Avec sa promesse de modernité, de collaboration fluide, de productivité accrue, la digital workplace est vue comme le graal de la transformation digitale interne des organisations. En tout cas l’élément le plus visible car les sujets de transformation sont partout pourvu qu’on veuille s’attaquer à des choses structurantes en termes de process et d’organisation du travail.
Ceci dit et malgré le recul qu’on a sur le sujet les causes d’échecs sont nombreuses et très rarement liées à la technologie.
Quand un projet de digital workplace échoue c’est le plus souvent en raisons d’erreurs stratégiques et organisationnelles voire de problèmes politiques.
Voici dont les 10 meilleurs moyens de rater sa Digital Workplace.
Négliger l’expérience utilisateur
Cela peut sembler évident mais une digital workplace compliquée, aux interfaces peu intuitives et aux fonctionnalités mal intégrées est la garantie d’un rejet massif.
Et pourtant comme j’ai coutume de le dire, si les sites e-commerces étaient conçus comme certaines digital workplaces les marchands ne vendraient pas grand chose.
Alors bien sur c’est une question d’UI et d’UX mais mas uniquement.
Un des problèmes principaux, et pas des plus simples à régler, c’est que quand on parle d’expérience utilisateur au dans une digital workplace on pense outil par outil, au sein de chaque brique applicative, alors que ce qui compte pour l’utilisateur c’est l’expérience au sein de son flux de travail qui implique d’utiliser plusieurs outils à la suite voire en même temps (L’expérience employé malade de l’industrie du logiciel).
Ensuite vient la complication de la digital workplace due à des erreurs de conceptions mais aussi à la complication de l’entreprise qui se retrouve dans les outils (Une expérience IT compliquée. Irritant #7 de l’expérience employé).
Et enfin quand on parle de digital workplace on pense en priorité aux cols blancs en oubliant les cols bleus ou gris pour qui l’expérience est entre très mauvaise et absente vu que souvent ils n’ont accès à rien (Une entreprise pas omnicanale du tout ! Irritant #10 de l’expérience employé et Transformation digitale : prière de ne pas oublier les cols bleus).
Imposer des outils sans concertation
Les plus grands connaisseurs des besoins des utilisateurs et les meilleurs experts en expérience utilisateur sont les utilisateurs eux-même.
Rien de mieux qu’une décision top-down sans les écouter ni les impliquer pour créer un mouvement de résistance voire de rejet. Déjà par principe parce que les utilisateurs n’aiment pas ça mais en plus parce qu’on risque de faire des mauvais choix alors qu’en les écoutant on aurait appris des choses et eu peut être même des idées nouvelles.
Et puis il y a peut être dans certaines parties de l’entreprises des choses qui fonctionnent et donnent entière satisfaction sans qu’on le sache.
Comme dans tout programme de transformation la conduite du changement doit commencer dès la phase de conception (Changement et transformation ont besoin d’une nouvelle approche).
Multiplier les outils et créer de la redondance
Avec le temps on a tendance à empiler les outils de communication, de gestion de projets et de stockage etc sans stratégie claire. Peut être qu’on se dit que plus il y en a plus il y a de chance que les utilisateurs y trouvent leur bonheur.
Et puis il y a le shadow IT qui peut être une bonne manière de tester des choses, voir ce qui fonctionne, ce qui est demandé et adopté mais ne doit être qu’une phase de découverte provisoire.
Le résultat ? Du temps perdu à hésiter entre les outils, trouver le bon, se coordonner entre personnes qui doivent à un moment collaborer mais n’utilisent pas les mêmes outils pour un besoin donné.
L’idéal est bien sûr de partir d’une base zéro (Osons la Digital Workplace base zéro) mais, au fil du temps, il faut aussi une gouvernance forte et une stratégie d’amélioration continue pour éviter qu’au fil du temps de nouveaux outils viennent se greffer ici et là, parfois sous le radar. Encore une fois ça n’est pas un problème qu’au sein d’une BU on essaie quelque chose de nouveau et que cela donne encore satisfaction mais dans ce cas il faut vite décider de généraliser l’utilisation à tout le monde ou pas et, si oui, de savoir quel outil existant devra être enlevé et remplacé.
Plus stack technologique sera cohérent et rationalisé avec un minimum de redondance et un maximum d’intéropérabilité mieux cela sera.
Dernière chose : ne négligez pas le moteur de recherche unifié qui est la « glue » de votre digital workplace à condition qu’il indexe tout, vraiment tout (Vous n’avez pas un problème d’intranet mais de search !). Cela permet aussi des use-cases aussi avancés qu’inattendus (Le réseau social implicite selon Sinequa).
Ignorer la culture d’entreprise
Une digital workplace ne peut réussir si elle va à l’encontre de la culture de l’organisation. Ca a été le drame de nombreux projets visant à intégrer des outils collaboratifs dits « 2.0 » dans les années 2010 en se disant que l’outil serait autoporteur et qu’il allait par lui-même faire naitre des usages et des pratiques collaboratives qu’on arrivait pas à mettre en place.
C’est tout l’inverse. Comme on le dit souvent « votre culture d’entreprise mange votre stratégie au petit déjeuner » et ces outils se sont heurtés à la dite culture.
Dans une entreprise où la hiérarchie est très marquée, promouvoir des outils qui favorisent une collaboration horizontale créer non seulement des tensions mais en plus ne fonctionne pas (On ne doit pas s’attendre à ce qu’une application fonctionne dans un environnement dans lequel ses hypothèses ne sont pas valides).
Négliger la formation et l’accompagnement
Je crois beaucoup au concept d’affordance et dans un monde idéal tout le monde devrait intuitivement comprendre à quoi sert un outil et comment l’utiliser.
Pour ceux pour qui le terme est nouveau, en UX, l’affordance désigne la capacité d’un élément d’interface à suggérer intuitivement son utilisation grâce à sa forme, sa position ou son apparence, facilitant ainsi l’interaction utilisateur.
Vous avez déjà lu le monde d’emploi d’un iPhone ou de Mac OS ? Vous avez compris le principe.
Mais le principe de réalité nous rattrape vite et l’adoption d’une digital workplace ne se fait pas magie.
Lancer un outil sans formation ou support suffisant, sans un programme d’ambassadeurs, de mentoring (ça a l’avantage d’être scalable et au plus proche du terrain) c’est se tirer un balle dans le pieds dès le début.
Sous-estimer les enjeux de sécurité et de conformité
Ici se croisent différents sujets qui vont de la stricte conformité à une notion plus vague et large comme la confiance en passant par la notion de risque sur la fuite de données business ou confidentielles.
Un sujet d’autant plus sensible que les utilisateurs sont désormais sensibles à la question de la confidentialité des données personnelles dans leur vie privée et importent cette inquiétude dans l’entreprise, ce qui s’ajoute à la paranoia historique de l’entreprise sur la fuite de données (pas toujours injustifiée).
Donc si les utilisateurs ne savent pas ce que vous faites de leurs données vous avez un problème de confiance.
S’ils craignent que leurs faits et gestes soient scrutés (L’organisation quantifiée : Graal ou Big Brother ?), leur boite email épiée, le contenu de leur disque dur scruté ou en tout cas s’il n’existe aucune information claire sur le sujet vous avez un problème de confiance.
Avec la prolifération des espaces collaboratif et de partage, a fortiori lorsqu’ils sont partagés avec des clients, il ne doit y avoir aucun doute, aucune inquiétude quant à savoir qui a accès à ces espaces (et dans certains outils c’est tout sauf évident).
Je ne mentionnerai même pas la question de l’hébergement des données qui doit être un sujet traité en amont.
Qu’il existe un doute ou, pire, qu’une violation de donnée soit avérée ou qu’il apparaisse que l’entreprise ne respecte pas la législation et la confiance dans votre digital workplace ne sera plus qu’un lointain souvenir.
Mesurer le succès avec les mauvais indicateurs
Se concentrer uniquement sur le nombre d’utilisateurs ou la fréquence d’utilisation des outils est insuffisant et même pas pertinent.
Bien sûr savoir que les gens se connectent est le minimum mais la question est de savoir pourquoi et quels outcomes cela produit.
Je me souviens qu’un responsable intranet m’avait dit que pour augmenter le nombre de connexions sa priorité avait été d’inclure l’outil de demande de congés et…le menu de la cantine dans sa homepage. La fréquentation a en effet explosé mais je doute que pour l’entreprise le ROI ait été à la hauteur.
Donc avoir des utilisateurs connectés cela veut dire que le coeur de votre digitale workplace bat. Mais rien ne dit qu’elle ne fait pas la sieste au lieu de marcher.
Cela me rappelle l’époque où je voyais des gens se gargariser du nombre d’utilisateurs sur leur réseau social d’entreprises, de communautés créées et actives mais sans pouvoir dire ce qu’il en ressortait (Vos indicateurs disent que vos communautés sont actives ? Et alors ? et Entreprise 2.0 et hypocrisie de la mesure ce qui prouve que même plus de 10 ans plus tard les sujets restent les mêmes).
Pire encore, certains indicateurs peuvent être conteproductifs comme ce que voulait mettre en place Microsoft avant, visiblement, de faire machine arrière (Comment inciter vos collaborateurs à brasser du vent au lieu d’être productifs (merci Microsoft)).
Demandez vous avant tout ce que vous attendez vraiment de votre digital workplace et ensuite vous avez trois niveaux d’indicateurs : ceux qui prouvent que votre digital workplace est en vie (les gens y vont), qu’elle fonctionne (les gens y font des choses) et qu’elle est productive (on sait relier ce qui s’y passe à des outcomes business).
Bref elle doit être utile, utilisable et utilisée et les indicateurs doivent le prouver.
Ne pas prendre en compte l’évolution des besoins
Vous avez lancé votre digital workplace ? Elle a été facilement adoptée, elle plait, c’est même une franche réussite ?
C’est bien vous pouvez passer à autre chose.
En fait surtout pas !
Une digital workplace figée dans le temps devient rapidement obsolète, les besoins et les technologies ne cessent d’évoluer et si vous ne suivez pas les utilisateurs finiront par amener leurs propres solutions et là fini la gouvernance et la gestion des risques.
Je me souviens d’une grande entreprise qui, fière (à juste titre) de sa digital workplace avait quasiment dissout l’équipe, se contentant de faire de la maintenance à minima. Au bout de quelques années les solutions alternatives foisonnaient dans l’entreprise, et cela avec l’accord de la DSI qui à force de ne rien faire était venue à la conclusion que leur digital workplace était trop obsolète pour évoluer et qu’à court terme la meilleure solution pour coller aux besoins des utilisateurs était de laisser chaque business unit faire un peu ce qu’elle voulait.
Idéal en termes de couts et de gouvernance.
Votre projet digital workplace doit inclure un processus d’amélioration continue avec des revues régulières et un dispositif d’écoute des utilisateurs.
Manquer de leadership et de vision
Sans une vision claire et un soutien fort de la direction, la digital workplace se réduit à un ensemble d’outils sans cohérence ni objectif.
C’est surtout vrai dans les grandes entreprises où le sujet peut devenir quasiment politique alors qu’on parle d’un outil qui doit servir le business.
La direction de la communication y voit son principal moyen de communiquer, l’IT veut mettre la main sur le projet puisqu’on parle de technologie, chaque métier veut que son besoin et ses outils soient prioritaires, chaque pays a son mot à dire etc. Et comme en général la direction se moque du sujet et ne s’en mêle pas il n’y a personne pour trancher et chacun se complait dans des comités de pilotage interminable où personne n’est jamais d’accord.
Dans l’entreprise dont je vous ai parlé le projet de « nouvelle digital workplace » a usé 5 chefs de projet dont deux sont partis en burn out et ils sont du conserver une plateforme obsolète incapable d’évoluer pendant des années.
La direction se doit de formuler une vision claire, forcer à la collaboration entre parties prenantes et arbitrer lorsque nécessaire.
Ne pas anticiper et intégrer les nouveaux usages
Le travail évolue et par définition la digital workplace ne peut ignorer les nouveaux modes de travail.
Un exemple ? Combien d’entreprises se sont retrouvées pendant le COVID avec des outils inadaptés au télétravail ou au travail asynchrone ? Soit fonctionnellement soit en termes d’accessibilité à distance ?
J’ai aussi eu le cas d’une entreprise dont l’infrastructure qui hébergeait un outil métier clé n’était pas dimensionnée pour avoir autant de connexions à distance à la fois (questions de sécurité je crois). Les utilisateurs devaient donc organiser des plages horaires our l’utiliser à tour de rôle….2h par jour chacun.
Très productif.
Là encore il faut non seulement évoluer en permanence mais surtout anticiper car ça n’est pas lorsqu’un besoin émerge qu’on peut tout changer en 24h.
Conclusion
Réussir sa digital workplace n’est finalement que peu une question de technologie. C’est aussi du design d’expérience, une réflexion sur les modes de travail et les process, de la conduite du changement à intégrer dès la phase de conception, un peu de politique…
Le cahier des charges fait souvent la part belle à la technologie mais les facteurs de succès sont le plus souvent humain.
Image : digital workplace de Rawpixel.com via Shutterstock.