La notion de productivité trouve ses racines dans la révolution industrielle, une époque où l’augmentation des rendements grâce à la mécanisation a transformé la manière de produire des biens. Toutefois, cette métrique est-elle encore pertinente dans une économie dominée par les services et la numérisation, où la création de valeur repose davantage sur l’ingéniosité humaine que sur des processus industriels standardisés (Organiser le travail du savoir c’est régler beaucoup de problèmes en une fois)?
D’ailleurs « « Peter Drucker a fait remarquer qu’au cours du XXe siècle, la productivité des travailleurs manuels dans le secteur manufacturier a été multipliée par cinquante, car nous sommes devenus plus intelligents quant à la meilleure façon de construire des produits. Il a fait valoir que le secteur de la connaissance, en revanche, avait à peine entamé un processus similaire d’auto-examen et d’amélioration, existant à la fin du XXe siècle alors que le secteur manufacturier l’avait fait cent ans plus tôt« (Slack Is the Right Tool for the Wrong Way to Work)
Cette question devient cruciale si l’on examine le paradoxe de Solow, qui souligne qu’« on voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Malgré l’explosion des outils technologiques, leur impact mesurable sur la productivité reste décevant. En réalité, la qualité des contributions humaines et l’efficacité des interactions remplacent peu à peu la quantité comme facteur de performance sans qu’on aille au bout de la logique pour le prendre en compte dans les critères de mesure de celle-ci.
Quand la quantité masque la qualité
Prenons l’exemple d’une équipe chargée de concevoir une application mobile. Si son succès est mesuré par le nombre de nouvelles fonctionnalités livrées chaque mois, l’équipe sera naturellement incitée à produire rapidement, quitte à sacrifier la pertinence ou l’expérience utilisateur. Ou alors elle priorisera des fonctionnalités mineures rapides à développer mais sans réel apport.
Cependant, une approche axée sur la qualité pourrait privilégier des fonctionnalités stratégiques et bien réfléchies, susceptibles de maximiser la satisfaction des utilisateurs et, in fine, dynamiser les ventes de l’application.
Passer d’une logique d’outputs à une logique d’outcomes
L’économie numérique requiert donc une redéfinition des critères de succès. Plutôt que de mesurer le travail intellectuel à travers des outputs, comme le nombre de tâches accomplies ou de livrables produits, il est préférable de se concentrer sur les outcomes : des résultats à plus grande échelle qui répondent à des objectifs stratégiques.
Par exemple, au lieu de demander à une équipe marketing de publier un nombre fixe d’articles chaque mois, il vaut mieux évaluer leur succès sur la base de l’augmentation du trafic organique ou de la génération de leads. Cette approche évite les comportements court-termistes et encourage la créativité, l’innovation et la réflexion stratégique.
Si, dans le cas du marketing, beaucoup ont déjà compris l’intérêt de cette approche c’est malheureusement loin d’être le cas partout.
Des solutions pour un management axé sur la qualité pour les travailleurs du savoir
Pour réussir cette transition les leviers d’action sont pourtant connus.
Tout d’abord définir des jalons intermédiaires. Planter des jalons clairs permet de suivre la progression vers des objectifs lointains tout en offrant des opportunités d’ajuster les efforts en chemin. Cela va souvent de pair avec l’adoption des approches agiles qui peuvent facilement s’appliquer hors du domaine de l’IT (Le management agile est fait pour vous, même si vous n’êtes pas dans une startup high-tech ! et Agility: The Strategic Imperative to Survive and Thrive in Volatile Times)
Ensuite mettre en place des boucles de feedback. Les retours réguliers, qu’ils viennent des clients ou des parties prenantes internes, aident à maintenir le cap d’un point de vue qualitatif.
Il est également essentiel de valoriser l’amélioration continue. Plutôt que de viser la perfection immédiate, une approche d’amélioration itérative permet de construire sur des bases solides tout en adaptant les stratégies aux évolutions (Améliorer le travail d’une équipe : histoire d’une amélioration continue et Le futur du travail reposera sur la data et l’amélioration continue). On doit en effet du paradigme industriel de la « réplication de la perfection à l’infini » pour des métiers ou la notion de perfection est à la fois relative, subjective et changeante dans le temps.
Il faut enfin investir dans le bien-être des collaborateurs et l’expérience employé. La satisfaction et la santé des équipes de même que la simplification du travail (La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé et ‘Great employee experience in 2025 hinges on making work less chaotic,’ says Qualtrics) sont essentiels à une performance durable. La qualité du travail est intrinsèquement liée à la qualité de vie au travail (L’expérience est le nouveau nom de la qualité et est le fruit de l’excellence opérationnelle et Et si on parlait de la qualité du travail).
Conclusion
Le culte de la productivité est hérité d’une époque révolue et ne répond plus aux besoins d’une économie fondée sur les services et le numérique. C’est en mettant l’accent sur la qualité et les outcomes, les entreprises peuvent créer un environnement qui favorise l’innovation, l’engagement et des résultats durables, tout en résolvant le paradoxe de Solow. Car finalement, la qualité est bien la nouvelle quantité.
Image : mesure de la productivité de garagestock via Shutterstock.