L’intelligence artificielle atteint une certaine forme de maturité et commence à poser des questions. Des investissements lourds ont été consentis et l’histoire n’est pas finie mais, en parallèle, les entreprises à qui on a promis des montagnes peinent à voir un retour sur investissement en phase avec les efforts consentis. Pire, certaines arrivent au bout de leur capacité d’investissement. Mais doivent elles mettre un terme à leurs efforts ? Non car ça serait prendre un risque pire que le risque financier.
Le ROI discutable de l’intelligence artificielle
On ne va pas se mentir, on assiste à un retour sur terre en ce qui concerne l’IA, ce qui mon à mon avis est une excellente chose. Si l’on prend comme référence la courbe du Gartner on est sorti des attentes surdimensionnées, on commence à sentir une pointe de déception ce qui signifie donc donc s’approche de la consolidation et de la productivité. En tout cas pour les formes d’AI existantes et connues.
Et vu la vitesse à laquelle vont les choses, la vitesse à laquelle se termine le hype laisse espérer que la productivité arrivera très vite.
Ne nous méprenons pas. Je ne dis pas que l’AI ne fonctionne pas, juste qu’elle peine à produire des résultats à la hauteur des investissement consentis et c’est le « à la hauteur » qui compte.
Quand j’étais plus jeune on m’avait expliqué que si je voulais lancer des initiatives hors des sentiers battus plus le I serait petit moins on m’embêterait avec le R.
Ici on a un I plus que que majuscule donc on attend un R gigantesque, quasiment visible depuis la lune et on est loin d’y être. En tout cas aujourd’hui.
« Le problème est que le niveau actuel d’investissement – dans les startups et les grandes entreprises – semble reposer sur l’idée que l’IA va s’améliorer tellement vite et être adoptée si rapidement que son impact sur nos vies et sur l’économie est difficile à comprendre. Des preuves de plus en plus nombreuses suggèrent que ce ne sera pas le cas . » (Is the AI Revolution Already Losing Steam?)
Une capacité d’investissement qui diminue
A priori rien que de très normal. Quand on est sur des sujets disruptifs à grosse intensité capitalistiques il faut souvent attendre longtemps pour récolter le fruit de ses efforts et la frénésie de l’IA n’est pas si vielle que cela.
Malheureusement le temp des financiers n’est pas celui de la technologie et les entreprises commencent à avoir du mal de financer le futur de leurs projets IA, à tel point que certaines envisagent de désinvestir ailleurs en vendant des actifs non stratégiques pour y parvenir (Companies look to sell off assets to pay for AI investments).
A priori rien de grave car cela peut être une bonne raison de nettoyer leur portefeuille et se reconcentrer sur ce qui est vital pour leur avenir.
Mais cela suppose d’avoir la conviction qu’un jour l’IA sera un succès car mieux vaut un actif non stratégique qui rapporte peut qu’un actif stratégique qui devient non rentable à force d’investissement hasardeux.
Qu’attendre de l’IA en termes de ROI ?
Se pose donc la question de savoir ce qu’on peut attendre de l’IA et là les estimations les plus diverses cohabitent. Souvenez vous que « Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. » (Pierre Dac).
Si instinctivement on comprend un potentiel et sa logique, le quantifier est une autre affaire et parlant de technologie c’est finalement une vieille histoire qui ne cesse de se répéter (Chiffres et ROI : et si on admettait que parfois on ne sait pas ?).
On a trois écoles : les optimistes, les pessimistes et les neutres.
Les optimistes nous promettent un ROI à court terme (2-3 ans) de 20 à 40% par an et entre 100 et 200% à long terme (5-10 ans).
Un scénario essentiellement fondé sur l’amortissement des infrastructures et la courbe d’apprentissage.
Les pessimistes, eux, sont plus neutres à court terme (-5 à +5%) et catastrophistes à long terme avec un ROI négatif de -20 à -30%.
Un scénario qui s’explique par des couts d’infrastructures sans cesse croissants et des projets mal conçus.
La vérité étant souvent au milieu, regardons ce que disent les « neutres », les « raisonnables ».
Eux parlent d’un ROI à court terme de 10 à 15% par an et de 50 à 100% à long terme.
Un scénario justifié par des coûts élevés d’intégration, une adoption lente par les équipes, ou des limitations dans la qualité des données (Pourquoi l’IA d’entreprise ne peut pas suivre la vitesse de l’IA grand public : au-delà de ChatGPT, une réalité plus complexe).
Qu’est ce qui détermine le ROI de l’IA ?
Si on en sait pas encore assez pour savoir combien rapportera l’IA on commence en effet par contre à avoir assez de recul pour comprendre ce qui influence son ROI.
Logiquement il y a la maturité à la fois des produits et des clients. Les technologies émergentes, c’est récurrent, offrent de nouveaux potentiels, mais présentent des risques élevés liées aux nombreuses inconnues qui les accompagnent au début.
Vient ensuite le secteur d’activité. Aujourd’hui le commerce de détail (personnalisation), la finance (gestion des risques), et la logistique (optimisation) semblent offrir des ROIs élevés alors que la santé (réglementations lourdes), administrations publiques (complexité organisationnelle) sont des terrains moins propices.
On a aussi, comme souvent, la taille de l’entreprise : plus elle est grande plus elle bénéficie d’économies d’échelle et d’une courbe d’apprentissage rapide.
Enfin vient la qualité des données. « Shit in, shit out », une mauvaise gestion des données peut réduire considérablement les bénéfices de l’IA.
Attentes surdimensionnées et couts cachés
La bonne nouvelle est qu’à part si on veut suivre les Cassandres (et pourquoi pas ?) on peut s’attendre à un ROI positif. Mais la question n’est pas là.
Quand on parle d’investissement la question n’est pas seulement « est-ce que c’est rentable » mais « quand » et surtout « à quel point ».
Autrement dit dépenser des milliards pour peut être un ROI de 5% dans 10 ans n’intéresse personne. En tout cas pas ceux qui tiennent les cordons de la bourse.
Pour répondre aux attentes il faudra aller au delà de l’IA générative qui, si elle impressionne dans un premier temps, ne produit pas de résultat à la hauteur de ses couts. Une personne bien placée dans une grande entreprise me disait encore dernièrement « vu le coût de la requête l’IA ne pourra être « open bar » pour tout le monde en entreprise ».
L’abonnement chatGPT plus à 20 euros par mois perd de l’argent. Pire, Open AI n’arrive pas à gagner d’argent non plus avec le chatgpt Pro n’est pas rentable (Finalement, OpenAI perd de l’argent sur son abonnement ChatGPT-Pro). Plus cela fonctionne plus on l’utilise, plus on l’utilise plus ça coûte cher. Et on parle là d’Open AI, je vous laisse deviner ce qu’il en est pour une entreprise qui développe ses propres modèles sans bénéficier des mêmes économies d’échelle.
« La technologie de l’IA est exceptionnellement coûteuse et, pour justifier ces coûts, elle doit être capable de résoudre des problèmes complexes, ce pour quoi elle n’est pas conçue ». (Goldman Sachs says the return on investment for AI might be disappointing)
Alors peut être avec l’IA agentique ? l’AGI ? Mais si les coûts augmentent avec les capacités on rentre dans un cercle vicieux dont il sera difficile de s’extraire.
Bref à ce jour tout le monde s’accorde à dire que si la promesse est alléchante, elle n’est pas tenue.
« S’adressant aux 18 000 personnes présentes, M. Eschenbach (Workday) a déclaré que le problème actuel est que « malgré tous les dollars investis jusqu’à présent et tout le battage médiatique, nous n’avons pas encore réalisé toutes les promesses de ce que l’IA peut apporter aux dirigeants d’entreprise », et que tout le monde ne voit pas le retour sur investissement de l’IA. » (Workday CEO: ‘For all the dollars that’s been invested so far, we have yet to realize the full promise of AI’).
Et puis il y a les couts cachés auxquels on ne pense pas mais que les entreprises perçoivent d’une manière ou d’une autre. Ils ne rentrent pas dans le « budget » IA mais ne sont pas inexistants pour autant.
Le principal d’entre eux est le cout environnemental. Entre consommation énergétique, l’empreinte carbone des centres de données et l’impact du matériel et des matériaux on atteint des sommets. Et un jour
Sachant que la plupart des pays sont incapables de fournir assez d’énergie décarbonée pour cela et que l’utilisation d’énergies carbonées pour alimenter les infrastructures d’IA expose les entreprises à des coûts liés aux quotas d’émission et aux pénalités environnementales des questions vont rapidement se poser.
Alors, quand on sait tout cela, pourquoi les entreprises vont elles continuer à investir dans l’IA ? Et, dirai-je même, pourquoi le doivent elles ?
Le financier contre l’entrepreneur, ROI vs RONI
On se retrouve ici devant un débat vieux comme le monde que j’appelle souvent celui du financier contre l’entrepreneur. L’entrepreneur ne gagne pas toujours mais vu ce qui est en jeu je pense que ce sera le cas cette fois-ci, pour le meilleur ou pour le pire.
Le financier regardera le ROI ou Return on Investment et se demandera si le jeu en vaut la chandelle et s’il ne vaut pas mieux investir ces sommes ailleurs.
L’entrepreneur, lui, pensera en termes de RONI ou Risk of Not Investing. Le risque de pas investir.
Le risque de pas investir, ici, c’est que si un jour l’IA tient ses promesses, ne serait-ce qu’à moitié ou au tiers, celui qui ne sera pas monté dans le wagon sera rayé de la carte. Il ne sera pas mal en point, il n’aura pas du mal à refaire son retard, il sera mort dans l’instant.
La question qui se pose est finalement simple : faut il continuer à investir, même à perte, même pendant longtemps, parce qu’un jour ça fonctionnera ou faut il accepter de disparaitre si cela venait à fonctionner.
Un pari. Un simple pari.
Un pari que tout le monde fera parce que la probabilité que cela fonctionne est réelle et est infiniment plus élevée que celle de l’échec, même si cette probabilité est incalculable.
Un pari que tout le monde fera parce qu’en attendant qu’un potentiel échec soit démontré, dans 10 ans, dans 20 ans, les actionnaires, les marchés, l’employeur sanctionneront celui qui a refusé d’y aller.
Qui aura raison ? On le saura dans 10 ans.
Et peut être même qu’à ce moment l’IA sera considéré comme un coût non rentable mais indispensable à la survie d’une entreprise. On a déjà vu des bizarreries plus surprenantes.
Image : ROI de l’IA de CoreDESIGN via Shutterstock.