Il y a beaucoup de fausses bonnes idées au bureau et l’une d’entre elles est qu’on a tout intérêt à se rendre indispensable.
C’est vrai qu’à priori cela peut être séduisant. Vu que rien ne peut fonctionner sans vous vous êtes valorisé, mis sous le feu des projecteurs on prend soin de vous comme d’un joyau, vous êtes la personne qui fait que le collectif réussira ou échouera.
A tel point que certains organisent même leur « indispensabilité » en faisant en sorte que personne n’ait l’autonomie voire les compétences de les remplacer voire les seconder.
Je me souviens encore il y plusieurs années de cela d’un collègue à qui je demandais pourquoi il avait choisi tel candidat et pas tel autre me répondais le plus naturellement du monde : « avec elle au moins je suis tranquille, elle me prendra pas ma place.« . CQFD.
Les choses ne lui ont pas donné tort même si à certains moments je pense qu’il a été handicapé par sa stratégie et globalement voici pourquoi être indispensable est la pire chose qui puisse vous arriver.
En bref.
- Vouloir être indispensable peut sembler valorisant, mais c’est une stratégie qui isole et rend vulnérable.
- Cela bloque la collaboration, empêche les autres de monter en compétence et attire critiques et tensions.
- L’indispensable travaille sans relâche, s’épuise et devient un frein pour l’équipe.
- Il voit également souvent sa carrière bloquée, car personne ne veut prendre le risque de le déplacer.
- À l’inverse, être utile, transmettre et créer un système autonome améliore la performance de l’équipe et rend plus serein.
Etre indispensable ne vous protège pas
On peut croire qu’être irremplaçable est une assurance anti-licenciement et la garantie d’une reconnaissance permanente et durable. En fait cela vous met dans une position très risquée.
En étant indispensable on accumule les responsabilités, on se retrouve au croisement de plusieurs flux de décision et de travail (Hyperconnexion en entreprise : le numérique devient un fardeau) et au final on finit par devenir un frein voire par accumuler les mauvaises décisions .
Pire encore : les autres finissent par s’en rendre compte et vous devenez cible de critiques et d’inimitiés car vous empêchez les autres d’être aussi performants qu’ils le voudraient ou le pourraient.
Certaines entreprises commettent l’erreur de glorifier des individus soit parce qu’ils surperforment (où le pensent-elles) soit parce qu’ils se démultiplient et se rendent tellement visibles qu’elles se demandent comment elles pourront faire sans eux. Parfois d’ailleurs elles ont elles-même organisé l’indispensabilité d’une personne de manière consciente ou non : quand on promeut des modes de management peu collaboratifs et qu’on laisse le pouvoir aux petits chefs on voit en effet des gens indispensables fleurir aux quatre coins de l’entreprise.
En général cela fonctionne jusqu’au jour où…cela ne fonctionne plus. Typiquement soit lorsque la personne indispensable craque et qu‘il faut ramasser les pots cassés soit parce qu’à l’occasion d’une absence (maladie, congés…) on se rend compte que les choses sont plus fluides sans elles et que des talents voire des leaders insoupçonnés émergent.
Autoroute vers l’épuisement
Quand on revient un goulot d’étranglement non seulement on ralentit le rythme de travail et de décision de l’organisation, on prend le risque de voir la qualité de son propre travail baisser mais on met également sa santé en danger.
La personne indispensable coure après le temps, le sien et celui des autres mais souvent s’implique au delà du raisonnable, accumule du stress, est sollicitée et réagit à toute heure, ne déconnecte jamais.
Elle a trouvé l’autoroute vers l’épuisement professionnel.
C’est tout l’inverse de ceux qui se rendent facilement remplaçable en favorisant collaboration, autonomie, délégation (Comment ne pas devenir un goulot d’étranglement au bureau ?) qui peuvent envisager leur travail avec plus de sérénité, profiter de leurs moments de repos, se reposer la tête et l’esprit et au final y trouvent des leviers de performance.
Une personne indispensable n’évolue pas
Le principal problème d’une personne indispensable c’est…qu’elle est indispensable. Si on ne peut vous enlever de là où vous êtes et bien vous allez y rester car jamais un employeur ne prendra le risque d’enlever un rouage d’essentiel de son poste au risque de voir tout commencer à dysfonctionner.
Qui n’a jamais eu l’exemple d’une personne qui a vu son évolution professionnelle bloquée par un manager qui la trouvait difficile voire impossible à remplacer ? Mais cela ne dure qu’un temps : au fur et à mesure que la frustration s’accumule, qu’une forme d’injustice est perçue, engagement et motivation diminuent jusqu’au jour où faute d’évoluer en interne le salarié décidera d’aller évoluer ailleurs.
Mauvais choix pour le manager qui perdra de toute manière le talent « irremplaçable » mais aussi pour l’entreprise qui le verra peut être aller à la concurrence car un manager faisait « bouchon » à sa progression voire également parce qu’elle perd un talent potentiel en gardant un manager moyen.
A l’inverse j’ai toujours eu la préoccupation de recruter rapidement mon « successeur » et le faire grandir de manière à pouvoir dire « je peux prendre ce poste, l’équipe n’a pas besoin de moi, mon remplaçant est là et reconnu comme tel par l’équipe, ça serait dangereux de le faire attendre« .
Aujourd’hui un bon manager automatise, documente (La base de connaissance : bouée de sauvetage de vos salariés) et crée des systèmes qui fonctionnent sans lui au lieu d’essayer d’être le système (Comment aimer le contrôle et ne pas être un poids pour soi et ses équipes ?).
La chasse au SPOF est ouverte
Je disais en introduction qu’il y a de fausses bonnes idées qui ont la vie dure et que celle-ci en fait partie mais c’est plutôt du côté des managers et des collaborateurs car du côté des entreprises on commence à avoir conscience des limites de ces pratiques parfois mises en place par les collaborateurs mais dont elles sont parfois responsables à force de promouvoir les mauvaises personnes et laisser perdurer des pratiques managériales qui frisent la toxicité.
Là où certains voient des modèles voire des leviers de performance elles voient un risque.
Là où certains voient un actif elles voient un passif.
Là où certains voient un manager ou un expert elles voient un SPOF, un single point of failure, une personne qui peut mettre une équipe ou une organisation en danger en cas de défaillance, absence ou départ.
Et elles n’aiment pas ça.
Un salarié vu comme critique devient un risque. Si vous êtes le seul à maitriser un processus ou un outil, à avoir la relation avec un interlocuteur clé chez un client vous êtes un danger, une dépendance dont l’entreprise cherchera un jour ou l’autre à s’émanciper et si vous n’organisez pas vous même la fin de votre « indispensabilité » à votre profit c’est l’entreprise qui le fera, peut être de manière radicale à votre détriment.
Etre utile plutôt qu’indispensable
Un salarié qui se rend indispensable ou se retrouve indispensable à l’insu de sa volonté met son équipe voire son entreprise en danger et se retrouve en danger lui-même.
C’est une situation qu’une entreprise doit éviter et dans laquelle un collaborateur doit éviter de se retrouver.
Comment ? En devenant utile plus qu’indispensable, et en devenant un catalyseur qui fait réussir les autres plutôt qu’un frein.
En partageant son savoir, formant et documentant pour éviter la dépendance, en automatisant et rationalisant les tâches récurrentes pour se donner temps, en construisant des équipes capables d’opérer sans vous pour préparer l’avenir et faire face à une possible urgence, en se concentrant sur l’impact plutôt que sur l’accumulation de responsabilités.
Mais il est sûr que ça n’est pas donné à tout le monde et qu’il faut une certaine confiance en soi. Il faut également que l’entreprise, de son côté, change la manière dont elle gère carrière, promotions, voire mette en place un nouveau modèle managérial (Avez vous un delivery model pour le management ?)
Conclusion
Si le seul moyen d’être visible c’est d’empêcher les autres d’avancer ça n’est pas une bonne idée. Contrairement à une idée reçue on devient un atout pour une entreprise ou une équipe en lui permettant de grandir sans soi plutôt que de dépendre de soi.
On dit souvent que l’objectif d’un manager est d’organiser son inutilité mais inutile ne veut pas dire indispensable : on est inutile une fois que le système est en place, fonctionne et qu’on est plus le facteur limitant, on est indispensable quand on devient un frein pour soi et pour les autres.
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