Dans le monde d’avant les goulots d’étranglement étaient des machines qui n’arrivaient pas à suivre le rythme d’autres machines et bloquaient totalement le processus de production. Résultat : des retards de livraison, des machines pas utilisées au maximum de leurs capacités, des stocks et en cours de production qui enflent
Aujourd’hui dans notre monde dématéralisé de travailleurs du savoir tous ces problèmes sont derrière nous.
Non.
Dans nos environnement de travail hyper connectés c’est même pire (Hyperconnexion en entreprise : le numérique devient un fardeau).
Aujourd’hui le goulot c’est vous, c’est moi. On ralentit le travail des autres, on réduit à zéro le bénéfice du au fait que d’autres aient amélioré leurs pratiques de travail ou tirent mieux parti de la technologie, on frustre les autres qu’on empêche d’avancer, on soumet les autres à notre rythme quitte à les faire travailler tard et en urgence le jour où on a enfin le temps de traiter un sujet. Et en plus on se fait mal à soi même : surcharge cognitive, baisse de la qualité du travail et à la fin effondrement et burn out.
Finalement l’open space est une usine comme une autre (L’open space n’est pas une usine mais parfois vous devriez le regarder ainsi).
Etre un goulot c’est faire mal à l’entreprise, faire mal aux autres et se faire mal à soi-même (Infobésité Numérique : Quand les Outils de Collaboration Dégradent Productivité, QVT et Amplifient la Charge Mentale)
Situation peu enviable.
Mais à défaut d’un travail collectif sur l’organisation du travail qui serait l’idéal, on peut tous faire quelque chose à notre propre niveau.
Priorisez et gérez les sollicitations
La multiplication des canaux de communication entraîne une surcharge informationnelle qui affecte la santé mentale et la productivité.
Mauvaise nouvelle : le multitasking n’existe pas (Le multitasking est il un mythe ou un danger ?). Vous ne faites pas deux choses en même temps mais un fragment de chacune à la suite l’un de l’autre. Vous n’allez pas plus vite, ça vous fait mal à la tête, ça vous fatigue plus vite et vous travaillez moins bien.
Souvenez vous : la capacité cognitive d’un individu, sa bande passante, son temps ne sont pas des ressources infinies (L’interview fictive d’Eliyahu Goldratt sur l’infobésité et les goulots d’étranglement dans le travail du savoir).
Il est essentiel de savoir identifier et prioriser ce qui est important pour soi et pour ceux qui travaillent avec nous et se concentrer dessus quitte à ne pas répondre à d’autres sollicitations.
Soyez égoïste
C’est un peu le corollaire de ce qui précède.
J’ai l’habitude de dire que « votre boite mail est la todo list des autres« , les tâches qu’on vous délègue avec plus ou moins de forme, qui sont utiles à la personne qui vous les délègue mais ne comptent absolument pas dans votre propre travail.
Aujourd’hui on peut y ajouter les tchats et les sollicitations externes (vous savez le commercial envahissant sur Linkedin à qui vous voulez couper les deux mains afin qu’il ne touche jamais un clavier et qui ne comprend pas pourquoi vous avez mieux à faire qu’à lui répondre). (Je ne t’ai pas répondu ? C’est tout à fait normal !).
Il n’y a que deux types de tâches qui comptent pour vous. Celles qui vous incombent et en fonction desquelles vous serez jugé et évalués et celles qui comptent pour les gens qui travaillent avec vous, sur le même workflow.
En tant que dirigeant je peux avoir des tâches qu’on attend de moi (reporting, présentation en Comex) mais il y aussi celles que je « dois » à mon équipe comme une approbation ou une décision. Si je ne le fais pas ils ont travaillé (et travaillé vite) pour rien et en plus toutes les tâches subordonnées à la mienne sont mises en attente. Tout le monde a travaillé au mieux pour qu’on finisse dans les temps avec un livrable de très bonne qualité et de ma seule faute on terminera en retard et je ruinerai leur travail.
Ces deux types de tâches sont prioritaires et parmi elles il convient de s’attaquer parfois aux plus urgentes ou parfois à celles que vous pouvez traitez dans les 20 minutes que vous avez devant vous.
Rien d’autre ne doit exister ou venir vous distraire. Tant que vous n’avez pas un matelas de temps disponible devant vous vous ne devez prêter à rien d’autre, même pas le lire !
Si vous lisez ces lignes et m’avez harcelé des mois sur Linkedin pour me vendre quelque chose dont je n’avais pas besoin vous savez pourquoi je n’ai jamais pris la peine de vous répondre. Je dirai même gaspillé mon temps et mon attention pour vous répondre.
Encouragez l’autonomisation et la délégation
C’est une nouvelle qui peut affecter votre égo mais au final c’est une très bonne nouvelle. Vous n’êtes pas (toujours) indispensable.
Etes vous surs que votre validation est nécessaire ? Que personne d’autre ne peut prendre cette décision ?
La plupart des workflows et processus de décision ont été établis à une époque où les gens n’avaient pas le même niveau d’éducation, n’avaient pas la même technologie à disposition…mais on continue à les appliquer encore et encore sans les questionner.
A une époque après une prise de poste je découvre une organisation du travail chronophage, lourde, et où je devais contrôler absolument tout jusqu’à des détails totalement anecdotiques. Je me suis projeté et me suis vu en goulot d’étranglement de première classe.
Lorsque j’ai demandé pourquoi on faisait ainsi, car il faut toujours se questionner sur la raison d’être des murs porteurs avant de les abattre (Destruction, disruption, change and transition strategies) et j’ai eu la réponse que je craignais. « On a toujours fait comme ça« .
Tout avait été mis en place par un ancien manager adepte du micro management et personne n’avait, depuis, remis cela en cause. Ce qui explique peut être pourquoi certain managers qui lui ont succédé ont échoué à rendre cette équipe plus performante.
La performance d’une équipe repose sur la confiance et l’autonomie de ses membres. En déléguant des responsabilités et en encourageant la prise d’initiative, on évite de centraliser toutes les décisions et tâches.
N’oubliez pas que si le contrôle est nécessaire il peut se faire de manière intelligente (Comment aimer le contrôle et ne pas être un poids pour soi et ses équipes ?) et que vos collaborateurs sont surement les meilleurs experts de leurs process et workflows et de comment les adapter à une situation donnée (People Centric Operations : adapter travail et opérations aux travailleurs du savoir)
Optimiser l’utilisation des outils digitaux
Les outils numérique sont supposés faciliter la collaboration mais leur mauvaise utilisation peut produire l’effet exactement inverse (Collaboration en Entreprise : Quand la Technologie Sature, la Productivité Stagne et les Générations se Déconnectent et Les outils collaboratifs servent ils vraiment à collaborer ?)
A minima configurez ces outils de manière à recevoir uniquement les informations pertinentes et définissez des plages horaires dédiées pour consulter les messages.
Pensez aussi à des use case et routines individuelles et collectives et, pourquoi pas, faites le avec votre équipe : vous serez surpris de voir que tout le monde est à peu près d’accord pour prendre un peu de temps en semble pour se mettre d’accord sur des use cases et des règles qui vont faire qu’il vont enfin cesser de perdre du temps (Outils collaboratifs en entreprise : de la confiture aux cochons ?).
Sur ce dernier point on avait commencé à se poser les bonnes questions lors du confinement mais on a appris aucune leçon (Etes vous vraiment prêts pour tous les cas d’usage du télétravail ?)
Communiquer clairement les priorités
« Shit in shit out« . Quand on ne sait pas clairement communiquer aux autres ce qu’on attend d’eux on reçoit en retour quelque chose qui ne nous convient pas et on passe son temps à tenter d’expliquer, clarifier encore et encore.
A l’heure où tout le monde essaie d’écrire des prompts clairs pour ChatGPT ce serait bien que cet apprentissage soit également utilisé pour parler à des humains (On ne devrait pas être promu manager si on ne sait pas utiliser ChatGPT).
De la même manière il existe des méthodologies pour des interactions efficaces et productives (Le CRM peut sauver votre entreprise mais pas le CRM auquel vous pensez).
Souvenez vous : une communication pas claire c’est un temps infini et évitable à passer plus tard à expliquer et corriger, ce qui vous empêchera de faire des choses utiles.
Il faut également de la transparence sur ce que fait chacun, son agenda, ses priorités, sa charge de travail. Là encore la technologie facilite cette transparence mais une réunion hebdo de partage des enjeux, priorités et problèmes de la semaine permet en très peu de temps d’aligner tout le monde en partageant ces sujets/
En informant régulièrement votre équipe de votre charge de travail et de vos disponibilités, vous évitez donc les malentendus et les attentes irréalistes.
Prenez soin de votre santé mentale
Parlant de goulots d’étranglement chacun peu alternativement être bourreau et victime et tout commence par soi.
Souvenez vous, en avion, en cas de dépressurisation on vous dit de penser à mettre votre masque d’abord avant d’aider les autres.
Ici c’est la même chose. Si vous êtes dominé par les sollicitations extérieures, travaillez comme si votre temps et vos capacités cognitives étaient infinies vous allez devenir un problème pour les autres mais avant tout pour vous. Et là on parle de santé.
Il est essentiel de reconnaître ses limites, de prendre des pauses régulières et de déconnecter en dehors des heures de travail. Une bonne hygiène de vie, qu’elle soit physique ou numérique, contribue à maintenir un niveau de performance régulier et éviter de devenir un point de blocage pour les autres.
Conclusion
« Si c’est immatériel ça ne se voit pas donc il n’y a pas de problème« . Quand on parle de flux d’information et de travailleurs du savoir c’est une affirmation erronée.
Les flux d’information ne sont que des messagers mais les messages ne sont pas anodins : ils conditionnent notre charge de travail, nos priorités, notre charge mentale et de notre manière de les gérer dépend notre réussite et celle des autres et in fine la performance de l’entreprise.
La bonne nouvelle c’est qu’on peut reprendre la main dessus si on est conscient de l’importance du sujet et qu’on est capable de s’imposer une certaine discipline.
Image : goulot d’étranglement de Net Vector via Shutterstock