Second article sur les enseignements que je tire de l’édition 2025 de l’état de l’art de la transformation interne par Lecko. Après l’hyperconnexion qui a été l’objet de mon premier article (Hyperconnexion en entreprise : le numérique devient un fardeau) je voudrais parler d’un sujet qui m’intéresse tout autant qu’il m’énerve : le numérique responsable et, surtout, son impact environnemental.
Pourquoi ? Parce d’un coté je vois des entreprises qui communiquent massivement sur leur ambition environnementale, sont fières d’annoncer que leurs salariés ne prennent plus l’avion mais qui a coté non seulement ferment les yeux sur l’impact de leurs environnements de travail numériques mais, en plus, sont se targuent d’essayer d’utiliser l’IA pour tout et n’importe quoi alors que là on atteint des sommets en termes d’impact environnemental.
Pour rappel (L’escompte hyperbolique et le coût environnemental de l’IA):
• Aux Etats-Unis, les centres qui hébergent ces données consomment déjà 2 à 3 % de l’ensemble de l’électricité du pays, et cette consommation devrait tripler dans les 5 prochaines années.
• 40 à 50 % de l’énergie consommée servent à produire des données, 30 à 40 % sont consacrés au refroidissement de ces centres.
• près de 40 % des centres de données dans le monde risqueraient de souffrir de pannes d’électricité, ce qui les obligerait à restreindre leur consommation d’énergie dès 2027 et donc de ne pouvoir répondre à une demande dont la croissance est estimée à 160 % pour les deux prochaines années.
Déjà en 2019 une étude de Green IT de 2019 évaluait la consommation d’énergie primaire de l’industrie du numérique à 4,2 % de la consommation mondiale (La responsabilité écrasante des dirigeants sur les impacts d’lA).
Le numérique engendrait à l’époque environ 3,5% des émissions mondiales, en croissance de 8% par(+8%/an de 2014 à 2019) ce qui devait nous amener à 7% en 2025. Mais c’était avant l’IA.
En comparaison l’aviation commerciale représente environ 2,5 % à 2,9 % des émissions mondiales de CO2 et si on prend en compte l’intégralité de l’impact du secteur on atteint 6% (Est-il vrai que l’avion n’est responsable que de 3% des émissions mondiales de CO2, soit moins que le numérique ?).
Sachant qu’un des deux secteurs est sous le feu des projecteurs et ne cesse d’améliorer son impact alors que l’autre donne l’impression de penser qu’il peut faire ce qu’il veut impunément car tout le monde s’en moque et qu’en plus il véhicule une image de modernité il y a lieu d’être préoccupé.
Un acteur majeur du secteur m’avait d’ailleurs dit il y a quelque années « on fait de la m…à grande échelle mais de la m….cool… et tant que tout le monde tape sur l’aviation car c’est un symbole nous on est tranquilles« .
Le numérique est donc devenu un pilier central de nos vies professionnelles et personnelles. Bien qu’on le présente comme un facteur de simplification et de modernité, il masque avec talent un coût environnemental massif et souvent sous-estimé. Derrière la dématérialisation et la soi-disant efficacité se cache donc une consommation exponentielle d’énergie et de ressources.
Mais voyons donc ce que nous dit l’étude sur le sujet…
L’impact environnemental triplement alarmant du numérique
L’impact environnemental du numérique a trois causes principales.
La première sont les gaz à effet de serre. Nos appareils, nos serveurs et nos infrastructures numériques fonctionnent grâce à une énergie qui, dans la majorité des cas, repose sur des sources fossile en tout cas au niveau mondial.
Ensuite vient le fait que nos équipements numériques sont construits avec des matières rares et difficilement recyclables. Leur extraction est énergivore et polluante et leur recyclage reste aujourd’hui une chimère.
Enfin il y a la consommation d’eau invisible. Les data centers, nécessaires à la gestion des données, utilisent des quantités massives d’eau pour leur refroidissement ce qui exacerbe la tension hydrique dans certaines régions.
Ici je voudrais ajouter quelques chiffres pour qu’on prenne bien la mesure de ce qui se passe avec une affaire qui avait en son temps ému l’opinion. Le data center de Microsoft à Middenmeer, en Hollande du Nord, a consommé 84 millions de litres d’eau potable en 2021, alors que les prévisions initiales étaient de 12 à 20 millions de litres par an (water in, data out: microsoft underestimates dutch centre’s thirst). Une information qui avait fait grand bruit alors qu’à l’époque les Pays-Bas ont officiellement déclaré une sécheresse à cause d’un été particulièrement sec.
Et si vous trouvez ChatGPT « cool » dites vous que « si l’entraînement d’un grand modèle de langage coûte 126 000 litres d’eau, une conversation avec ChatGPT en dépense environ un demi-litre » (Les trois pénuries dont pâtit l’intelligence artificielle générative et ChatGPT And Generative AI Innovations Are Creating Sustainability Havoc).
Comme le me disait une personne bien informée dans une grande entreprise française « quand on voit le coût financier et environnemental de chaque requête faite avec l’IA il est évident qu’on ne pourra donner accès à cette technologie à tout le monde de manière illimitée ou alors il faudra expliquer aux gens qu’on s’est bien moqués d’eux avec nos engagements environnementaux« .
Quelques chiffres clé
L’empreinte carbone du numérique ne se limite pas à l’utilisation des appareils, mais s’étend à chaque étape de la chaîne et l’étude nous donne des chiffres assez précis sur le sujet.
- Transmission des données : 1 Go de données émis en France génère environ 10 gCO2e.
- Stockage : conserver 1 Go de données pendant un an émet en moyenne 400 gCO2e.
- E-mails : un mail standard génère environ 0,41 gCO2 par Mo transmis.
- Cloud & messageries d’équipe : stocker 1 Go de données dans le cloud consomme 410 gCO2e/an.
- Visioconférence : 0,36 gCO2e/min/participant.
Des chiffres qui peuvent sembler faibles de prime abord mais qui peuvent donner le tournis si vous les mettez à l’échelle du nombre d’utilisateurs et de leurs usages.
Le problème se situe également dans les tendances. On pourrait se dire que si les chiffres sont mauvais il y a une prise de conscience et que les choses s’améliorent peu à peu mais c’est loin d’être le cas. L’étude nous montre que non seulement 80% des utilisateur observés ont augmenté leurs émissions mais aussi que de manière annuelle :
● 15 % augmentent leurs émissions de 0 à 30%
● 20 % augmentent leurs émissions de 30 à 100%
● 40 % doublent ou plus leurs émissions.
L’IA Générative aggrave la situation
Au début de ce billet je vous donnais des chiffres en précisant qu’il s’agissait de prévisions faites avant l’IA et pour cause : l’essor de l’IA générative ne fait qu’accélérer cette dérive environnementale.
A titre d’exemple, une requête sur ChatGPT-4 consomme 10 fois plus d’énergie qu’une requête sur GPT-3.5, les data centers devraient voir leur consommation d’électricité doubler d’ici 2026 et Microsoft, en dépit de ses engagements environnementaux, a vu ses émissions augmenter de 30% en 2023.
Le fossé entre les discours et la réalité.
Quand on voit l’écart entre les discours des entreprises et les chiffre on peut se demander si les entreprises ne font pas du greenwashing à grande échelle quand on parle de numérique ou si, comme lorsqu’on parle d’hyperconnexion, elles ne sont pas dans une logique de se dire que « si c’est intangible et que ça ne se voit pas ça n’existe pas« .
L’étude met en outre en avant différents facteurs d’aggravation.
L’un d’entre eux est l’effet rebond. Par là on entend que plutôt que réduire la consommation (ce qui serait rationnellement possible) les avancées technologiques ne font qu’introduire de nouveaux usages qui stimulent la demande et donc augmentent mécaniquement l’empreinte du numérique.
Il y a également à mon sens l’effet expérimentation, notamment avec l’IA. On essaie tout et n’importe quoi, on utilise l’IA même pour des cas d’usage qui ne sont pas appropriés mais rien de dit que demain on reviendra à un usage plus rationnel et raisonné.
Un autre facteur est la démultiplication des données. Je pense que les plus anciens d’entre vous ont comme moi vu arriver le cloud comme une libération (je rappelle aux plus jeunes qu’au milieu des années 2000 il était impensable de parler de cloud ou de Saas à la plupart des DSI…) car quand on parlait d’usages numériques collaboratifs la question de l’espace de stockage arrivait très vite dans la conversation. Tout était stocké sur les serveurs de l’entreprise qui n’étaient pas extensibles à l’infini donc qu’on parle de documents partagés ou même de boite mail il fallait faire le ménage régulièrement.
Avec le cloud cette capacité de stockage n’est pas devenue infinie mais presque et en tout cas c’est perçu comme tel ce qui fait que les utilisateurs n’ont absolument aucune hygiène en la matière.
Pire, on va trouver le même documents dans différentes espaces de stockage, dans les drives personnels, dans les boites mail (et dans la boite que chaque destinataire) sans que personne ne se préoccupe d’une gestion optimisée des informations.
Quels leviers pour une sobriété numérique ?
Là également l’étude donne des pistes qui ne vous sembleront peut être n’être que du bon sens mais l’expérience montre que le bon sens est peut être la chose la moins partagée en entreprise.
Il y a d’abord une modification des usages. Cela passe par supprimer les données inutiles et archiver celles qui doivent être conservées sans être accessibles en permanence ou privilégier les outils collaboratifs plutôt que les envois multiples d’e-mails. Quand on voit encore, en 2025, des gens qui envoient un document en pièce jointe au lieu de partager un lien vers le document alors que cela devrait être la norme depuis au moins 10 ans on voit à quel point on part de loin.
De la même manière inutile de confier à ChatGPT une recherche simple que Google ferait aussi facilement c’est un peu comme se faire livrer une pizza en Airbus.
Ironiquement (ou pas) alors que l’essence même des nouveaux outils qui ont envahi notre environnement de travail est le partage plutôt que la multiplication des documents ils ont produit l’effet inverse.
Bien sur comme l’environnement est un sujet de préoccupation partagé la sensibilisation des collaborateurs est non seulement essentielle mais devrait être simple.
Mais quand on parle de choses intangibles on se retrouve, à mon avis, avec le même problème que celui rencontré avec les usages personnels : le terroriste écologiques est moins celui qui prend l’avion que l’adepte du bing watching sur Netflix et du fast fashion mais l’idée ne fait pas son chemin dans les têtes.
Un point de sensibilisation, notamment, concerne le fait qu’il faut insister sur l’efficacité collective comme moteur du changement. Et c’est à mon sens une partie du problème : chacun se dit qu’à son niveau son impact est négligeable et qu’il ne peut pas influer sur les usages des autre. Mais c’est en envoyant un PDF de 10 Mo à 20 personnes que les problèmes commencent…
Il faut également mettre en place des indicateurs de suivi pour suivre les évolutions des pratiques. Avec l’avènement de solutions comme Gr33t c’est presque la partie la plus facile et de toute manière tout commence par là.
Il va également se pose des questions de gouvernance ? Politiques coercitives ou responsabilisation ? La réponse est surement entre les deux et je remarque que les entreprises ont su être fermes sur certain sujet similaires quand il l’a fallu. Mais on parlait de choses qui avaient une matérialité (voyages, impression de documents) et avaient un cout financier. Mais comme avec les solutions modernes il n’y a pas de facturation à l’usage….
Il faut également sensibiliser les managers en faisant de la sobriété numérique un axe de performance évalué et valorisé (Dis moi comment tu me mesures, je te dirai comment je me comporterai). Cela peut semble basique mais pour moi un des basiques du changement consiste à aligner les évaluations et supprimer les injonctions paradoxales.
A l’inverse mesurer les salariés par rapport à leur activité numérique est pour de nombreuses raisons totalement contre productif et d’ailleurs ceux qui y ont pensé ont fait machine arrière (Comment inciter vos collaborateurs à brasser du vent au lieu d’être productifs (merci Microsoft))
Enfin il y a la possibilité d’organiser événements et challenges internes sur le sujet ou même, très simplement, de rejoindre des initiatives existantes comme la Digital Cleanup Week.
Conclusion
Si je pense que l’étude a le mérite de pointer le sujet du doigts je la trouve quand même extrêmement bienveillante vu l’ampleur de l’enjeu et le peu d’empressement des entreprises à vraiment agir sur le sujet des usages numériques des collaborateurs.
Il est temps de sortir du déni. Le numérique, loin d’être immatériel, a une empreinte écologique colossale. Son impact sur l’environnement ne peut plus être ignoré ni minimisé. Ce ne sont pas les promesses qui changeront la donne, mais des actes concrets et mesurables.
Le travail numérique représente déjà la moitié des émissions de CO2 liées à un poste de travail et la multiplication des données et la croissance exponentielle des flux ne font qu’aggraver la situation.
Ca n’est pas une affaire de technologie mais de comportements.
Image : Green IT de DC Studio via Shutterstock.