Le monde du travail est en évolution rapide et constante et nombreux sont les collaborateurs qui aujourd’hui disent être en perte de repères. En réponse, certains recherchent au delà d’un salaire une raison d’être et la question du sens au travail s’impose comme un vrai sujet pour les entreprises.
Dans ce contexte beaucoup de RH se retrouvent sinon devant un dilemme en tout cas devant un challenge : aligner les aspirations individuelles avec les objectifs de l’entreprise.
Le sens : un sujet à ne pas sous-estimer mais à ne pas surestimer non plus
Le sens est un concept assez ancien en RH et en management mais cela ne fait que quelques années qu’il s’est imposé comme une priorité pour certains. Inutile de se lancer dans une longue réflexion pour comprendre pourquoi quand on voit à quelle vitesse on enchaine les crises et les transformations majeures dans tout les domaines avec des salariés qui cherchent quelque chose à quoi se raccrocher.
C’est donc un sujet à ne pas sous-estimer et quand j’entend encore « ils ont un job et un salaire, que veulent ils de plus ? » je me dis qu’ils vont au devant de grandes déconvenues.
Mais, et je sais que je ne vais pas me faire que des amis dans la mouvance humaniste bien pensante qui semble dominer les discours, le sens n’est peut être pas tout et en tout cas pas pour tout le monde.
Il y a des gens pour qui le travail n’est qu’un moyen au service d’autres aspirations. Il sert à financer une passion pour l’art, pour le voyage, à aider un parent proche en difficulté etc. Il est au service de quelque chose de supérieur qui a du sens, lui n’étant qu’un moyen.
Je fais même partie de ceux qui pensent que c’est une bonne chose : quand le travail représente tout dans la vie d’une personne c’est un déséquilibre qui peut être dangereux et faire mal à long terme, un peu comme quand on a ses collègues pour seules relations sociales (Ce que nous dit vraiment le sentiment de solitude de certains en télétravail)
Et le sens ne doit pas être non plus un cache misère qui permet de se dédouaner d’obligations fondamentales en profitant d’un engagement voire d’un dévouement fort pour faire passer des conditions de travail ou des salaires au rabais.
Je ne tomberai donc pas dans l’excès qui consiste à dire que tout le monde est en recherche de sens et que c’est alpha et l’omega de l’engagement des collaborateurs. Mais pour ceux pour qui ça compte il est en effet urgent de travailler sur le sujet.
De quoi parle-t-on ?
On parle d’un concept qui va bien au delà de la satisfaction au travail, et je dis bien satisfaction et pas bonheur (Bye bye bonheur au travail, bonjour satisfaction). Cela comprend des choses telles que l’alignement avec les valeurs personnelles, la perception d’impact positif et l’impression de contribuer à un objectif plus grand que soi.
Selon McKinsey 70 % des employés déclarent que leur sens du travail est fortement lié à leur identification aux valeurs de l’entreprise (Help your employees find purpose—or watch them leave). C’est beaucoup mais cela confirme qu’un tiers des salariés n’en a rien à faire, ce qui n’est pas rien non plus.
Pas de sens sans définir et communiquer une vision claire
Comme le dit Simon Sinek dans Start With Why, une vision forte favorise la loyauté et l’engagement.
Il incombe donc aux entreprises d’élaborer une vision inspirante et cohérente avec des valeurs authentiques, ce qui n’est pas une mince affaire dans certains cas. Les entreprises ont une histoire et les salariés et même le marché ont de la mémoire donc faire du senswashing en arrivant un beau matin avec un discours et des convictions qui tombent du ciel ne fonctionne pas. C’est même pire que ne rien faire.
Ensuite on vous dira que cette vision doit être communiquée aux équipes en insistant sur la façon dont chacun, chaque rôle contribue à cet objectif global. Effectivement c’est la base mais c’est loin d’être suffisant.
La communication n’est pas et ne dois pas être un substitut à l’action ! Il en est de la vision comme des valeurs : les salariés veulent la voir appliquée ! Si à la question « comment vois tu la vision exister concrètement dans ton quotidien » les salariés peine à trouver des réponses il y a un problème.
Le sens au travers de l’expérience employé
On entend parfois que « le client est un marché d’une personne » mais on devrait également dire la même chose des collaborateurs (Le salarié post covid : un marché d’une personne insaisissable) qui ont tous des aspirations qui leurs sont propres et qui parfois varient régulièrement au fil du temps.
Il est donc essentiel de personnaliser leur parcours en entreprise et de les écouter régulièrement pour comprendre comprendre leurs motivations profondes et adapter leurs missions pour qu’elles soient en phase avec leurs objectifs personnels. Cela renforce l’engagement qui lui-même est supposé influer la productivité : selon Gallup les employés engagés sont en effet 23 % plus productifs (State of the Global Workplace) quoique tout le monde ne soit pas aussi affirmatif (Engagement des Employés : Illusion de Performance ou Réel Impact ?).
Peu importe, mieux vaut des salariés engagés que l’inverse.
Le sens par l’autonomie et la responsabilisation
Pour certaines personnes le sens du travail vient de la capacité à influencer directement le cours des choses et les résultats. Cela passe par des moments d’autonomie, de décisions, la capacité à prendre des initiatives (When Autonomy Helps Team Performance — and When It Doesn’t).
J’insiste sur la notion de moments. On entend souvent qu’en fonction de l’expérience on ne peut pas donner de l’autonomie à tout le monde et c’est vrai, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas en donner.
On fonction de l’expérience, de la maturité de chacun on peut toutefois donner des bouts d’autonomie plus ou moins grands à tous, chacun à son niveau. Les plus expérimentés y verront une forme de reconnaissance, les plus jeunes une marque de confiance et c’est positif dans les deux cas.
Le sens est un organisme vivant
La notion de sens fluctue au fur et à mesure de l’évolution des aspirations individuelles. Alignement d’un jour ne veut pas dire alignement toujours.
Il faut donc mettre en place des mécanismes pour évaluer la perception du sens par les collaborateurs. Des enquêtes ou des indicateurs clés comme le Net Promoter Score des employés (eNPS) permettent d’identifier les dés alignements et procéder aux ajustements nécessaires.
L’importance du développement personnel et professionnel
Apprenez à vous occuper de vos employés, le reste suivra, disait Richard Branson. Les salariés attendent que l’entreprises les aide à développer leurs compétences et maintienne leur employabilité.
D’ailleurs le fait de ne pas évoluer, de se sentir délaissé est une source importante de démissions.
Ils ne trouveront pas de sens dans une organisation où ils ne de développent pas personnellement et professionnellement, ne progressent pas en termes de carrière et où, dit plus synthétiquement, ils n’ont pas l’impression qu’on leu rend ce qu’ils donnent.
Revoir les critères d’évaluation de la performance
Si je disais que le sens n’était pas l’alpha et l’oméga de l’engagement de tous les collaborateurs, les critères d’évaluation, eux, envoient un message et dictent les comportements (Dis moi comment tu me mesures, je te dirai comment je me comporterai).
Des indicateurs qui valorisent les contributions qualitatives, l’impact social ou les efforts collaboratifs peut aider à mieux aligner les aspirations personnelles et les objectifs organisationnels.
Par ailleurs et avant tout ils doivent être en phase avec la vision que veut véhiculer l’entreprise. Quand les discours vont dans un sens et que les critères d’évaluation individuels vous incitent à aller dans l’autre il y a peu de chance que les salariés voient du sens dans tout cela.
Le sens a ses limites…
Il convient cependant d’être réaliste : tout comme je disais que tout le monde ne recherchait pas du sens dans le travail, toutes les aspirations individuelles ne peuvent être alignées avec les besoins de l’entreprise.
Tout n’est pas tout noir ni tout blanc et c’est aux RH de trouver leur chemin dans le gris, voire le brouillard, en trouvant le bon équilibre entre écoute et contraintes organisationnelles.
Un autre enjeu, alors qu’on met l’accent à juste titre sur le collectif ce qui engendre souvent des comportements plus sains qu’un individualisme forcené, est de ne pas tomber dans l’excès inverse et arriver à ce que les aspirations individuelles soient étouffées par les par objectifs collectifs.
Conclusion
La quête de sens n’est pas une tendance passagère mais une transformation durable des attentes sinon de tous les collaborateurs en tout cas d’un nombre croissant.
Les RH, qui se revendiquent architectes de l’expérience employé, ont ici l’opportunité de créer des environnements où aspirations individuelles et objectifs collectifs se renforcent mutuellement. En investissant dans le sens, les entreprises ne font pas que répondre aux besoins de leurs employés : elles construisent un avantage compétitif durable et renforcent leur réputation en tant qu’employeurs.
Mais attention, le sens ne fonctionne pas pour tout le monde et ne doit pas être le trompe l’oeil qui cache des pratiques moins flatteuses.
Image : sens au travail de Yuriy K via shutterstock