Le monde du travail est en évolution permanente et les systèmes d’information jouent un rôle capital dans la manière dont on travaille et dont les entreprises gèrent leurs opérations, leurs équipes et leur performance. Si les SIRH ont été historiquement conçus pour centraliser et automatiser les processus administratifs liés à la fonction RH, ils peinent toutefois à adresser les besoins stratégiques des managers et des équipes (Les managers ont besoin de plus qu’un SIRH).
C’est un sujet qui a parfois occupé une grande partie de mes discussions avec des experts du secteur, certains allant même jusqu’à prôner l’émancipation d’une « Management Tech » distincte de la HRTech et d’un véritable système d’information managérial (SIM).
Mais à quoi ressemblerait un système d’information managérial ?
Un outil d’organisation et de pilotage du travail
Le premier rôle d’un système d’information managérial serait d’offrir une vue d’ensemble claire et dynamique sur l’organisation du travail. Cela tombe bien, c’est une attente majeure des salariés en termes d’expérience employé (Baromètre 2023 de l’expérience collaborateur : l’expérience employé face à ses contradictions).
En premier lieu on y trouverait de outils de planification collaborative afin faciliter la coordination des tâches et des projets en tenant compte des priorités, des compétences et des disponibilités.
Il comprendrait également la gestion des objectifs avec pour but aligner les priorités à court et long termes avec les stratégies de l’entreprise.
Il permettrait enfin d’ établir et rendre visible répartition des responsabilités en clarifier les rôles et les attentes pour chaque membre de l’équipe.
Un bon SIM serait également adapté aux besoins des équipes hybrides et distribuées, offrant des solutions pour maintenir la cohésion, éviter les silos et assurer une exécution agile avec des outils collaboratifs flexibles qui rendrait visite le travail de chacun et favoriserait le « working out loud« .
Il permettrait d’ailleurs de comprendre comment le travail est réellement fait au delà de l’illusion de l’organigramme mais en identifiant les vrais réseaux (Une organisation incohérente avec la manière dont on travaille. Irritant #6 de l’expérience employé et Le réseau social implicite selon Sinequa).
Bien sûr tout cela existe aujourd’hui mais de manière totalement éclatée, ce qui ne favorise pas l’adoption, est chronophage et ne donne pas au manager un environnement de travail unifié lui permettant à la fois d’agir et mesurer son impact sur ses équipes.
Un vecteur d’engagement et de dynamique d’équipe
Au-delà de l’organisation du travail, un SIM devrait être un catalyseur pour l’engagement et la cohésion des équipes.
On y retrouverait au premier chef des outils de feedback en continu afin de permettre aux collaborateurs de donner et de recevoir des retours constructifs de manière régulière ce qui contribue à l’amélioration continue et dans une certaine mesure à la confiance.
J’y ajouterais des outils de reconnaissance, des fonctionnalités qui mettent en valeur les contributions individuelles et collectives au travers de récompenses, badges, gamification.
Enfin il devrait inclure des indicateurs de bien-être et d’engagement. Il permettrait mesurer et suivre régulièrement l’état d’esprit des équipes, afin d’agir rapidement en cas de signaux d’alerte.
Ici encore rien de vraiment neuf mais aujourd’hui tout cela est dispersé et les silos applicatifs créent des silos de données qui ne permettent pas d’établir des corrélations entre l’action du manager et son impact sur l’engagement. Lequelles y contribuent ? Lesquelles sont contreproductives. On le devine, on le suppute mais on ne le prouve pas (Nous avons confiance en Dieu. Les autres doivent fournir des données)
Le système d’information managerial serait un outil qui donne vie à une philosophie de management centrée sur l’humain et le collectif et c’est pour cela qu’il doit être organisé autour de l’action du manager et des équipes qui en sont le utilisateurs et les clients à l’inverse du SIRH.
Une mesure de l’impact managérial augmentée par l’IA
Un aspect souvent négligé voire méconnu est la capacité d’un manager à évaluer son propre impact. Le système d’information managérial a également pour but de faire le lien entre le management, les actions du manager, ce qu’il met en place, la manière dont il le fait et la performance de ses équipes.
Mais pour aller là encore faut il se demander ce qu’est vraiment la performance managériale au delà d’indicateurs basiques qui méconnaissent le l’impact du manager sur la performance des autres (Qu’est-ce que la performance managériale et sa face cachée ?)
L’IA permettrait en premier lieu d’analyser les corrélations entre les actions du manager et la performance des équipes . L’IA devrait être utilisée pour identifier en temps réel les pratiques qui favorisent l’engagement, la satisfaction, la productivité et également la performance.
Aujourd’hui moins de 10% des entreprises sont capables de corréler les données HR et les métriques du business (Is People Analytics the Next Job to Be Outsourced by Technology?). De mon point de vue c’est proprement inacceptable.
Sur ce dernier point je cite souvent le cas d’usage le plus simple : la performance commerciale. Elle est totalement mesurée de manière objectif avec le CRM mais aujourd’hui on la mesure de manière isolée sans essayer de trouver des corrélations avec l’organisation du travail mise en place, l’animation du manager et les feedbacks des collaborateurs.
Une lubie ? Je n’en suis pas si sûr. Au contraire, sur ce sujet il y a ceux qui se lanceront les premiers et comprendront rapidement leurs leviers de performance managériale et les autres car c’est déjà à notre porte (Workday Salesforce Partnership: Teaming Up For Enterprise AI).
Une fois ceci fait la logique veut qu’on se lance dans une démarche prévisionnelle pour prévoir les impacts futurs. Pour cela on pourra utiliser des modèles prédictifs pour anticiper les répercussions des décisions managériales sur les équipes et leur performance.
Pour boucler la boucle l’IA pourra proposer des recommandations personnalisées pour offrir aux managers des pistes d’amélioration (conseils, learning…) adaptées à leur contexte.
L’idée est de permettre aux managers de mieux se connaître, d’ajuster leur approche et de avoir plus d’impact. C’est aussi pour les RH enfin un moyen de vraiment évaluer les managers.
Une philosophie du management incarnée dans la technologie
Un SIM ne serait pas qu’un outil technique ; il serait le reflet d’une philosophie managériale moderne (How To Transition To The ‘Next Management’ by Stephen Denning, Heidi Musser and Hugo Lourenco et Analyzing Two Different Views of ‘Next Management’ by Steve Denning, Heidi Musser, Hugo Lourenco)
En s’inspirant des approches personnes comme Deming, Drucker (vous connaissez mes références…) et d’autres ce système valoriserait donc de nouvelles approches managériales que beaucoup appellent de leur voeux mais ne « crantent » pas dans les approches et outils actuels.
Et oui, les principes du père de la qualité émises dans les années 50 n’ont pas besoin d’un gros coup de peinture pour s’appliquer au management d’aujourd’hui (Et si on parlait de la qualité du travail).
En premier lieu, donc, on trouve la responsabilisation et l’empowerment en donnant donner aux équipes et aux managers de quoi prendre des décisions informées.
Vient ensuit la transparence en fournir des données claires et exploitables à tous les niveaux mais pas que pour mesurer le business et les opérations, pour comprendre les gens également.
Le troisième pilier est enfin la collaboration continue en créant un environnement où l’intelligence collective peut s’exprimer pleinement.
On ne peut pas fonctionner d’une manière avec des outils faits pour fonctionner d’une autre pas plus qu’un outil si bien conçu soit il n’est d’aucune utilité s’il n’est pas adapté à la philosophie que l’entreprise veut mettre en place (On ne doit pas s’attendre à ce qu’une application fonctionne dans un environnement dans lequel ses hypothèses ne sont pas valides ).
Peut être que dans les années 30 un SIM aurait servi un modèle « command and control » aujourd’hui on parlera donc davantage de boards agiles, d’OKRs, de feedbacks etc.
Conclusion
Un système d’information managérial n’est pas une simple évolution des SIRH ni son remplaçant. C’est plutôt un cousin avec qui il partagera des données mais qui aura une vocation toute différente.
Il doit s’agir d’un outil stratégique qui transcende la dimension administrative pour devenir un véritable outil de compréhension, d’action très opérationnelle et in fine un levier de transformation au service des managers et de leurs équipes.
En permettant d’organiser le travail, de dynamiser les équipes, d’incarner une philosophie de management et de mesurer l’impact managérial, ce système redéfinit et valorise le rôle du manager dans les organisations modernes voire permet enfin de distinguer de manière objective et factuelle les bons managers des autres.
L’intégration de l’IA y ajoute une dimension essentielle : la capacité de comprendre et de prédire les dynamiques humaines pour un management plus pertinent et efficace à la fois au service des équipes et de la performance, de l’humain et du business.
C’est émergent, ça existe par briques de manière dispersées, il ne reste plus qu’à porter une vraie vision intégrée en admettant que le système d’information managérial est une réalité en tant que tel et pas un empilement d’outils sans lien les uns avec les autres.
Image : système d’information managérial de Deemerwha studio via Shutterstock.