Certaines entreprises sont en pleine guerre contre le télétravail pour de bonnes et, à mon avis, surtout des mauvaises raisons mais si on y regarde de plus près elles mettent fin à une forme de travail à distance pour en imposer une autre et finalement ne règlent aucun des soit disant problèmes qu’elles attribuent au télétravail.
En effet, quand on parle de travail à distance, on pense immédiatement à des gens qui ne sont pas physiquement dans les locaux mais si on gratte un peu on se rend compte qu’on peut être à distance tout en étant au bureau.
Et dans certaines entreprises, c’est même la norme.
En bref :
- Certaines entreprises rejettent le télétravail sous prétexte de préserver la cohésion, tout en maintenant des organisations distribuées qui génèrent les mêmes effets de distance, y compris au sein des bureaux.
- Dans les grandes structures, les équipes éclatées sur plusieurs sites ou fuseaux horaires collaborent à distance, indépendamment de leur présence physique, ce qui relativise l’importance du bureau comme lieu de lien social.
- La présence au bureau est souvent perçue à tort comme un gage d’engagement et d’interaction, alors que de nombreuses situations illustrent un isolement réel malgré la proximité physique.
- Les équipes à distance bien organisées, outillées et managées peuvent se révéler plus efficaces et soudées que des équipes en présentiel mal structurées, car elles sont contraintes à plus de rigueur et de clarté.
- Le véritable enjeu n’est pas le lieu de travail mais la qualité de l’organisation, du management et du lien collectif, la distance la plus problématique étant relationnelle et non géographique.
L’organisation distribuée : un travail à distance qui ne dit pas son nom
Il n’est pas rare, surtout dans les grandes entreprises, que les équipes soient réparties sur plusieurs sites, étages, et en plus parfois sur des fuseaux horaires qui rendent le travail asynchrone par nature.
Le paradoxe c’est qu’on échange parfois plus facilement avec un collègue à l’autre bout du monde qu’avec celui de l’étage du dessous ou même son voisin d’open space. Simplement parce qu’on doit travailler avec l’un et pas avec l’autre et que finalement la proximité « opérationnelle » l’emporte sur la proximité physique.
Pour avoir vécu la situation de faire partie d’une équipe internationalement dispersée j’ai connu la situation où je voyais « mon » équipe à longueur de journée en visio et où il existait un vrai esprit d’équipe et de cohésion entre nous alors que je n’avais rien à dire à la personne assise à côté de moi dans l’open space qui, parfois même, n’avait même à pas savoir ce sur quoi je travaillais.
Autant vous dire qu’on soit au bureau ou chez nous ne changeait rien et la migration s’est faite plus que naturellement.
De toute manière être au bureau ne rapproche pas autant les gens qu’on ne ne le pense. Il n’est pas rare de voir organiser des réunions en visio même quand tout le monde est sur place simplement parce que c’est plus simple que de trouver une salle de réunion ou se déplacer dans les bureaux.
En attendant il est fréquent que des personnes présentes dans les mêmes locaux travaillent sur des projets totalement déconnectés les uns des autres, sans coordination, sans vision partagée. Ils sont collègues dans la mesure où ils travaillent pour le même employeur mais n’ont rien à se dire ou faire ensemble.
C’est une organisation distribuée.
Mais comme tout le monde est dans un bureau, on se raconte que tout va bien, en tout cas mieux que si les gens étaient chez eux.
Un paradoxe managérial
On a donc une réelle incohérence des perceptions.
Quand quelqu’un travaille depuis chez lui, on allume tous les voyants d’alerte : isolement, manque de lien social, perte de performance, difficulté à collaborer…
A l’inverse quand une équipe est éclatée physiquement, managée à distance, sans interactions humaines réelles il n’y a aucune inquiétude.
Tout cela parce que le bureau est perçu comme une garantie implicite de cohésion, comme si le simple fait d’être là suffisait à créer du lien.
Mais on sait bien que ça n’est pas le cas.
Je le redis autrement : on peut être au bureau et se sentir seul (Ce que nous dit vraiment le sentiment de solitude de certains en télétravail et We’re Still Lonely at Work), avoir un manager qui est sur un autre site et qui ne vous voit pas plus travailler que si vous étiez chez vous et entourés de collègues qui n’ont rien à faire de ce que vous faites ni même de qui vous êtres.
La présence physique ne garantit rien
Quiconque a une expérience du travail distribué et du télétravail sait donc bien que le bureau ne crée pas la collaboration, qu’il ne remplace pas un management clair, des objectifs partagés, une culture d’équipe et ne règle pas le problème du désalignement.
On peut passer sa journée au bureau et ne croiser personne voire ne rien avoir à dire à ceux qu’on croise, on peut être dans l’open space et passer la journée sur Teams et être entouré de collègues et se sentir totalement déconnecté du collectif.
La distance n’est pas géographique. Elle est organisationnelle, cognitive et relationnelle.
Certaines équipes à distance fonctionnent mieux que celles au bureau
C’est la vérité qui dérange que certaines directions, managers ou RH ne veulent pas voir : des équipes 100 % à distance, bien cadrées, bien outillées, bien managées, peuvent être plus efficaces, plus soudées et plus engagées que des équipes présentes physiquement mais mal pilotées.
Pourquoi ? Parce qu’en remote, on n’a pas le luxe de l’approximation. Et quand je dis remote je parle aussi bien de gens qui travaillent de chez eux que des gens qui sont au bureau mais dans des localisations multiples.
Il faut :
- Formaliser les échanges.
- Structurer la transmission d’information (Le CRM peut sauver votre entreprise mais pas le CRM auquel vous pensez)
- Clarifier les rôles, les rituels, les décisions.
- Créer intentionnellement du lien.
- Développer les soft skills nécessaires (De l’importance des soft skills dans l’excellence opérationnelle).
À l’inverse, certaines équipes en présentiel se reposent sur une illusion de cohésion alors qu’il n’y a ni vision partagée, ni synergie réelle, ni sentiment d’appartenance.
Conclusion
Travailler à distance, ce n’est pas être hors des murs de l’entreprise, c’est ne pas être physiquement avec ceux avec qui on travaille. Et ça ne pose aucun problème si on sait s’organiser pour, si on sait manager dans ce contexte.
La vraie distance qui pose problème n’a rien à voir avec le lieu de travail : c’est être hors du jeu, hors du collectif, hors d’une vision partagée. Et cette distance-là peut s’installer en plein milieu du bureau.
Le vrai sujet n’est pas le télétravail mais la capacité d’une organisation à construire du lien, à maintenir une dynamique collective, à piloter intelligemment la collaboration indépendamment du lieu. Le travail c’est plus un état d’esprit qu’un lieu.
Le bureau n’est pas un remède aux problèmes des organisations, pire, ça n’est souvent qu’un placebo.
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