Avec l’IA les polymathes vont ils redevenir à la mode ?

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Cela fait quelques temps que comme tout le monde je me pose une question : dans un monde où l’IA facilité l’accès à la connaissance et automatise une partie croissante des tâches mêmes expertes, que reste-t-il aux humains ?

Cela m’a fait repenser à un livre que j’avais lu et apprécié il y a de nombreuses années :  The New Polymath de Vinnie Mirchandani. Il y expliquait que l’innovation naît souvent de la transversalité des savoirs et de la capacité à naviguer entre différentes disciplines.

Ca avait été pour moi, d’ailleurs l’occasion de découvrir le therme polymathe et la polymathie. Historiquement, un polymathe est une personne qui excelle dans plusieurs disciplines et sait connecter des savoirs issus de domaines différents pour résoudre des problèmes complexes. Quand on pense à des polymathes célèbres on pense à des gens comme Léonard de Vinci, Benjamin Franklin ou Steve Jobs. Ils ont en effet démontré une réelle capacité à conjuguer des compétences diverses pour créer de la valeur.

En entreprise ce type de profil est souvent délaissé au profit d’hyperspécialistes mais aujourd’hui avec l’IA on peut se demander si la tendance ne peut pas s’inverser.

Avant d’aller plus loin je tiens à dire que mon opinion sur les profils multi-compétences est forgée depuis longtemps et n’a rien à voir avec l’IA. Mais comme on ne peut pas aujourd’hui faire comme si elle n’existait pas et que tout le monde veut lire des choses sur l’IA, alors parlons d’IA.

L’IA : fin ou le renouveau des polymathes ?

Cela fait longtemps que l’hyperspécialisation est la règle dans les entreprises. Les experts ultra-compétents dans un domaine précis sont les profils les plus valorisés, tandis que les profils transverses sont souvent perçus comme trop généralistes pour apporter une vraie valeur ajoutée.

Mais l’émergence de l’IA peut changer cette cette dynamique : lorsque les machines absorbent et automatisent des tâches très techniques, la capacité à naviguer entre plusieurs disciplines devient un réel atout.

Les polymathes, des individus qui excellent dans plusieurs domaines, vont donc peut être revenir en grâce. Dans un monde de plus en plus complexe, ils sont capables réconcilier des savoirs cloisonnés, trouver des solutions innovantes et faire le lien entre des perspectives apparemment éloignées. En d’autres termes, l’IA ne remplace pas le polymathe mais au contraire elle le libère.

Le polymathe, un antidote aux silos

La plupart des entreprises fonctionnent en silos, chaque équipe opérant avec ses propres règles, ses KPIs et son jargon. Un modèle qui peut avoir ses avantages en termes d’efficacité (quoique…), mais qui génère également un déficit de collaboration et des incompréhensions entre départements.

Le polymathe, par définition, casse ces barrières. Il comprend le langage des développeurs, les contraintes des financiers, les enjeux des RH et les attentes des clients. Il ne se contente pas de connecter les points mais il anticipe les frictions, reformule les problèmes avec un regard neuf et fait émerger des synergies auxquelles on ne pensait pas.

L’IA fournit une accessibilité quasi instantanée à l’information et permet donc de mettre en oeuvre cette compétence à grande échelle. Aujourd’hui, un manager qui sait poser les bonnes questions à un outil comme ChatGPT peut rapidement comprendre les principes de sujets aussi divers que l’ingénierie logicielle, les bases de la finance ou les tendances en UX design. La connaissance n’est plus une barrière et c’est la connexion entre ces connaissances qui fait la différence.

L’innovation naît aux intersections

L’une des erreurs les plus répandues dans les entreprises est de croire que l’innovation vient uniquement de la recherche dans un domaine spécifique or l’expérience montre que les grands progrès naissent souvent de l’hybridation entre plusieurs disciplines.

Par exemple les études en anatomie de Léonard de Vinci ont inspiré ses peintures et ses inventions, Steve Jobs doit son succès à sa capacité à fusionner technologie et design.

Les polymathes sont capables de voir des connexions que d’autres ne perçoivent pas. Ils exploitent des connaissances issues de différents univers pour résoudre des problèmes. Dans un monde où l’IA gère l’exécution de nombreuses tâches, la valeur de l’humain réside de plus en plus dans la capacité à penser au-delà des silos et des domaines de compétences. N’oublions pas que l’IA n’invente rien qui n’ait été fait donc n’attendez jamais d’elle une idée vraiment originale, quelque chose de jamais vu, de spécifique à votre cas à votre situation à moins que vous ne veuillez explorer une voie nouvelle qu’on pourrait nommer l’innovation hallucinatoire.

Faut-il former les polymathes de demain ?

Si les polymathes sont si précieux ils sont rares en entreprise. L’une des raisons est que le système éducatif et la gestion des carrières sont conçus pour produire des experts. Les polymathes, souvent perçus comme « touche-à-tout », n’entrent pas dans les cases traditionnelles alors que bizarrement beaucoup de dirigeants rêvent de couteaux suisses pendant que les RH ne savent recruter que des gens qui rentrent dans des cases et, surtout, n’en sortent pas.

Mais il est possible de créer des environnements propices au développement de la polymathie.

D’abord en encourageant la mobilité interne et la formation continue au-delà des compétences de base d’un poste, ensuite en valorisant la pensée systémique et les approches transverses et enfin en repensant les critères de recrutement pour favoriser des parcours atypiques.

Et puis bien sûr il y a l’IA qui change la donne. Avant, la polymathie était une qualité intrinsèque de la personne. Tout le monde ne peut pas être Léonard de Vinci, on ne nait pas tous égaux quand on parle de capacités intellectuelles, de capacité à apprendre voire de curiosité. Mais avec l’IA une personne qui a compris l’importance de la pensée transverse, qui a conscience que la solution à un problème peut venir d’une autre discipline mais qui n’a pas les connaissances nécessaires peut se reposer sur l’IA pourvu qu’elle sache poser les bonnes questions.

Conclusion

L’IA n’est pas une menace mais donne une nouvelle légitimité aux polymathes en entreprise. Mieux, elle permet d’en créer en « augmentant » des gens qui ont la logique intellectuelle mais sans avoir les connaissances.

Elle automatise ce que les spécialistes faisaient hier, mais elle ne remplacera jamais une vision holistique, la capacité à décloisonner les disciplines et l’intelligence des connexions entre différents domaines de compétences voire les gens qui détiennent ces connaissances.

Dans un monde de plus en plus complexe, ceux qui savent apprendre vite, naviguer entre les savoirs et penser de manière systémique seront non seulement les catalyseurs de l’innovation et du changement mais aussi des « problem solvers » uniques.

Image : Léonard de Vinci, généré par IA par Shutterstock AI

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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