Linkedin a longtemps, en tant que réseau social professionnel, été un espace qualitatif assez policé qui pouvait trancher avec ce qu’on trouvait sur nombre d’autres plateformes mais les temps changent et Linkedin suit peu à peu le chemin que la plupart des réseaux sociaux ont entamé : une lente et peut être inexorable médiocrisation.
En un mot, Linkedin se Facebookise. D’autres diraient qu’il se merdifie (La merdification de Twitter et des plateformes en général)
Un peu comme dans un restaurant qui servait une cuisine faite maison à base de produits frais et se met à servir des plats industriels ou des aliments à la fraicheur contestable : il faut faire le tri dans la carte et on ne commande plus les yeux fermés.
Ou une ville propre, sure et agréable qui devient peu à peu la proie à la saleté et la délinquance. On peut toujours y aller mais on sait qu’il y a des quartiers à ne plus fréquenter.
Pour que Linkedin reste un endroit de valeur et, en plus, à défaut d’alternative, et puisque la plateforme ne se modère pas quant au côté profession des usages c’est donc à moi, utilisateur, qu’il revient d‘avoir ma propre hygiène lorsque j’y mets les pieds.
Qu’attend on d’un réseau social professionnel ?
Pour cela encore faut il savoir ce qu’on est en droit d’attendre d’une telle plateforme. J’ai du mal de comprendre les gens qui se plaignent de la manière dont ils sont traités sur les compagnies aériennes low-cost, après tout ils ont ce pour quoi ils ont payé ou, justement, pas payé.
Aucun usage ou comportement n’est condamnable en soi, tout dépend de son contexte. On accepte, à tort ou à raison, des choses sur Facebook ou X mais ça n’est pas pour cela qu’on doit les tolérer sur Linkedin.
A mon sens on attend plusieurs choses de Linkedin.
• Des informations et réflexions qui enrichissent, stimulent la réflexion, font apprendre des choses. Notez que je me refuse à employer le terme contenu à dessein car il dévoie l’intention sous-jacente à la publication. Une personne qui pense contenus veut occuper l’espace, celle qui pense information veut partager de la valeur avec les autres.
• Une certaine forme, une écriture d’une certaine qualité et en tout cas quelque chose qui met en valeur le fond au lieu de vouloir capter l’attention à tout prix. Si c’est intéressant ça finira par arriver à moi.
• Justement, parlant d’attention, un rapport temps/valeur reçue intéressant. Je peux scroller d’autres plateformes simplement pour passer le temps, me mettre le cerveau au repos en consultant des contenus sans d’autre valeur que celle d’occuper un temps mort sans effort intellectuel de ma part. Sur Linkedin c’est l’inverse.
• Des relations qualifiées et des rapports courtois, polis. Je veux comprendre pourquoi une personne veut se connecter à moi, soit parce que je peux potentiellement lui être utile soit l’inverse, au travers d’une discussion ou simplement en partageant nos réseaux ou les choses qu’on peut raconter. Et j’attends bien sûr des messages pertinents et polis.
Il y a donc un enjeu de fond et de forme mais qui au final se rejoignent pour définir une certaine population que je qualifierai de squatteurs d’attention et bonimenteurs de bas étages à laquelle j’ajoute celle de ceux qui cherchaient Facebook et se sont trompés d’adresse. Après tout les deux sont bleu et blanc, on a le droit d’être distrait, daltonien ou avoir la vue basse.
Et comme rien ne n’est amélioré depuis 2021 (Dis LinkedIn, tu ne te serais pas perdu en route ?) il a donc fallu prendre les choses en main et faire un peu de ménage et faire en sorte de plus croiser certaines populations
Les intitulés à la con
Comme un logiciel recherche l’affordance, un titre se doit d’être autoporteur. En le lisant on doit savoir ce que vous faites, ce que vous pouvez apporter. Mais après les bullshit jobs on a vu fleurir les intitulés de poste les plus fantaisistes (« Je suis agitatrice d’énergies… » : la dérangeante vérité derrière ces métiers improbables sur LinkedIn).
On croise donc, pêle-mêle des Ninjas de la croissance, des futuristes stratégiques, des magiciens de l’acquisition des talents, des explorateurs de je ne sais quoi, des faiseurs de pluie (sic) j’en passe et des meilleurs.
Cela ne fait pas sérieux et d’ailleurs, par expérience, ça ne l’est pas et reflète souvent une réalité moins brillante. Quand c’est flou il y a un loup, je passe mon chemin et refuse les demandes de connexion. D’ailleurs les « contenus » publiés sont souvent à l’image des titres.
Les contenus accrocheurs
Linkedin était au départ un espace plutôt dédié au recrutement et est devenu au fil du temps un lieu de vente (normal, les budgets marketing sont supérieurs à ceux du recrutement et de la marque employeur). Il n’a donc pas résisté aux méfaits de l' »écriture web » (Comment le web appauvrit ses auteurs et ses lecteurs).
Trois choses déclenchent une « alarme qualité » chez moi : les titres racoleurs, accroches accrocheuses et les contenus tellement remplis d’emojis qu’on croirait une guirlande de sapin de Noel.
La qualité se complait dans la sobriété et qui parle trop à mon oeil ou veut me séduire en une ligne n’a en général pas grand chose à dire à mon cerveau.
Les « hameçonneurs «
« Like ce post et mets un commentaire pour recevoir ma formation gratuitement« . Et bien oui, et tu me paies pour faire ton marketing aussi ?
Deux choses.
D’abord, ce qui est gratuit n’a pas de valeur.
Ensuite le but n’est pas de vous donner un document de grande valeur mais de remonter dans l’algorithme de Linkedin et faire éventuellement plus de ventes payantes en gagnant une meilleure exposition.
Alors je sais qu’un clic ne coute pas cher et qu’il y surement quelque chose à tirer du PDF qu’on va recevoir (quoique…) mais par principe je n’aime pas être pris pour un imbécile.
A la limite si quelqu’un, par honnêteté, disait « j’ai besoin de vos likes pour exister » je le ferais peut être.
Les marchands de tapis
Nous sommes à l’heure du social selling qui tire profit des plateformes sociales pour vendre autrement, plus qualitativement. Contrairement aux approches traditionnelles, il privilégie des interactions authentiques et personnalisées, comme le partage de contenu pertinent ou des conversations directes, pour démontrer son expertise et répondre aux besoins des clients potentiels. Il vise donc vise à créer de la valeur à long terme plutôt qu’à vendre immédiatement.
Dans « social selling » il me semble bien que certains n’ont gardé du concept que le canal car ce que je vois depuis des années c’est le retour en force du hard selling, notamment par les messages.
Je vous passe le ton « Salut Bertrand il faut que je te parle de…« . On se connait pour que tu me tutoies comme ça ?
Qualification de l’interlocuteur, de son entreprise, de ses besoins ? Zéro.
Personnalisation du message ? Zéro et de toute manière le plus souvent c’est un robot qui écrit.
Je ne suis pas intéressé ? Ca n’est pas un sujet pour moi ? Excuse moi de ne pas trouver le temps de te dire pourquoi, justement parce je dois consacrer mon temps à autre chose (Je ne t’ai pas répondu ? C’est tout à fait normal !), je comprends que tu me relances une fois car j’ai pu oublier mais 5 fois ou 10 fois c’est lourd mais c’est visiblement à la mode chez les « commerciaux nouvelle génération » qui n’ont jamais prospecté que derrière un écran.
J’ai même lu une fois un post d’un qui disait en gros « aux prospects qui ne veulent pas me parler sachez que je vous harcèlerai jusqu’au bout jusqu’à ce que vous craquiez car c’est la seule chose que je sais faire et je la fais très bien« .
Ah au fait, évite le message avec une accroche standard en me demandant d’aller moi-même prendre un rendez vous dans ton agenda. Je ne suis pas ta secrétaire, je ne bosse pas pour toi et je ne sers pas non plus le café (en plus je bois du thé et c’est plutôt à toi de me l’offrir).
Ca serait drôle si à force je ne ratais pas des messages importants à mes yeux, parfois même de gens qui ont besoin de mon aide et à qui je la donnerai volontiers, tellement ces gens polluent mes messages Linkedin.
Je sais que certains prennent un malin plaisir à jouer avec eux, à leur répondre de manière humoristique mais à force je n’ai pas d’énergie pour ça.
Les malhonnêtes
Vous avez déjà été surpris d’être contacté par untel ou untel alors que vous ne les connaissez ni d’Eve ni d’Adam ? Ces simples, des gens « aspirent » vos données personnelles sur Linkedin pour revendre vos coordonnées à qui le veut. Ca s’appelle le scrapping.
J’ai déjà vu passer sur Linkedin un nombre non négligeable de discussions sur le thème « j’ai construit une solution de scrapping qui marche super bien« , « comment scrapper des données etc« .
Je crois juste que je me suis fait mal voir en rentrant dans la conversation et en rappelant qu’en France au moins le scrapping était illégal et que des entreprises avaient été condamnées pour cela.
Je ne sais pas ce qui me gène le plus, que certains le fassent, en parlent ouvertement ou que Linkedin laisse faire alors que sa reponsabilité pourrait être engagée.
En tout cas ça m’a permis de faire une liste de personnes chez qui ne jamais outsourcer son marketing.
Ceci dit, au vu d’information récentes, il semble que Linkedin ne brille pas par son exemplarité en la matière non plus (LinkedIn accused of using private messages to train AI).
Les nombrilistes
Tu as traversé des expériences difficiles, tu as surmonté des difficultés, tu as été au fond du trou, tu t’es relevé, tu as appris des choses ? Très bien pour toi et tu mérites toute mon estime (à condition que ton histoire soit vraie).
Mais, entre nous, on sait bien ce c’est une astuce marketing qui vise à te victimiser pour attirer la compassion, passer un message habilement et te vendre ou vendre ou ton produit.
Cela fonctionne au début mais c’est un peu gros. Si tu veux parler de ton nombril il y a Facebook.
Ceux qui se sont trompé d’adresse
Justement parlons de Facebook et des autres.
Pour moi Linkedin doit être limité à des réflexions à vocation professionnelle mais ça n’est pas si difficile à définir.
La religion ? C’est clair elle n’a rien à faire ici.
La politique ? Oui lorsqu’elle permet d’expliquer l’économie, pas lorsque c’est juste un déversoir pour des attaques ad nominem contre des gens ou des idées (pour peu qu’elles soient dans le champ de la légalité).
La vie privée ? Non.
Tes leçons de vie ? Tu peux te les garder.
Tes vacances, ton dry January et autres choses du même ordre ? Je n’en ai rien à faire.
J’admet que parfois la frontière est fine mais dans de nombreux cas elle est largement franchie. Ca prend de la place, ça fait du bruit (mission accomplie) mais ça n’apporte rien, surtout à ceux qui tiennent à préserver l’essence de ce réseau.
Et je ne vois parle pas de la véhémence de certains commentaires qui n’auraient pas été tolérés il y a 10 ans.
« On n’est pas sur Facebook ici et si vous cherchez X c’est au fond du couloir à côté des toilettes« . Phrase que vous pouvez copier/coller en commentaire sur ce type de post.
L’intelligence artificielle
En en parlant autour de moi on m’a dit que je ne pouvais pas ne pas en parler ici, même si je suis plus circonspect.
On nous dit que 61% des articles sur Linkedin sont générés par IA. Finalement cela me dérange moins que ce que je pouvais penser même si ça va contre une certaine forme d’authenticité qu’on est en droit d’attendre sur ce réseau.
Déjà parce que cela se voit, en tout cas pour des posts personnels. Les gens ont un style que l’IA peine quand même à copier dans de nombreux cas. Pour des posts marketing vu que je me refuse à les lire je ne peux pas vous dire mais si ça nuit in fine à l’image des pollueurs ça me va aussi.
Ensuite parce que tout dépend de la nature du message.
Si c’est un article d’expertise cela me dérange profondément. Utiliser l’IA comme un sparring partner pour voir si on a couvert la totalité du sujet, pour prendre en compte des vues divergentes etc pourquoi pas mais pour écrire un article de bout en bout c’est non ! Et pour avoir testé une ou deux fois (toujours tester avant de critiquer) je n’ai jamais aimé le résultat et ça n’est pas respectueux de votre audience.
Par contre si vous voulez juste republier un article lu sur le web et que vous voulez faire un résumé factuel, sans donner d’avis ou apporter quoi que ce soit, pour partager les idées clé avec votre réseau et leur donner envie de le lire cela ne me choque pas plus que ça.
A la limite je préfère une IA un peu bête à un humain aux mauvaises pratiques.
Que faire alors ?
Heureusement Linkedin nous donne les outils pour faire face à tout cela. On peut cesser de suivre une personne, dire que cela ne nous intéresse pas, et on peut également signaler des contenus qui nous semblent illégaux (cette option comporte aussi la possibilité, un peu cachée, de dire qu’on n’est pas intéressé par l’auteur, le sujet etc sans qu’on sache trop si cela sert à quelque chose).
Pareil pour les messages privés.
Et croyez bien que je n’hésite plus à utiliser ces fonctions.
Mais je pense que Linkedin devrait se doter de mécanismes ou d’options qui permettent plus facilement de préserver l’essence du réseau comme la nature professionnelle des propos et le comportement des personnes.
Mais, on en reparlera plus tard, il y a peu de chances que cela arrive car Linkedin n’y a aucun intérêt.
Conclusion
Vous allez me dire que je suis nostalgique d’un ancien temps, que tout cela est fini et qu’il faut vivre avec son temps mais je reste convaincu que le propre d’un réseau social professionnel pour lequel un grand nombre d’utilisateurs paient de plus un abonnement premium doit être la qualité. Et elle est de moins en moins là. Ou plutôt elle est noyée dans un bruit assourdissant.
Cela ne date pas d’hier mais aujourd’hui on ne peut pas nier la réalité : Linkedin est sur une mauvaise pente et ce qui faisait la particularité de ce réseau se perd peu à peu.
A cela s’ajoute que Linkedin ne fait rien pour faire évoluer sa plateforme en termes d’expérience, qu’on parle d’expérience avec les autres ou d’expérience avec l’outil dont j’espère que les responsables UI et UX ont fini au bagne.
Mais peut on se passer de Linkedin ? Aujourd’hui la réponse est clairement non mais à force qui sait si quelqu’un n’arrivera pas avec une idée concurrente quand le ras le bol sera trop fort et que l’inefficacité marketing de la plateforme aura atteint un point de non retour pour les annonceurs.
Ceci dit je connais des gens qui ont déjà déserté en se constituant en communauté privée sur cooptation quitte à payer de leur poche une instance d’une plateforme dédiée. Dommage pour les rencontres et la sérendipité mais c’est le prix à payer pour la bienveillance et la qualité.
Et il y en a quand même qui ont fini par totalement déserter l’endroit. Peu, mais il y en a.
En attendant je vais reprendre la métaphore du restaurant utilisée au début de cet article.
« Si c’est de pire en pire pourquoi tu y vas encore ?«
« Parce que mes amis y vont et que c’est le seul restaurant de la ville« .
Image : Linkedin de MOUTASEM PHOTOGRAPHY Via shutterstock