de bord prospectif) qui est un outil permettant de suivre des objectifs financiers et non financiers.
Plus récent on a les méthodes agiles qui permettent d’ajuster les priorités en fonction des évolutions du contexte et des besoins.
Remis sous les projecteurs par la déferlante IA on a également l’analyse prédictive pour anticiper les fluctuations du marché.
Terminons par les OKR (Objectives and Key Results) qui ont pour vocation d’aligner les efforts individuels et collectifs autour de priorités claires, mesurables et ambitieuses pour favoriser l’engagement et la réalisation des objectifs stratégiques.
C’est intéressant de terminer par la partie outils car par exemple le Balanced Scorecard et les OKR qui devraient en théorie servir à aligner les deux dimensions de la performance des managers (Comment bien mesurer la performance des salariés sans devenir un bisounours ?) mais ça n’est pas toujours le cas à tel point que je trouve des concepts tels que les cartes de stratégie plus pertinents que le BSC (Le rôle des actifs immatériels dans l’atteinte des objectifs stratégiques : l’intérêt des cartes de stratégie). En effet elles conditionnent clairement la performance du management à la performance managériale ce qui permet de donner du sens à cette dernière dans les yeux de personnes qui ne jurent que par les indicateurs financiers à court terme.
Ce qui nous amène donc à la performance managériale en tant que telle.
Gestion des équipes : l’Homme au coeur de la performance
Je dis souvent que si la performance business est le « quoi », la performance de la fonction managériale est le « comment » notamment dans la logique d’une performance durable.
Mais faute d’apporter le soin et l’attention nécessaire à cette dimension, à négliger sa mesure et son outillage, on ne regarde que la première en se disant que l' »intendance suivra ». Or l’intendance ne suit jamais, les managers se savent ni s’il font bien ou mal ni même quoi faire ou comment le faire (Avez vous un delivery model pour le management ?).
Parlons donc de ce que j’appelle la face (souvent) cachée de la performance du manager.
Elle repose sur trois piliers principaux.
Tout d’abord l’engagement : une équipe engagée est plus innovante et résiliante.
Ensuite l’organisation du travail qui passe par une clarifier les rôles, l’optimisation des processus, la simplification de l’organisation, la suppression des frictions et la promotion d’un fonctionnement collaboratif. Ca n’est pas pour rien d’ailleurs que l’organisation du travail est citée par les salariés comme l’élément majeur de l’expérience collaborateur (Baromètre 2023 de l’expérience collaborateur : l’expérience employé face à ses contradictions). On voit également de plus en plus de managers tenter d’appliquer les principes de l’agilité à des métiers non IT (Le futur du travail : agile « by design » et Révolution RH agile par Jean-Claude Grosjean).
Vient enfin le développement des talents en investissant dans la formation, l’accompagnement des collaborateurs dans leurs aspirations professionnelles ou encore la création d’un contexte favorable au « Learning on the job ».
Et bien qu’on parle de choses souvent qualifiée d’intangibles cela se mesure au travers de trois types d’indicateurs.
Tout d’abord des indicateurs qualitatifs comme la satisfaction au travail (Bye bye bonheur au travail, bonjour satisfaction) ou les enquêtes d’engagement.
Ensuite on a bien sur des indicateurs quantitatifs tels que le taux d’absentéisme ou le turnover.
Vient enfin une dimension plus collective avec les résultats des évaluations 360° et des feedbacks individuels.
Et bien sûr cela s’outille.
On y reviendra en détail en parlant du SI managériale mais on trouve différents types d’outils.
D’abord des outils à vocation RH de mesure de l’engagement ou de feedback.
Ensuite des outils d’alignement tels que les OKRs.
Enfin des outils d’organisation du travail tels que les outils de collaboration, d’idéation, des boards agiles etc.
Deux dimensions complémentaires
On comprend bien que les deux dimensions sont complémentaires et que si on favorise la dimension business au détriment de la dimension humaine on ne peut être que dans le court terme.
Un manager qui excelle dans le pilotage du business sans considérer l’aspect humain risque de créer un environnement toxique et de voir la performance décline à long terme. À l’inverse, une gestion centrée uniquement sur l’humain sans vision stratégique peut conduire à une perte de compétitivité.
Pour autant si la dimension business est largement mesurée et outillée la seconde :
• est moins mesurée et outillée
• est dispersée entre différents outils
• de ce fait est moins analysée (qu’est ce qui entraine quoi)
• est rarement corrélée à la mesure du business (quelles action managériales ont un impact tangible et mesurable sur le business).
• est souvent la chasse gardée des RH avec des données peu utiles ou utilisables par les managers.
• est simplement moins valorisée.
Pour parvenir à une performance durable il est donc essentiel d’aligner les objectifs en intégrant des valeurs humaines dans les stratégies d’entreprise. Cela existe en théorie, on a les outils pour, mais on le laisse au second plan car cela existe dans l’idée mais pas dans les outils de pilotage. L’idée est que l’un ne se fasse jamais au détriment de l’autre.
Il faut ensuite mesurer et corréler les deux dimensions. Cela passe notamment par l’utilisation des indicateurs financiers et humains à égale mesure pour évaluer la performance globale.
Enfin développer des compétences en leadership pour conjuguer stratégie et empathie, afin que les managers avancent sur deux jambes et ne soient ni des handicapés du business ni des handicapés de l’humain.
Conclusion
La performance managériale repose sur un équilibre subtil entre deux dimensions : l’atteinte des objectifs stratégiques et la création d’un environnement de travail propice.
Les managers qui savent allier pilotage du business et gestion humaine permettent à leurs organisations d’atteindre une performance durable, en phase avec les réalités économiques et humaines.
Mais force est de reconnaitre que les managers sont sous outillés sur la seconde dimension et qu’il n’existe pas ou peu d’outils intégrés leur permettant à la fois d’agir, mesurer leur impact et savoir s’ils vont dans la bonne direction.
Image : performance managériale de donskarpo via Shutterstock.