L’objectif du futur est le plein chômage, comme cela on pourra jouer. (Arthur C. Clarke).

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1°) Qui est l’auteur ?

Arthur C. Clarke (1917-2008) est un écrivain de science-fiction britannique que vous connaissez sûrement au travers d’un de ses ouvrages les plus connus, à savoir 2001 : L’Odyssée de l’espace.

Scientifique et inventeur, il a également travaillé sur des concepts technologiques, notamment les satellites de communication géostationnaires dont il est à l’origine du concept.

2°) Contexte de la citation

D’un point de vue temporel il aurait prononcé cette citation pour la première fois en 1969 dans un journal qui l’interviewait par rapport à 2001 : L’Odyssée de l’espace. Il récidivera dans une autre interview quelques mois plus tard.

Si on se situe sur le plan des courants de pensée, il appartient au courant de la science-fiction dure, qui met l’accent sur la plausibilité scientifique et technologique et était convaincu que la technologie façonnerait l’avenir de l’humanité.

Il faut avoir en tête que Clarke était plutôt un techno-optmiste voire un techno-utopiste. Il était en effet un grand défenseur du progrès technologique et était optimiste quant à l’avenir de l’humanité, bien que certaines de ses œuvres montrent des inquiétudes sur la manière dont elle gérerait ces avancées.

Clarke, comme d’autres penseurs du XXᵉ siècle, envisageait une époque où les machines assureraient la production, laissant les humains libres de se consacrer à des activités créatives et ludiques, ce qu’il voyait comme un grand progrès, voire l’objectif de l’humanité.

En bref :

  • Arthur C. Clarke imaginait un monde sans travail où la technologie libérerait l’humanité pour se consacrer aux loisirs et à la créativité.
  • Il voyait cette transformation comme un progrès, avec l’éducation et le divertissement comme nouvelles activités centrales.
  • Cette vision soulève des questions : comment redistribuer la richesse, donner du sens à la vie sans travail et éviter l’ennui ?
  • Aujourd’hui, l’IA et l’automatisation rendent ce scénario plus crédible, mais posent aussi des défis, notamment sur nos capacités cognitives.
  • Clarke estimait que ce futur exigerait un changement radical du système économique, une mutation encore sans réponse claire.

3°) Explication et implications

« L’objectif du futur est le plein chômage, comme cela on pourra jouer. »

Jamais dans l’histoire cette phrase n’a été autant d’actualité (L’IA va-t-elle remplacer les juniors ? Le faux débat qui cache la forêt) et ancrée dans les réflexions du moment et elle le sera encore davantage dans le futur.

Selon Clarke l’idéal du progrès ne serait pas d’augmenter l’emploi, mais au contraire de le faire disparaitre grâce à la technologie. Une vision qui pouvait semble séduisante quelle elle relevait de la science-fiction et de l’utopie mais qui pose de nombreuses questions maintenant qu’il s’agit d’une réalité qu’il nous semble pouvoir toucher du doigt.

  • Si le travail n’est plus nécessaire, comment redistribuer la richesse ?
  • L’oisiveté choisie est-elle toujours bénéfique ?
  • Comment donner du sens à la vie sans la contrainte du travail ?

En 2025 sa pensée est en phase avec des idées contemporaines sur le revenu universel et la place de l’intelligence artificielle dans l’économie et dans la société (Les défis que pose l’IA ne sont pas technologiques mais il faut y répondre aujourd’hui).

4°) Quelles leçons pouvons nous en tirer ?

L’idée de Clarke repose sur le fait qu’un jour la technologie aura fait disparaitre le travail au sens productif et contraint du terme. Il s’inscrit dans une tendance historique où chaque révolution technologique a réduit le besoin de main-d’œuvre humaine dans certains secteurs en avançant l’idée qu’un jour au lieu de déplacer cette main d’oeuvre d’un secteur vers un autre il ne restera plus de secteurs à transformer et que le travail aura ainsi disparu.

En effet dans un monde où toutes les tâches répétitives et laborieuses sont assurées par des machines, le plein chômage devient une conséquence logique du progrès mais il ne faut pas croire pour autant que, dans la vision de Clarke, c’est la fin de toute activité humaine. C’est plutôt une transition vers des occupations non contraintes par la nécessité économique.

La question de la redistribution de la richesse

Cela pose nécessairement la question de la redistribution de la richesse. L’idée d’un revenu universel (autrement appelé dividende technologique) revient souvent dans ce débat. Certains économistes et philosophes proposent ainsi que les richesses générées par l’automatisation soient redistribuées afin que chacun puisse vivre dignement sans emploi traditionnel (Vers un âge d’or de l’assistanat et de la précarité ?).

Le jeu comme moteur de développement personnel

Mais, si cela peut sembler attractif nous ne pouvons ignorer le côté sombre d’une telle prédiction, a fortiori lorsqu’on se rend compte qu’elle ne sera peut être bientôt plus une utopie. En effet le travail est depuis des siècles un élément structurant de l’identité humaine et on peut craindre que sa disparition poserait des défis psychologiques et sociaux

Peut on alors penser que, comme le suggère Clarke, Le jeu, au sens large, pourrait-il remplacer le travail comme moteur de développement personnel ? Des auteurs comme Johan Huizinga l’ont précédé sur ce terrain (Homo ludens) pour qui « le jeu est une tâche sérieuse » qui contribue au développement de la culture et permet de comprendre l’homme au-delà des dimensions de connaissance-savoir.

Mais cela ne répond pas à la question que je me pose et que va nous poser l’IA si on suit la pensée de Clarke : si le jeu façonne l’homme qu’en est il dans une société où il n’est plus un contrepoids au travail et à l’acquisition de connaissance comme un moyen d’acquérir des compétences parfois utiles au travail mais l’activité unique des individus sans autre perspective ?

L’éducation et le divertissement vont ils dominer le monde ?

Mais si on prend le propos de Clarke dans son entièreté, il complète cette citation par deux autres et voici la première.

« L’éducation deviendra la plus grande industrie et le divertissement la suivra de près, sinon l’humanité mourrait d’un ennui total dans un monde sans travail. »

Déjà on peut dire que ces tendances n’ont rien de neuf : l’éducation au sens large pèse aujoud’hui dans les 6 000 milliards de dollars avec une trajectoire de croissance qui devrait atteindre 10 000 milliards de dollars d’ici 2030. Il connaît une croissance annuelle de 4,5%, soit 1 à 1,5 fois la croissance du PIB mondial (L’éducation, un marché en mutation)

Quant au learning en entreprise il est soutenu par la rapidité des transformation que nous connaissons et les facilités offertes parle e-learning. Rien qu’en France les dépenses globales de formation professionnelle ont connu une augmentation spectaculaire, passant de 32 milliards d’euros en 2014 à 55 milliards d’euros en 2023 (La dépense de formation des entreprises a augmenté de 71 % en 10 ans).

Quant au marché du divertissement n’en parlons même pas : en croissance constante il a atteint les 2,8 billions (1 billion =  mille milliards) de dollars au niveau mondial en 2023 (PWC: Global entertainment and media revenue continues to rise).

Cela laisserait donc penser que la prédiction de Clarke est en route pour se vérifier bien avant l’heure mais tout cela me laisse très sceptique.

Il y a des gens qui apprennent à la fois dans une optique professionnelle mais aussi pour le plaisir d’apprendre, de satisfaire leur curiosité, de se cultiver. Et si vous êtres en train de lire cet article c’est sûrement votre cas. Mais pour beaucoup de monde apprendre est une contrainte qui n’est justifiée que par une perspective professionnelle, études incluses.

Je n’ai pas trouvé de chiffres sur le pourcentage de gens pour qui l’apprentissage relève d’une motivation intrinsèque ou extrinsèque mais j’ai peur qu’ils ne nous rassurent pas sur le futur de l’humanité d’autant plus qu’on voit déjà chez les utilisateurs d’IA une baisse des capacités cognitives (Chute des performances : l’effet boomerang de l’IA dans l’apprentissage, Potential cognitive risks of generative transformer-based AI chatbots on higher order executive functions et The Impact of Generative AI on Critical Thinking: Self-Reported Reductions in Cognitive Effort and Confidence Effects From a Survey of Knowledge Workers).

Rien de surprenant alors que les moteurs de recherche qui étaient des outils de découverte sont peu à peu supplantés par des IA qui sont des moteurs de réponse, ce qui change totalement nos démarches cognitives.

J’ai donc du mal à croire que dans un monde où l’IA aurait supprimé le travail il y ait davantage de stimuli pour apprendre pour la beauté d’apprendre alors que, justement, beaucoup seront tentés de penser que l’IA les en dispense.

Et quant à parler d’un monde où l’on se divertit sans apprendre et sans connaissance je n’ose m’imaginer le niveau des divertissements proposés et vers quel futur cela amènerait l’humanité (IA au bureau : éviter l’effet Wall-E).

J’ajouterai que l’éducation et le divertissement ne sont pas gratuits et sont déjà aujourd’hui un marqueur fort d’inégalités sociales et j’ai beaucoup de mal de croire qu’un éventuel revenu universel les compense si ce n’est, puisque plus personne ne travaille, dans le cadre d’une redistribution globale et égalitaire des revenus. Mais là c’est pas de l’utopie mais de la science fiction.

En tout cas je suis pas sûr que la vision de Clarke nous promette un monde aussi rose que cela.

Mais juste en disant cela, il ajoutait autre chose.

La fin de notre système politico-économique

« C’est pourquoi nous devons détruire le système politico-économique actuel. »

Nous y voila. D’un côté il est facile de dire que de toute manière ce système ne tient plus à grand chose et j’admets que c’est une question que l’on devra se poser un jour (Les défis que pose l’IA ne sont pas technologiques mais il faut y répondre aujourd’hui) mais cela pose également la fin d’un modèle social sans que personne ne propose aujourd’hui quoi que ce soit de viable à la place.

Conclusion

La perspective d’un monde sans travail et fait de loisirs et de culture peut sembler attirante de prime abord mais elle pose des problèmes sous-jacents qu’on ne peut négliger comme des inégalités croissantes, une perte de repères et la déconnexion du réel.

Il existe bien sûr des alternatives au modèle du travail traditionnel comme l’économie créative, l’investissement dans des activités communautaire et l’éducation continue mais est-ce que cela intéresse vraiment les gens et, surtout, est-ce que l’appétence qui existe aujourd’hui pour ces activités ne disparaitrait pas en même temps que le travail dont elles sont parfois un exutoire.

Il est peut être possible de construire un monde meilleur sans travail (Building a Better World Without Jobs) mais rien ne dit qu’il soit viable, qu’il nous plaise et qu’il ne nous mène pas vers une situation irréversible et la disparition de ce qui nous rend humains.

Mais ce futur n’est peut être pas si inéluctable que ça (IA et emploi : pourquoi je ne crois pas au « grand remplacement » de l’Homme par la machine) et c’est finalement peut être une bonne nouvelle.

Image : société des loisirs de BlurryMe via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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