IA et gestion des talents : une approche dynamique qui favorise la mobilité interne

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L’avènement de l’IA va changer beaucoup de choses en entreprise et aura nécessairement un impact sur la gestion des talents dans la mesure où elle va en même temps demander de changer de modèle mais aussi aider à faire fonctionner ces nouveaux modèles.

Alors que les entreprises ont longtemps fonctionné avec un modèle rigide, du recrutement jusqu’à la retraite, l’IA va donc imposer une approche plus agile et fluide des trajectoires professionnelles.

Attention, ne vous méprenez pas. Mon propos n’est pas de dire que les RH sont enfermées dans des modèles archaïques et que tout va exploser. Le besoin d’agilité existe, beaucoup de professionnels l’ont compris et ils adaptent leurs pratiques. Le problème c’est qu’à part dans certaines entreprises pionnières il le font au sein d’un modèle qui lui reste figé et limite leur capacité d’innovation en les obligeant de ménager la chèvre et le chou pour rester dans les clous.

Là on parle d’un changement qui va s’accélérer, à plus grande échelle et qui va imposer à tous de changer à la fois les modèles et les pratiques qui seront donc enfin alignés.

La fin du modèle traditionnel de gestion des compétences

Le modèle « pre-hire to retire » désigne l’approche traditionnelle de la gestion des talents en entreprise, qui suit un cycle linéaire (et j’utilise l’anglicisme à dessin simplement parce qu’il sonne mieux).

On parle donc d’un modèle qui enchaine sourcing des talents, recrutement et intégration, gestion des carrières et formation, fidélisation et sortie de l’entreprise. .

    Ce modèle repose sur l’idée d’une relation stable et durable entre l’employeur et l’employé, avec une progression prédéfinie au sein d’un même cadre organisationnel. Cela correspond à une vision où les talents sont gérés comme des ressources à long terme dans une logique plutôt administrative et prévisible.

    Il est même poussé à son paroxysme dans des pays comme la France où à partir d’une certaine taille les entreprises sont obligée de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétence qui reste fondée sur une logique prévisionnelle et rigide, très administrative.

    Or tout le monde a bien compris que ces modèles reposent sur les hypothèses d’une époque révolue. Le cycle de vie du collaborateur en entreprise s’accélère, n’est plus aussi linéaire qu’il l’a été, les besoins en compétences évoluent tellement vite qu’à peine on a établi un plan prévisionnel on peut le jeter à la poubelle.

    En plus l’IA accélère cette obsolescence en redéfinissant les besoins en compétences plus vite que les entreprises ne savent embaucher. Attendre qu’un poste soit créé, publier une offre, recruter et former un nouveau salarié est un processus trop long et trop rigide pour suivre le rythme des transformations.

    Les entreprises ont donc besoin d’un modèle plus réactif et adaptatif, qui s’appuie sur des compétences évolutives et des parcours professionnels moins figés, une sorte de modèle dynamique du talent où la mobilité interne et la densité des compétences prévalent.

    Repenser la mobilité en mode agile

    Cette transformation repose sur un modèle de mobilité fluide, où les collaborateurs évoluent au gré des projets et des besoins de l’entreprise. Plutôt que de chercher en externe, il s’agit de faire plus avec ce que l’on a en activant le vivier interne de talents.

    Cela suppose de développer ce qu’on peut appeler la « densité » de talents. Il ne s’agit pas d’avoir plus de monde, mais d’avoir des équipes plus compétentes et polyvalentes et, au lieu d’empiler des recrutements, d’investir dans l’amélioration des compétences des collaborateurs actuels.

    La gestion des compétences va donc devoir basculer dans une logique de temps réel. l’IA permet d’identifier et de cartographier les compétences en interne pour anticiper les besoins, éviter les goulots d’étranglement et fluidifier la mobilité.

    Tout cela est donc sous tendu par une nouvelle approche du travail en mode projet ou mission. Il va falloir sortir de la logique poste fixe pour aller vers une organisation plus souple, où les collaborateurs passent d’un projet à l’autre en fonction des priorités stratégiques et de leurs compétences.

    Pour finir il n’est pas pas possible de ne pas parler de l’éléphant dans la pièce, à savoir les freins managériaux. En effet a mobilité interne est souvent ralentie par la rétention des talents au sein des équipes alors qu’on a besoin d’un environnement où les managers sont incités à favoriser la circulation des talents au lieu de se sentir pénalisés.

    Une question de productivité et engagement

    Bien sûr un modèle de talent dynamique est un levier d’efficacité mais c’est aussi un puissant moteur d’engagement. En effet il évite l’usure des rôles figés, stimule l’apprentissage continu et offre des perspectives d’évolution permanentes sans devoir changer d’entreprise.

    Mais cela ne fonctionne que si l’organisation suit. Trop souvent, les entreprises prônent la mobilité interne sans adapter leur modèle de reconnaissance, de rémunération et d’évaluation. Si changer de rôle est un parcours du combattant, la mobilité restera un vœu pieux.

    D’où le point que j’évoquais au début de ce billet. Nombreux sont les RH lucides et qui ont fait un pas dans cette direction, voire comme Monsieur Jourdain qui on initié une gestion dynamique des talents sans le savoir mais qui restaient contraints par un modèle d’un autre âge. Ici le changement des pratiques ne peut aller sans un changement total de modèle mais plus qu’une révolution je vois plutôt une accélération et une mise à l’échelle de choses qui existent déjà.

    Comment on fait concrètement ?

    Je ne suis pas un grand fan du dogmatisme et je pense que c’est à chaque entreprise, au regard également de ses pratiques actuelles, de se demander ce qu’une nouvelle approche de quelque chose veut dire pour elle plutôt que de lui imposer une todo list qui serait soit disant la clé du succès.

    On peut toutefois suggérer quelques idées qui, de plus, vous permettent de vous rendre compte que certaines sont déjà en place dans votre entreprise et que les autres n’ont rien d’un challenge insurmontable.

    Tout d’abord on peut suggérer la création d’une « talent marketplace » interne où les projets sont ouverts aux collaborateurs, leur permettant de proposer leurs compétences au-delà de leur rôle actuel.

    Il est aussi important d’évaluer et mieux valoriser les contributions transversales en intégrant dans les systèmes RH la reconnaissance des mobilités et des apprentissages, plutôt que de ne récompenser que la promotion verticale qui en plus ne fait que produire de mauvais managers. Pour cela espérons aussi que ces systèmes seront meilleurs que les ATS sur le traitement des compétences transférables (Recrutement : l’ATS, cet « Agent Très Stupide »).

    Il faudra aussi former en continu et sur le terrain. Ici si l’IA est en partie la cause elle est également une partie de la solution et on peut l’utiliser pour suggérer des parcours de formation personnalisés et maximiser l’apprentissage en contexte réel (projets, mentorat, coaching), là aussi dans une logique sinon de temps réel au moins d’apprentissage continu en lien avec les besoins actuels et à court terme.

    Et comme rien ne se fait sans eux il sera également important de sensibiliser les managers à la gestion agile des talents : leur donner des outils pour piloter des équipes mouvantes, valoriser la rotation des compétences et favoriser l’évolution de leurs collaborateurs.

    Conclusion

    L’IA n’est pas que la cause des changements à venir, n’est pas non plus qu’un outil d’optimisation, c’est le catalyseur des transformations organisationnelles qui vont s’imposer à nous.

    S’obstinent à recruter et gérer les talents avec les modèles d’hier ne permettra plus d’être compétitif et l’avenir appartiendra aux entreprises capables de créer un écosystème où le talent circule, se renforce et se renouvelle en permanence.

    La vraie question n’est donc pas de savoir s‘il faut faire évoluer les modèles RH, mais jusqu’où on est prêt à aller pour qu’il devienne un levier stratégique et non une entrave à l’agilité des organisations.

    Image : gestion des talents de Olivier Le Moal via Shutterstock.

    Bertrand DUPERRIN
    Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
    Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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