C’est un sujet dont je trouve qu’il ne fait pas beaucoup de bruit en France voire en Europe malgré le fait qu’il représente un revirement d’ampleur vis à vis des politiques RH mises en place depuis des années. Je parle ici du recul significatif des initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) au sein des entreprises américaines, notamment dans la tech.
Il aura fallu une fois de plus une fois de plus une déclaration de Mark Zuckerberg (Mark Zuckerberg veut insuffler plus d’«énergie masculine» dans le monde professionnel) pour que cela fasse du bruit de ce côté de l’Atlantique mais cette régression était déjà enclenchée depuis plusieurs années et la question de savoir si cette tendance peut s’étendre à l’Europe et, dans le cas qui m’intéresse, à la France peut se poser.
Des entreprises comme Meta, Amazon, McDonald’s mais aussi Ford ou Walmart ont en effet récemment réduit voire supprimé leurs programmes de DEI (Big Tech companies are cutting DEI programs—but watch exactly how they do it). Des décisions qui ressemblent à un net recul par rapport à une tendance progressiste mais qui contrairement aux idées reçues ne relèvent pas que d’un réalignement sur le futur locataire de la Maison Blanche.
Le déclin de l’inclusion et de la diversité aux Etats-Unis
En effet ça n’est pas que Facebook, on fait face à une tendance beaucoup plus globale.
Commençons donc par META qui a tout simplement dissout son équipe DEI (Meta drops DEI initiatives while Amazon scales them back) et sa Chief diversity officer, Maxine Williams, a été promue dans un autre rôle dédié à l’accessibilité et l’engagement.
« Le terme « DEI » est devenu chargé, en partie parce qu’il est compris par certains comme une pratique qui suggère un traitement préférentiel de certains groupes par rapport à d’autres. » dit la DRH dans un mémo interne.
D’ailleurs Meta a mis fin à son approche de « liste diversifiée » pour l’embauche, qui consistait à considérer un groupe diversifié de candidats pour chaque poste ouvert
On assiste également à un recentrage de ces politiques qui s’accompagne souvent d’un rebranding. Alors qu’Amazon a annoncé qu’elle souhaitait mettre fin aux « programmes obsolètes » et se concentrer sur des approches inclusives ayant des résultats avérés, META élimine certains termes comme « équité » et prévoit de réorganiser ses programmes de formation DEI afin de mettre l’accent sur des pratiques justes et cohérentes qui atténuent les préjugés pour tous, quels que soient leurs antécédents
D’autres entreprises, comme Mc Donald’s (preuve que le mouvement n’est pas que dans la tech) on cessé d’avoir des objectifs chiffrés en la matière (How the DEI backlash will impact gender equality at work).
Parmi les rayons de lumière dans le brouillard, Apple, maintient son engagement et précise qu’elle ne fait pas de discrimination lors du recrutement, de la formation ou de la promotion et fait pression auprès de ses actionnaires pour bloquer une résolution anti DEI que l’un d’entre veux veux faire voter (Apple’s board urges investors to block this anti-DEI proposal). Et elle n’est pas seule (DEI Isn’t Dying: These Companies Are Standing Strong Against ‘Anti-Woke’ Backlash In 2025).
Les motivation variées des politiques anti DEI
Le « Trumpism » a bon dos. Si le changement de philosophie qui va accompagner le changement de présidence joue bien sûr un rôle (mais il est également une conséquence de quelque chose de plus profond), le ver était dans la pomme depuis quelques temps.
La première motivation est juridique suite à une décision de la Cour Suprême en 2023 qui mettait fin à la discrimination positive dans l’admission en université, craignant des décisions futures similaires pour le recrutement (Companies are quietly altering their DEI programs in the wake of legal action) .
Il y a bien sûr également une cause politique derrière ce revirement. La pression des groupes conservateurs, à l’origine de nombreuses actions en justice comme le rapprochement de certains patrons de la tech comme Zuckerberg de Donald Trump montre que le vent tourne du coté de la Maison Blanche et qu’être pro DEI ne sera peut être bientôt plus dans l’air du temps, voire nuira aux affaires.
La dimension culturelle joue également son rôle. Comme le montre le mémo de META le terme DEI est devenu connoté et symbolise une forme de traitement préférentiel qui commence à entraine d’autant plus de résistance et de rejet que ses résultats sont contestables.
Des impacts non négligeables
Le recul des entreprises américaines sur la DEI sont tout sauf neutres en termes d’impacts à moyen et long terme.
La fin des initiatives qui ont amené davantage de représentation des minorités dans les entreprises et notamment à des postes de direction pourrait à terme être un réel frein à la diversité et créer davantage d’inégalités.
Le climat de travail pourrait également s’en trouver détérioré avec une sorte d’esprit de revanche de veux qui s’estimaient bridés par le DEI voire une sorte d’adoubement des stéréotypes de genre qui serait légitimé par des déclarations telles que celle de Zuckerberg (Mark Zuckerberg wants more ‘masculine energy’ in corporate America).
Un déclin de l’inclusion qui pourrait s’étendre à l’Europe ?
Toute vague qui part des Etats-Unis finissant toujours par atteindre les côtes européennes, parfois amplifiées, parfois affaiblies, il est légitime que certains s’effraient de voir la même chose se produire en Europe (et d’autres de s’en réjouir).
La possibilité est réelle.
Il n’a en effet jamais été aussi facile qu’aujourd’hui de propager des idéologies extrêmes, notamment avec la caisse de résonance des réseaux sociaux et a fortiori quand on laisse leurs tenants s’auto-modérer (Zuckerberg et la modération : retour vers le chaos ?)
Le contexte économique global n’aide pas non plus. En temps de crise des initiatives « non économiquement vitales » comme la RSE peuvent être perçues comme secondaires. Quand on voit où se situent les priorités des dirigeants français (source 20ème édition du baromètre des dirigeants français par La Tribune, Eurogroup Consulting, BFM Business et CCI France International) vous voyez déjà bien où se situent le climat et la transition écologique.
Dans une économie globalisée et notamment dans le contexte d’entreprises américaines ayant des filiales en Europe il y a également fort à craindre que la pression du siège pousse à une uniformisation par le bas au niveau global.
Ajoutons enfin que les tensions sociales présentes dans certains pays sur fond de débat sur l’immigration et l’identité culturelle peuvent alimenter la polarisation.
La RSE en Europe protégée par des garde fous
Heureusement (ou non selon l’endroit où l’on se place) la RSE Européenne jouit d’un certain nombre de protections.
Déjà entendons nous sur les termes : si la RSE est ce qui se rapproche le plus du DEI ça n’est pas exactement la même chose.
La RSE a un spectre assez large qui inclut développement durable et environnement (réduction des émissions de CO2, économie circulaire) bien-être des employés (santé, équilibre vie pro/perso), engagement sociétal (philanthropie, soutien aux initiatives locales) et éthique des affaires (gouvernance responsable).
Le DEI est plus ciblé et se concentre sur la lutte contre les inégalités systémiques au sein des entreprises, en mettant l’accent sur la diversité dans le recrutement (représentation des minorités ethniques, femmes, personnes LGBTQIA+, etc.), l’équité dans l’accès aux opportunités (rémunération, promotions), l’inclusion dans la culture d’entreprise (sentiment d’appartenance, absence de discrimination).
Avant tout il faut savoir qu’en Europe les directives européennes anti-discrimination offrent un socle juridique solide qui protège voire sanctifie les initiatives RSE.
Par exemple la directive européenne sur le reporting extra-financier impose aux grandes entreprises de publier des informations sur leur impact environnemental et sociétal.
A l’inverse le DEI est une démarche volontaire qui ne résulte d’aucune autre obligation que celles que l’entreprise s’impose à elle même. Les politiques DEI sont plus souvent motivée par des pressions sociales, la compétitivité ou des initiatives internes que par des obligations légales.
L’Europe bénéficie également d’une culture du dialogue social qui pourrait être un frein à des initiatives extrêmes quoi qu’on puisse s’interroger sur la « solidité » de cette culture face aux remous qui agitent la société et sa perméabilité vis à vis de certaines idées.
Enfin il y a une pression des parties prenantes. Clients, investisseurs et médias attendent en effet des entreprises qu’elles respectent des standards éthiques élevés. Mais là encore comme dans toutes les évolutions sociétales le vent peut tourner un jour, sous la pression du contexte économique et d’un corps social qui, voyant se qui se passe aux USA, pourrait se dire que « c’est possible de changer de cadre et sortir de la bien pensance commune ».
On voit bien que la RSE en Europe ne peut pas s’effondrer du jour au lendemain, ne serait-ce que parce qu’elle est protégée par des digues réglementaires mais qu’elle n’est pas intouchable pour autant. Dans l’hypothèse où on ferait face à une tendance de fond il n’y a pas de doute qu’elle puisse se protéger en Europe mais cela prendra beaucoup de temps et le résultat en serait largement diminué.
Conclusion
Le recul des politiques visant à l’inclusion et la diversité en entreprise est une tendance réelle qui ne touche pas que le monde de la tech. Cependant des entreprises continuent à affirmer leur attachement à ces politiques et rien ne dit qu’il ne s’agisse pas d’une tendance opportuniste qui ne résisterait pas à un changement politique. D’ailleurs si on parle beaucoup des entreprises qui abandonnent la DEI, la liste de celles qui maintiennent leur engagement est significative.
Ceci dit le message « anti woke » porté par les dernières élections américaines peuvent également laisser penser qu’on est en face de quelque chose de plus profond et pérenne et qu’après avoir été trop loin dans une direction on fasse face à un retour de balancier sévère.
Face à cela l’Europe n’est protégée par la propagation de ces idées que par une culture dont on ne peut pas exclure qu’elle s’affaiblisse par pragmatisme dans un contexte social et économique tendu et, surtout, une législation bien plus protectrice.
Mais quand on ne compte que sur régulation loi pour se protéger d’une éventuelle vague sociétale ou politique c’est qu’on a quand même possiblement un problème.
Image : RSE de one photo via Shutterstock