Numérique et environnement : des usages immatériels pour un impact réel

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C’était pendant le COVID, je parlais avec une personne qui travaille pour un des leaders mondiaux du cloud et, lorsque la conversation a dévié sur l’environnement il m’a dit « On fait de la m…. mais de la m…. cool et tant que l’opinion publique stigmatise l’aérien sans s’intéresser à nous tout va bien« .

Cette phrase n’a cessé de me trotter dans la tête. Non que je sois un activiste climatique, bien loin de là, mais parce que je n’aime pas quand les gens sont sous ou mal informés, peu importe le sujet.

Mais cela fait quand même quelques années que le sujet de l’impact environnemental du numérique est de plus en plus en plus présent en tout cas au niveau du monde de l’entreprise mais sans que le grand public ne réalise à quel point il est concerné et il a fallu l’explosion de l’IA pour que cela devienne un vrai sujet dans les médias.

La sortie récente de l’étude Impacts environnementaux du numérique dans le monde 2025 de l’association Green IT est l’occasion de faire le point sur le sujet.

Le numérique n’est pas immatériel du tout

J’ai toujours vu un problème avec l’essor du numérique, notamment en entreprise : bien sur on voit le matériel mais on ne voit pas les flux d’information, les dysfonctionnements dans le fonctionnement des organisations qu’il génèrent et l’impact qu’ils ont sur les gens (Hyperconnexion en entreprise : le numérique devient un fardeau).

Le numérique restera un problème tant qu’on n’arrivera à quantifier et visualiser ses usages, à objectiver l’intangible.

Il en est de même avec ce que produit le numérique. Bien sûr on on voit les appareils et on se doute bien qu’ils ont été produits d’une manière ou d’une autre. Mais on ne voit pas ce qui est nécessaire pour faire circuler l’information, la stocker… Il est facile de se dire « c’est dans le cloud » et botter en touche mais en fait de nuage on parle plutôt du nuage de Tchernobyl.

« Si cela ne se voit pas on ne peut pas s’en occuper ». Heureusement si cela ne se voit pas certains le mesurent et vous allez voir que le numérique n’est pas aussi immatériel qu’il en a l’air. C’était le cas, dans le périmètre des usages collaboratifs du dernier rapport Lecko sur l’état de l’art de la transformation interne (Numérique responsable : et si on arrêtait l’hypocrisie ?) et c’est donc le cas de ce rapport sur le périmètre global du numérique.

Quelques chiffres pour prendre conscience de l’ampleur du sujet.

En 2023 on compte 6 équipements numériques actifs par internaute et j’ai du mal de penser que cela va aller en diminuant. C’est une moyenne mondiale qui prend donc en compte des pays moins avancés et au pouvoir d’achat faible mais faites le compte chez vous vous êtes certainement bien au dessus alors que certaines populations commencent juste à s’équiper.

Avec ses 6 équipements par internaute, l’empreinte carbone annuelle du numérique est de 1,8 milliard de tonnes équivalent CO₂, soit 5,5 fois celle de la France.

Si on se donne pour objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°, le numérique consomme à lui seul 40% du budget carbone soutenable par internaute ! Il ne vous reste plus que 60% pour vous déplacer, vous habiller, vous chauffer, manager…vivre quoi…

Enfin l’impact du numérique sur l’épuisement des ressources minérales dépasse désormais celui du réchauffement climatique.

Une bonne visio vaut mieux qu’un long déplacement mais vous y réfléchirez peut être à deux fois avant d’allumer votre caméra ou de vous lancer dans un long bing watching sur Netflix pour tuer un long dimanche d’hiver.

Le numérique contribue aux limites planétaires

Trois chiffres pour comprendre à quel point le numérique a une empreinte majeure sur notre environnement et qu’il faut être de mauvaise foi pour détourner les yeux.

Il représente donc déjà 27 % du budget soutenable planétaire en CO2 et on se doute bien qu’il est en croissance exponentielle par rapport à d’autres secteurs davantage sous le feu des projecteurs et contrains de faire des efforts.

Il consomme également 18,7 % du budget mondial en ressources minérales.

Il représente enfin 15,3 % du budget en émission de particules fines.

Le petit équipement beaucoup plus impactant que les datacenters

A ce stade on peut penser que à notre petite échelle, avec nos smarphones et ordinateurs, nous ne pesons pas grand chose par rapport à ce que produisent les datacenters et le réseau au sens large. Et bien nous nous trompons.

Les smartphones, objects connectés, informatique au sens large représentent 50% des impacts. Finalement logique vu le nombre d’utilisateurs et la multiplication des périphériques.

Le réseau et les datacenters, quant à eux, représentent respectivement 23 % et 21 % des impacts.

Mais rien de dit qu’avec l’essor de l’IA, ses besoins gigantesques et les datecenters qui vont continuer à pousser comme des champignons cela ne change pas à l’avenir.

« Plug, baby, plug » : l’impact croissant de l’IA

Avec les annonces faites les dernières semaines on ne peut pas ne pas faire un focus sur l’IA.

Alors qu’elle n’existe que depuis 2 ans, l’IA générative et les serveurs qui lui dont dédiés représente déjà à elle seule 1 à 5 % des impacts numériques mondiaux et 4% des gaz à effet de serre.

Pour mieux appréhender ces ordres de grandeurs dites vous que les datacenters consomment 506 TWh par an, soit l’équivalent de la consommation d’électricité de l’Allemagne.

Est-ce que cela va diminuer ? Je vois mal comment. Au contraire je m’attends plutôt à une explosion.

Des pistes peu réjouissantes pour réduire l’impact du numérique

Le rapport préconise certaines pistes qui sont en fait assez en phase avec le cri d’alarme récemment lancé par des chercheurs et je doute qu’elles fassent plaisir à qui que ce soit (« IA et dérèglement écologique : sortir de l’illusion techno-solutionniste »). L’idée est que contrairement à une idée reçue la technologie ne réglera pas seule les problèmes qu’elle crée et qu’il faudra passer par une réduction des équipements et des usages.

La première est qu’il faut moins d’équipements. Il faudrait donc favoriser la réparation et limiter le renouvellement.

Si des choses sont faites dans certains pays du coté de la réparation je vois très mal comment limiter le renouvellement. Déjà au niveau des particuliers à qui il va être compliqué de dire qu’ils ne peuvent plus acheter le dernier smartphone mais également au niveau des entreprises pour des simples question de performance.

Ensuite la prolongation de la durée des produits et la lutte contre l’obsolescence matérielle et logicielle.

Pour ce qui est de l’obsolescence matérielle il y a déjà des législation allant dans ce sens dans certains pays mais lutter contre l’obsolescence logicielle revient à peu près à vouloir inverser le cours des rivières et le sens du vent.

On parle ensuite d’optimisation des usages. Il s’agit d’éviter le gaspillage numérique, arbitrer entre besoin réel et superflu.

Alors là bonne chance. Dejà parce qu’on parle de choses imperceptibles, en tout cas moins que de se dire qu’on a pas besoin de prendre son 4×4 pour aller faire les courses à 10 minutes à pied, ensuite parce qu’on rentre dans le coeur de la vie des gens. « On arrête Netflix et on va lire des livres » ? Je n’y crois pas et en plus pour un livre il faut du papier.

Et bien sûr le rapport en appelle aux pouvoirs publics pour inciter à la sobriété numérique et réglementer dans ce sens.

Rappelons juste que le ras le bol écologique a déjà contribué aux résultats des dernières élections US et que c’est une petite musique qu’on commence à entendre dans de nombreux pays même si tout est fait pour la rendre peu audible.

Conclusion

L’impact environnemental du numérique est une réalité et un problème.

Y-a-t-il une manière de lutter contre ? Bien sûr.

Est-ce réaliste ? A mon avis absolument pas.

Déjà parce qu’on touche au coeur de la vie des individus mais ça n’est pas le plus important. Pour ceux qui n’auraient pas poussé outre mesure l’analyse du dernier sommet sur l’IA (Sommet sur l’IA : vrai succès ou cache misère pour l’Europe ?) on ne parle pas que de tech et de luttes entre entreprises pour le leadership mondial.

La tech et surtout l’IA sont devenus le terrain de jeu d’une lutte pour la domination politique et idéologique du monde à laquelle se livrent différents pays ou blocs de pays et le développement économique de la tech est aujourd’hui le relais de croissance sur lequel misent tous les pays.

Freiner les usages, limiter la consommation de matériels et de datacenter ça n’est pas ennuyer des entreprises et inciter des gens à la sobriété c’est aller contre la stratégie non pas d’un ou deux états mais de toutes les grandes puissances mondiales.

On entend souvent que la dernière goutte de pétrole disponible ira dans un avion et j’y souscrit totalement. Maintenant j’ajoute que la dernière goutte d’eau ira dans un datacenter et le dernier gramme de métaux rares dans une batterie.

Image : IT et environnement de wk1003mike via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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