Recrutement : l’ATS, cet « Agent Très Stupide »

-

Vous ne connaissez peut être pas l’acronyme ATS mais vous y avez certainement été confrontés et, si vous le saviez, peut être que vous auriez une dent contre eux.

En recrutement, les ATS (Applicant Tracking Systems) ou système de suivi des candidats sont devenus des outils indispensables d’abord pour les entreprises gérant un grand volume de candidatures puis se sont généralisés à toutes les tailles d’entreprise.

Ces logiciels trient et analysent les CV et lettres de motivation reçus dans le cadre d’un processus de recrutement.

Alors si vous vous n’en êtes pas encore conscients autant dire les choses noir sur blanc : si un jour vous parlez à un humain dans un processus de recrutement c’est que, préalablement, une machine a trouvé votre CV digne d’intérêt et le lui a transmis. Et si vous recevez un refus, surtout rapide, sachez qu’il y a de fortes chances que jamais un humain ne l’ait lu.

Mais les ATS ne sont pas exempts de reproches et il règne une certaine hypocrisie sur le sujet. De nombreuses personnes qui en font la promotion sur les réseaux sociaux, souvent pour afficher un certain modernisme, sont plus mitigés en privé.

En effet leur capacité à identifier les compétences transférables, ces compétences permettant à un candidat de passer d’un secteur ou d’un rôle à un autre avec succès, laisse à désirer.

Au final, en off, beaucoup de praticiens RH sont en fait divisés sur le sujet : faut il considérer les ATS comme une aide précieuse ou comme un frein à la diversification des talents ?

Les ATS ne sont pas bons sur les compétences transférables

Malgré une sophistication croissante les ATS peinent encore à produire une analyse textuelle qualitative.

Les ATS utilisent trop les mots clé

Ils utilisent en effet des algorithmes basés sur des mots-clés pour filtrer les CV. Au contraire d’un (bon) recruteur qui fera fonctionner son cerveau et déduira des choses de la lecture de votre CV, utilisera son expérience, déduira même des choses des non dits, l’ATS se borne à regarder si des mots-clés sont ou non présents dans le document.

Oui l’ATS est stupide. C’est même marqué dans son nom.

Un peu comme avec le SEO pour le référencement d’un site web ou d’un article qui leur enlèvent toute authenticité (Comment le web appauvrit ses auteurs et ses lecteurs), un CV optimisé pour les ATS est froid, déshumanisé et peu agréable à lire. Mais quelle importance ? Comme un site est fait pour être lu par des robots avant qu’il y amène des humains, un CV n’est pas fait pour être lu par un humain. Dommage pour ce qui est peut être la partie la plus humaine de la fonction RH

Tout cela serait parfait si cela fonctionnait. Mais ils il est avéré que cette approche trop centrée sur les mots clé exclut souvent des talents aux parcours atypiques.

C’est ainsi qu’un chef de projet dans le secteur culturel peut être écarté pour un poste similaire dans la tech simplement parce qu’il n’utilise pas les mêmes termes techniques même s’il possède de nombreuses compétences transférables. Si vous insistez sur vos compétences en project management alors que l’ATS veut un project manager vous pouvez parfois également passer à la trappe.

Il se dit que les ATS excluent jusqu’à 50 % des candidatures pertinentes pour des postes axés sur des compétences polyvalentes.

L’ATS ne comprend pas le contexte

Contrairement à un recruteur, les ATS n’interprètent pas une compétence en fonction du contexte professionnel.

Gérer 5 personnes dans une startup n’a rien à voir avec la gestion de projets transverses dans une multinationale mais l’ATS ne verra pas la différence.

Là encore seul le cerveau humain qui lui ne fonctionne pas que par mots clé est capable de faire la différence mais pour que le CV lui parvienne il faudrait qu’il ait passé le cap de l’ATS.

L’ATS est mal à l’aise avec les soft skills

Les compétences comportementales sont essentielles dans de nombreux postes mais elles échappent souvent aux ATS.

La raison est simple : ces compétences sont souvent exprimées de manière implicite. Le cerveau humain peut les déduire, pas la machine.

Pas de chances pour les candidats : si 85% des compétences permettant d’évoluer sont des softskills et pas des hard skills, elles resteront invisibles aux yeux des ATS.

L’ATS raffole des bias algorithmiques

L’ATS n’est qu’une machine qui apprend des données historiques et perpétue bêtement les traditions ce qui peut nuire aux candidats atypiques, comme ceux ayant changé de carrière ou pris un congé prolongé.

Ils peuvent écarter des femmes revenant d’un congé parental faute de correspondre aux critères linéaires, ou les exclure des emplois techniques, favoriser les gens qui ont eu une évolution carrière « verticale » plus que transversale etc.

Sur ce point l’ajout récent de capacité IA dans les ATS n’a rien réglé mais juste ajouté des problèmes nouveaux aux problèmes existants.

Les ATS n’exploitent pas les frameworks de compétences

Il existe des standards qui permettent de relier des compétences à des contextes (ESCO (Europe) ou O*NET (USA) )et donc rendre plus facilement identifiables des compétences transférables mais ils ne sont que rarement exploités par les ATS.

Résultat, les relations entre compétences similaires ou transférables restent invisibles pour l’algorithme.

Des recruteurs divisés

Comme je le disais plus haut les ATS rendent les recruteurs schizophrènes. En public ils ne peuvent que dire à quel point cette technologie leur permet de faire un meilleur travail en passant, selon l’expression consacrée, plus de temps sur des tâches à valeur ajoutée.

Valeur ajoutée pour eux ou pour le candidat ?

En privé le discours est plus nuancé.

S’ils sont unanimes pour dire que les ATS sont utiles pour gérer le volume de candidatures ils regrettent souvent leur incapacité à détecter les compétences transférables et craignent que ça soit un frein à la diversité des talents.

Les ATS sont excellents pour filtrer rapidement mais ne replacent donc pas l’intuition humaine. C’est bien de le reconnaître et cela confirme le fait bien connu que le meilleur n’est ni l’humain ni la machine mais l’IA qui utilise bien la machine mais quel est l’intérêt de l’ATS si le recruteur ne peut exercer son intuition que sur les CV que ce dernier a filtré.

Il y a une autre critique que j’ai trouvé pertinente et pleine de bon sens : « les ATS favorisent des candidats éligibles plutôt que des candidats à fort potentiel« .

Peut on sauver le soldat ATS ?

Ne pensez pas que je me livre à une croisade anti ATS. Je reconnais le potentiel et le caractère indispensable de l’outil mais je ne peux ignorer son côté perfectible.

Et d’ailleurs les éditeurs d’ATS le savent et travaillent à améliorer leur produit.

La première amélioration possible est bien entendu l’intégration de l’intelligence artificielle. Des outils de traitement du langage naturel et de machine learning capables d’analyser le contexte et la pertinence des compétences.

Par exemple un candidat ayant « géré des projets » dans l’humanitaire pourrait être identifié comme pertinent pour des postes en gestion logistique.

Mais attention, comme dit précédemment, l’IA est esclaves des données avec lesquelles on l’a éduquée. Si vous avez toujours recruté des hommes blancs de plus de 50 ans diplômé d’un nombre restreints d’écoles, votre IA recrutera des hommes blancs de plus de 50 ans diplômé de ces écoles et, pire, restreindra les chances d’autres profils d’être sélectionnés.

Il faudra donc entrainer l’IA avec des cas « fictifs » qui ne seront pas représentatifs du passé mais du futur recherché.

Ensuite on peut coupler les ATS avec les frameworks standards pour améliorer la reconnaissance des talents polyvalents.

Il est ensuite possible de travailler sur les filtres pour rechercher davantage des aptitudes générales que des compétences techniques très précises.

Last but not least on peut également améliorer la formation des recruteurs qui ne sont pas tous très doués lorsqu’il s’agit de paramétrer un ATS finement.

Dernière manière de débiaiser les ATS, l’utilisation d’outils d’évaluation comportementale en complément de l’ATS (Recrutement : arrêtons d’appeler les tests de personnalité des tests). Mais ces tests sont utilisés en général sur des candidats déjà sélectionnés, une fois que l’ATS a déjà commis ses méfaits.

Conclusion

Pour illustrer mon propos je vais vous parler d’une personne qui vous est certainement inconnue : Pierre Labasse. Il a été en son temp un des meilleurs directeur de la communication interne de France, si ça n’est le meilleur. Il a dirigé la communication interne de Danone à l’époque d’Antoine Riboud et on lui doit de nombreux livres dont l’excellent « Un patron dans la cité ».

Je vous dis cela parce que Pierre Labasse était historien de formation. Un ATS lui aurait il donné la chance de devenir le DirCom qu’il a été ?

C’est ce qui m’inquiète.

Malgré leur potentiel réel et le fait qu’ils soient devenus incontournables les ATS sont encore immatures en matière de reconnaissance des compétences transférables.

C’est dommage car si je vois un et un seul intérêt à l’apport de la technologie dans le recrutement c’est bien celui-la car un recruteur, en la matière, est limité par sa propre expérience.

Les recruteurs ne doivent donc pas leur faire une confiance aveugle mais s’en servir comme des assistants, en gardant un oeil au dessus de leur épaule pour éviter qu’une pépite ne passe entre les mailles du filet.

Image : robot recruteur de Andrey_Popov via Shutterstock.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
You don’t speak french ? No matter ! The english version of this blog is one click away.
1,743FansJ'aime
11,559SuiveursSuivre
26AbonnésS'abonner

Récent