Hyperconnexion en entreprise : le numérique devient un fardeau

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J’ai eu la chance la semaine dernière d’assister à la présentation de l’édition 2025 de l’Etat de l’art de la transformation interne des organisations organisée par le cabinet Lecko, un événement et surtout un document qui s’est installé depuis des années comme un incontournable pour quiconque s’intéresse aux évolutions des modes de travail rendue possible par le numérique.

Le document est de taille conséquente (et je ne peux que vous conseiller de le télécharger) et je vais donc revenir dessus au travers de plusieurs articles thématiques.

Je ne vais pas vous apprendre que la transformation numérique a radicalement changé notre manière de travailler. En quelques années, nous sommes passés d’une organisation rythmée par des interactions physiques et des communications structurées à un flot ininterrompu d’échanges digitaux. Cette évolution, si elle a apporté une flexibilité sans précédent, a aussi généré un nouveau problème majeur : l’hyperconnexion.

Les collaborateurs sont aujourd’hui sur-sollicités. Avec les réunions qui s’enchaînent, les e-mails qui s’accumulent et les messageries instantanées qui exigent des réponses quasi immédiates, la charge cognitive explose.

Pour beaucoup il s’agit d’une fatalité comme tout ce qui touche à des flux immatériels (L’open space n’est pas une usine mais parfois vous devriez le regarder ainsi et L’interview fictive d’Eliyahu Goldratt sur l’infobésité et les goulots d’étranglement dans le travail du savoir) mais ça n’est pas le cas à condition de se donner le mal nécessaire. En analysant ses causes, en comprenant ses conséquences et en mettant en place des actions concrètes, il est possible de reprendre le contrôle et ce d’autant plus que les entreprises ne sont plus aveugles (Feedback et données secondaires : comment mettre la data au service de l’expérience employé ?).

Ce qui est d’ailleurs intéressant dans cet état de l’art c’est que Lecko, grâce à sa spin off Gr33t, une plateforme qui quantifie les usages numériques de l’environnement de travail pour aider  au développement de meilleures pratiques de travail grâce à la data, dispose à ce jour des données relatives aux pratiques de 16 000 collaborateurs d’entreprises diverses.

La surcharge informationnelle est la norme

Lors de la présentation de l’édition 2023 du référentiel j’avais déjà constaté des signaux alarmants (Pourquoi votre Digital Workplace nuit à la performance de votre organisation) et je ne m’attendais pas à voir les choses s’améliorer : on peut multiplier les technologies à foison et les multiplier cela ne changera rien au fait qu’on les utilise mal et qu’on ne veuille faire aucun effort sur le sujet (Outils collaboratifs en entreprise : de la confiture aux cochons ?).

D’ailleurs en en parlant avec des participants nous avons partagé notre surprise par rapport à un constat partagé. Si on compare à la ce que nous voyions il y a une quinzaine d’années les entreprises ne rechignent plus à dépenser de l’argent sur de la technologie mais les dispositifs d’accompagnement se réduisent comme une peau de chagrin. Un sujet sur lequel il faudra d’ailleurs que je revienne dans le futur.

On constate donc sans surprise que le volume d’échanges numériques a connu une croissance exponentielle. Loin d’améliorer l’efficacité, la surabondance d’informations et de sollicitations perturbe la concentration et déstructure les journées de travail.

Quelques constats :

  • Des sollicitations hors horaires habituels : 10% des collaborateurs échangent en dehors de leurs heures de travail un jour sur deux. Chez les cadres, ce taux grimpe à 40%.
  • Un empilement de réunions : lorsque le volume hebdomadaire de réunions dépasse 20 heures, les tâches imprévues ne peuvent être traitées qu’en dehors du temps de travail.
  • Un multitâche systémique : plus une réunion est grande, plus les participants effectuent d’autres activités en parallèle, notamment en visioconférence.
  • Une explosion des chats et des e-mails : si ces outils de communication permettent une interaction rapide, ils créent aussi une pression constante et dégradent la qualité de l’attention.

Pour ce qui est des chats il faudra en reparler de manière spécifique car si on s’entend sur le fait que l’email soit le fléau du poste de travail j’ai bien peur qu’avec le chat nous ayons enfanté un monstre plus difficilement maitrisable mais qui de plus ne emplace pas l’email mais s’ajoute à lui.

L’hyperconnexion : un impact mesurable

Une étude menée sur 16 000 utilisateurs par Lecko et Cog’X (une agence conseil en neurosciences) met en évidence que :

  • Le multitâche en réunion est devenu la norme.
  • 40% des cadres sont en hyperconnexion permanente.
  • Une surcharge de réunions entraîne une hausse du multitâche, qui conduit à une augmentation du travail hors horaires.

Ces données montrent que l’hyperconnexion n’est pas une question individuelle, mais bien un problème structurel qui touche toutes les tranches d’âge et tous les niveaux hiérarchiques.

Un cercle vicieux entre fatigue, inefficacité et impact environnemental

Il faut bien rappeler que l’hyperconnexion n’est pas le propre d’une catégorie d’employés spécifiques. Si on regarde le panel de 16 000 utilisateurs qu’observe Lecko on remarque que

  • Les hyperconnectés (envoient un email avant 8h ou après 20h 9 jours par mois et participent à 15 réunions par mois hors de la plage 8h-20h) représentent 10% du panel.
  • les hyperconnectés occasionnels qui interagissent ponctuellement hors des heures de travail sont 75%
  • les « raisonnés », qui n’interagissent que pendant les heures de travail ne sont que 15%.

Et je trouve d’ailleurs que Lecko a été large en définissant le heures de travail comme la période qui va de 8h à 20h. Si on s’en tenait aux heures de travail stricto sensu ça devrait donner des chiffres encore plus alarmants.

La première conséquence de tout cela est une dégradation de la santé mentale et physique.

L’accumulation de sollicitations et la multiplication des interruptions ont des répercussions directes sur la santé des collaborateurs. 56% des salariés ressentent une fatigue accrue après seulement deux heures de visios successives. La pression constante et le manque de temps de récupération augmentent le risque de burnout.

La seconde est une baisse de l’efficacité et de l’engagement.

La fragmentation de l’attention entraine une baisse de la qualité du travail. Les managers, en particulier, se retrouvent en difficulté pour mobiliser leurs équipes et gérer les imprévus. Les travail se passe surtout en réaction, ce qui alimente un sentiment de perte de contrôle.

La troisième est un impact environnemental sous estimé.

L’intensification des usages numériques a un impact direct sur l’empreinte carbone des entreprises avec des émissions en hausse de 30% par an.

Plus précisément :

●  15 % augmentent leurs émissions de 0 à 30%

●  20 % augmentent leurs émissions de 30 à 100%

●  40 % doublent ou plus leurs émissions.

Comment reprendre le contrôle et lutter contre l’hyperconnexion ?

Si on n’y fait rien la situation pourrait rapidement devenir hors de toit contrôle et l’étude donne des pistes pour agir.

Tout d’abord l’encadrement des outils digitaux en mettant en place des chartes d’usage et rappelant les bonnes pratiques pour limiter les interruptions.

Mais l’exemple vient toujours du haut et rien ne fera sans un changement de culture managériale. Il s’agit de cesser de glorifier la réactivité et promouvoir une gestion du temps respectueuse des rythmes individuels.

Il est essentiel de sensibiliser et former en Informant les collaborateurs sur les conséquences de l’hyperconnexion et leur donnant des solutions concrètes pour y rémédier.

Il faut également réinterroger l’utilité des réunions, inciter à des formats plus courts et limiter les sessions où la présence de tous n’est pas indispensable.

Rien ne peut se faire sans mesure et sans objectifs et là on voit la contribution d’outils comme Gr33t à cette étude en fournissant des mesures telles que le nombre de jours avec des interactions hors horaires, le taux de multitasking en réunion ou la part des réunions accolées.

Conclusion

L’hyperconnexion est un symptôme d’une mauvaise organisation du travail, et non une fatalité. Je dirais même qu’elle est un choix managérial toxique.

Si on veut que le numérique reste un levier de performance et non un facteur de stress il est urgent de reprendre le contrôle. Moins de sollicitations inutiles, plus de temps de concentration, une meilleure gestion des réunions, il y a des moyens pour transformer le travail numérique en un outil au service des collaborateurs, et non l’inverse

Image : hyper connexion de mentalmind via Shutterstock.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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