Je n’irai pas comme certains jusqu’à dire que le modèle d’entreprise pyramidal et hiérarchique ne fonctionne plus mais plutôt qu’il fonctionne mal et que beaucoup s’en contentent.
Beaucoup mais pas tous car des modèles alternatifs existent et on été adoptés par des entreprises très variées et, admettons le, pas toujours avec le succès escompté. Echanger un dogme pour un autre sans vraiment comprendre où il nous emmène et sans vouloir de compromis ne fait que créer les problèmes inverses de ceux qu’on veut régler, parfois en pire.
En effet c’est un thème qui est souvent abordé de manière quasi philosophique en oubliant qu’à la fin une philosophie est au service de l’entreprise et pas l’inverse. Et dans le cas qui nous intéresse, à la fin, il y a des gens qui travaillent et doivent s’organiser et collaborer pour créer de la valeur et c’est la seule chose qui doit nous préoccuper.
Donc dans cet article au lieu de partir du concept et le décliner j’ai pris le problème dans l’autre sens en partant du résultat attendu pour comprendre ce qui était nécessaire à son obtention.
Il ressort de tout cela un changement qui est celui non pas du rapport de force entre l’entreprise et ses salariés mais ce que chacun attend de l’autre et lui apporte pour la réussite de l’ensemble…et effectivement un modèle où on est moins dans l’entreprise qui organise et prescrit que l’entreprise qui met à disposition des moyens au service des compétences et de la capacité d’innovation et d’initiative de ses employés.
Un peu comme une « entreprise as a service » où le collaborateur serait consommateur des ressources de l’entreprise et les agencerait à sa manière pour réussir dans la mission qui lui est confiée.
Renverser la pyramide : de l’autorité à la contribution
C’est un sujet vieux comme le monde : dans un monde qui ne cesse d’accélérer il faut prendre les décisions au plus près du terrain pour plus de réactivité et de pertinence. Après tout les gens de terrain sont les meilleurs experts de leurs problèmes et la subsidiarité (le collaborateur est libre de ses initiatives tant que le manager ne juge pas utile d’intervenir) a montré son efficacité.
Et puis il y a l’idée sous-jacente que le manager devient davantage un organisateur, quelqu’un qui rend les choses possibles et donne les moyens à un collectif d’exprimer ses compétences plus qu’il ne le commande.
On passe donc de la centralisation au réseau collaboratif. L’entreprise ne fonctionne plus comme une entité où le sommet décide et la base exécute. Les décisions sont prises au plus près de l’action, permettant plus de réactivité et d’autonomie. Historiquement c’est un principe de la qualité industrielle mais plus récemment ça a été repris dans des théories organisationnelles telles que l’holacracy ou la sociocracy, avec, admettons le, des résultats mitigés, preuve s’il en est que le dogmatisme pur ne mène pas loin.
Dirigeants et managers deviennent donc des catalyseurs de la performance collective. Leur mission principale n’est pas d’être au sommet, mais de déverrouiller le potentiel des équipes. La valeur n’est pas dans le statut mais dans ce qu’on accomplit ou permet d’accomplir.
Le servant leadership : le manager au service des autres
Une transformation qui est au coeur des réflexions sur le rôle voire l’utilité du manager (Manager est-il encore un métier ?).
Il ya a donc une inversion des rôles au service du collaborateur qui est lui même au service du client (Peut on renverser la pyramide sans le client ?). Inspiré par des gens comme Robert Greenleaf, le servant leadership place l’empathie, l’écoute, et le soutien au cœur du management. Le leader n’est plus un héros, mais un facilitateur.
Une posture qui, en général, fait émerger une culture de confiance et de responsabilisation, favorisant l’innovation et réduisant le turnover.
Tout est question de création de valeur
Derrière tout cela il doit y avoir une réflexion sur la création de valeur qui plus qu’un dogme ou une philosophie doit rester l’objectif final de toute démarche d’innovation managériale si on ne veut pas qu’elle soit contreproductive.
En se positionnant comme un service pour ses clients mais aussi et avant tout pour ses collaborateurs, l’entreprise s’adapte à leurs besoins en temps réel, avec une approche centrée sur l’expérience et la satisfaction.
Autre conséquence, trop souvent vues comme des freins les fonctions supports deviennent des facilitateurs internes, libérant les opérationnels de contraintes inutiles et leur permettant de se concentrer sur l’essentiel (La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé).
Cela permet également de lutter contre une tendance facheuse mais difficilement évitable si on n’y prend garde qui fait qu’à un moment management, fonction support et administration fonctionnent quasiment pour leur propre besoin et pour justifier leur existence en oubliant leur vocation première : être au service du collaborateur qui est au service du client (Avez vous un delivery model pour le management ?).
L’entreprise doit créer les conditions de la réussite de ses collaborateurs
En fait l’idée de ce billet m’est venue d’un post Linkedin de David Layani, le fondateur de OnePoint qui avait écrit quelque chose d’intéressant sur sa vision du futur du travail.
Pour ceux qui n’y ont pas accès, l’article défend l’idée que le salariat reste pertinent malgré les prédictions de son déclin. Si les aspirations des travailleurs ont évolué, notamment après la crise du Covid, vers davantage de liberté, ils recherchent aussi sécurité, cadre et travail en équipe. David Layani propose l’idée d’un futur du travail basé sur un équilibre entre liberté et sécurité.
Chez Onepoint, cela se traduit par des engagements concrets comme permettre aux employés de choisir leurs projets, travailler de manière flexible tout en offrant des bureaux modernes, sélectionner leur matériel technologique, privilégier des trajets optimisés en termes de coût, temps et impact carbone, et associer les collaborateurs à la croissance via un fonds communs de placement d’entreprise.
Dans le ton de l’article on sent bien une idée sous-jacente qui me tient à coeur : le rôle de l’entreprise et des managers est de créer le contexte favorable à la performance, ensuite c’est aux salariés d’en faire le meilleur usage.
Cela passe par des environnements propices à la performance. L’entreprise doit être le cadre où les talents peuvent s’épanouir et donner le meilleur d’eux-mêmes, ce qui nécessite une flexibilité organisationnelle, des outils adaptés, et une culture valorisant la créativité.
Plus que la QVT qui parfois est utilisé comme un mot valise qui sonne creux, cela suggère aussi un focus sur l’épanouissement personnel. En soutenant le développement individuel (formations, coaching, opportunités de progression), l’entreprise renforce non seulement ses équipes, mais aussi sa propre résilience.
Cela donne davantage de pouvoir au collaborateur sur la gestion de leur carrière, leur mission et leur cycle de vie dans l’entreprise mais comme de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités, cela suppose une responsabilisation accrue et une tolérance à l’échec tant qu’il est formateur. Créer des conditions de réussite, c’est aussi faire confiance aux collaborateurs pour qu’ils innovent et prennent des initiatives sans peur de l’échec.
Le salarié est un client comme un autre
Au coeur de tout cela il y a donc la transformation de la relation entre l’entreprise et le salarié qui n’est plus vu comme un outil ou une ressource mais comme un client.
Je sais que c’est un concept qui ne fait pas l’unanimité mais on ne dit pas autre chose quand on parle de symétrie des attentions ou qu’on fait un parallèle entre expérience client et expérience collaborateur.
Si les clients externes sont au centre des stratégies, il est donc temps de considérer les salariés comme des clients internes. Offrir une expérience employé exceptionnelle contribue directement à l’engagement et à la performance.
Il faut également offrir une personnalisation et des services. Comme pour les clients, les attentes des salariés sont diverses. L’accès à des parcours de carrière sur mesure, des avantages adaptés voire à la carte et un environnement de travail motivant renforce leur satisfaction.
Cela suppose enfin une approche dynamique de l’expérience employé. En évaluant régulièrement les besoins et la satisfaction des salariés, l’entreprise peut s’ajuster pour maintenir une dynamique positive et mettre en place les bonnes initiatives pour simplifier leur travail (Le futur du travail : complexe par nature, simple par obligation).
Un chemin pas si évident vers l' »entreprise as a service »
Tout cela a du sens et bon nombre d’entreprises sont tentées par un tel modèle mais se refusent à se lancer voire échouent à réussir leur transition.
Déjà parce qu’on touche à la culture managériale et au « logiciel interne » des managers qui doivent acquérir de nouvelles compétences au niveau des soft skills.
L’empathie, la capacité à déléguer, et l’adaptabilité deviennent des incontournables et les programmes de développement en leadership doivent refléter cette évolution.
Il importe également d‘adopter les bons indicateurs pour donner du sens à la nouvelle organisation. Les KPI traditionnels (chiffre d’affaires, productivité brute) doivent être complétés par des indicateurs d’engagement, de collaboration, et de satisfaction.
Et puis inutile de provoquer une révolution du jour au lendemain qui déstabilisera davantage l’entreprise qu’elle ne la fera progresser On peut amorcer un renversement culturel via des pilotes ciblés et expérimenter avec des équipes pionnières. On a bien vu une entreprise valider son approche du travail hybride avec de l’A/B testing (One Company A/B Tested Hybrid Work. Here’s What They Found).
Conclusion
L’Entreprise as a Service n’est pas seulement une révolution managériale, c’est une nécessité dans un monde où la complexité et la vitesse du changement exigent de nouvelles manières de penser.
En adoptant des principes comme le renversement de la pyramide et le servant leadership, les organisations peuvent non seulement survivre, mais gagner en performance;.
C’est surtout l’occasion de replacer l’humain et le client au centre, pour construire des entreprises plus agiles et résiliantes.
Image : servant leadership de Elnur via Shutterstock.