RH et Opérations : le seul duo viable pour mener l’expérience employé

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Dans de nombreuses entreprises, les ressources humaines sont perçues comme des entités isolées, se concentrant exclusivement sur la gestion des talents : recrutement, formation, développement des compétences. Une approche qui, bien que louable, est déconnectée des réalités du terrain. Gérer les talents sans considérer le contexte opérationnel revient à offrir un diamant brut à un mauvais tailleur. L’énergie investie dans le talent risque de se perdre dans un système inefficace, mal aligné avec les réalités du travail quotidien.

Un écosystème dysfonctionnel à impact limité

Lorsque les opérations et le management ne suivent pas, les efforts RH deviennent improductifs. On déploie des stratégies ambitieuses, on investit massivement dans des programmes, mais les résultats ne se traduisent pas par une différence valorisable pour le client. Pourquoi ? Parce que le talent, aussi exceptionnel soit-il, ne travaille pas en vase clos. Il est intrinsèquement lié à son environnement, il en est même totalement dépendant : managers, collègues, outils, process, organisation du travail, culture d’entreprise.

Et à la différence d’un diamant, le talent s’en va si les conditions ne lui permettent pas d’exprimer pleinement son potentiel. Et lorsqu’il part, il ne laisse pas seulement un poste vacant : il sabote la marque employeur de l’entreprise en ternissant sa capacité à attirer des talents dans le futur.

Encore une fois écoutez d’une oreille distraite quand vous entendez des gens parler de leur travail dans un train, un bar, le métro, au restaurant. Jamais ils ne parleront de la politique RH, jamais ils ne parleront de QVT, jamais des avantages divers comme l’abonnement à une salle de sport ou la console de jeu qui traine dans le coin repos et encore moins des cours de yoga. Non, ils parlent de leurs managers, des process, de la lourdeur organisationnelle (La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé).

« Est-ce que je veux des cours de méditation ? Oui. Mais est-ce qu’ils font bouger le curseur sur les choses qui comptent, qui vont réellement changer la façon dont un employé se sent ? Non » (Can companies actually help workers stay happy and healthy?)

C’est ce qui fait la différence entre les initiatives périphériques au travail et celles qui concernent les moments où les gens sont en situation de travail. Celle qui s’attaquent aux conséquences et pas aux causes, celles qui concernent 5% du temps que le salarié passe dans l’entreprise et celles qui concernent 95% de ce temps (Il faut faire la différence entre « dans le travail » et « au travail »)..

Vous avez le choix entre construire un spa à côté de la salle de torture ou arrêter la torture.

Et ça n’est pas qu’une question de santé mentale, c’est aussi voire surtout une question d’efficacité et de productivité.

La gestion des talents de l’abstrait au concret

Le concept de talent est souvent abordé de manière abstraite, comme une ressource à choyer, à développer. Mais cette vision est incomplète car le talent ne vaut rien si on ne le considère pas dans un contexte global de travail :

  • Les modèles de travail. Comment les missions sont-elles organisées ? Quelle autonomie est accordée aux équipes ?
  • Les outils et les process. Sont-ils pensés pour simplifier ou alourdir le quotidien des salariés ?
  • Le management. Est-il capable d’inspirer, de coacher et de donner du sens ?
  • La culture d’entreprise. Favorise-t-elle la collaboration et l’innovation ou entretient-elle des silos ?Est elle violente ou bienveillante ?

Réfléchir au talent sans adresser ces dimensions revient à faire de la course automobile en s’attachant à la formation des pilotes sans prêter la moindre importance au moteur. Le talent management ne peut exister non seulement sans une réflexion approfondie sur les modèles opérationnels et organisationnels et sans collaboration avec ceux qui s’en occupent (Est-ce une hérésie que de mettre « people » et « operations » dans la même phrase ?).

Les RH au service des opérations (et vice versa)

Pour créer une expérience employé impactante tant au niveau humain que de la performance les RH doivent sortir de leur zone d’expertise et se rapprocher des opérations. Mais ça n’est pas tout car il serait injuste de les rendre responsable de tout : c’est aussi aux autres d’accepter de leur parler, de les écouter construire quelque chose qui sera bénéfique pour les deux parties. A défaut, les salariés les laisseront se regarder en chien de faience et iront voir ailleurs…et s’ils ne le font pas ils resteront en étant inefficaces et démotivés.

Un tel partenariat permettrait d’aligner les stratégies RH avec les réalités du terrain. Cela signifie :

  • Mettre en place un modèle managérial. Il n’est pas tolérable que chaque manager manage à sa façon, sans cohérence dans l’entreprise, avec des différences de posture et d’organisation du travail telles qu’on peut les voir (Avez vous un delivery model pour le management ?).
  • Impliquer les managers dans les décisions RH. Les managers sont les premiers points de contact des salariés et doivent être formés pour jouer pleinement leur rôle de relais.
  • Cocréer des modèles de travail adaptés. Les RH et les opérations doivent collaborer pour définir des modèles qui prennent en compte à la fois les besoins des équipes et les contraintes business.
  • Adopter une approche systémique. Chaque action RH doit être pensée comme une brique d’un système plus large, interconnecté, où le talent peut s’épanouir tout en servant les objectifs de l’entreprise.
  • Adopter des méthodes de design de produit pour concevoir le travail comme un produit que l’entreprise, les managers et les collaborateurs auraient envie d’acheter car il répond à leurs besoins (Reimagining Work as a Product)

« Bien que la conception de produits ait fait ses preuves dans la création de meilleures expériences pour les clients, à notre connaissance, aucun employeur n’a encore mis en œuvre une version entièrement rendue du modèle de contact avec les employés que nous proposons. Mais nous avons vu des entreprises utiliser les principes de la conception de produits pour repenser l’expérience de leurs employés- et nous ne sommes pas les seuls à en parler« .

Mais soyons bien clairs : c’est un partenariat qui doit fonctionner dans les deux sens : « créer » des gens qui vont correspondre aux besoins du business (TravelPerk VP of People: HR needs to have a ‘People as a product’ mindset) mais aussi des modes opératoires qui tirent le meilleur des gens, leur permettent de donner le meilleur d’eux même, sont des boosters sans être des poids.

Pour cela chacun devra être en mesure de comprendre l’autre et lui parler, ce qui suppose pour la fonction RH de ne pas recruter que des techniciens des RH (Baromètre 2023 de l’expérience collaborateur : l’expérience employé face à ses contradictions) mais aussi des gens compétents en design de produit, design thinking, design de services, process management et design organisationnel.

C’est soit cela soit il faut qu’elle comprenne qu’elles doit laisser la main aux opérations sur le sujet. Après, est il plus facile d’avoir des gens avec une sensibilité RH aux opérations que des gens avec une sensibilité opérations aux RH ? Mais derrière cette question se cache un choix quasi-stratégique et en tout cas lourd de sens : l’expérience employé est une une fonction support ou une fonction business ? En ce qui me concerne mon choix est fait (L’expérience employé n’est pas une fonction support mais une fonction business…).

On a bien des cas de RH qui travaillent avec les managers en mode « résolution de problème collaborative » pour une expérience collaborateur vraiment alignée sur les besoins du terrain (Expérience Collaborateur #5 : comment impliquer les managers ) alors pourquoi ne pas aller un pas plus loin ?

« Ils partagent leurs préoccupations de gestion des équipes en fonction de leurs besoins business, partagent les meilleures pratiques « terrain » qu’ils ont repérées, se forment à un nouveau sujet pour mieux agir [..]mais aussi, c’est l’occasion pour Annick de construire avec eux les solutions. La méthode est toujours la même : Annick leur présente les paramètres de la problématique, ce qui relève de son rôle, ce qui relève de leur rôle puis leur demande de quoi ils ont besoin pour sécuriser leurs pratiques. Une fois que les solutions sont validées par la communauté, tous les niveaux de management vont être impliqués dans leurs mises en place. Cette communauté a permis à Logisco de transformer le département RH en département EX ».

Intéressant non ? En tout cas la preuve que la meilleure approche du changement est d’impliquer les personnes concernées dès la phase de design (Changement et transformation ont besoin d’une nouvelle approche et Améliorer le travail d’une équipe : histoire d’une amélioration continue).

Je le répète à l’envi : j’ai eu plus d’impact sur l’expérience employé et la qualité de vie au travail tout en ayant un focus performance en prenant la direction des opérations qu’en étant à la tête de l’expérience employé (Pas besoin d’être RH pour avoir un impact avec l’expérience employé). Mais le fait qu’il faille en arriver à la fusion des deux fonctions est il un bon signe ? J’en doute.

Conclusion

L’expérience employé n’est pas seulement une affaire de RH, et le talent ne peut être géré comme une simple ressource isolée de son contexte de travail. Pour avoir un impact réel et durable, il est essentiel de considérer le talent dans le contexte opérationnel du travail et pouvoir agir sur ce contexte. On n’y parviendra qu’au travers d’une réflexion sur les modèles opérationnels, une collaboration étroite entre les RH et les opérations, et une vision systémique de l’écosystème du collaborateur.

Pour reprendre ma métaphore du début, un diamant brut a besoin d’un tailleur compétent et d’un environnement favorable pour révéler tout son éclat. De même, les RH doivent travailler main dans la main avec les opérations pour transformer le talent en impact concret et valorisable.

Image : business opérations de Rawpixel.com via shutterstock.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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