Fin novembre on apprenait la nomination d’Elon Musk à la tête du DOGE en tant que Ministre de l’efficacité gouvernementale. Il n’a pas fallu attendre qu’il soit en fonction pour que cela entraine de nombreuses réactions, un peu par rapport à la mission qui lui était assignée, beaucoup par rapport à la nature du personnage.
Pour ma part, et peu importe ce que je pense du personnage, j’étais très curieux de voir ce que cela allait donner. Est-ce que le mythe de la transposition des méthodes du privé pouvait fonctionner ? Et, si oui, quel message cela allait envoyer aux électeurs et aux gouvernements du monde entier ?
Quelques mois après son entrée en fonction il est déjà temps de tirer quelques conclusions même si elles ne sont pas définitives.
En bref :
- Musk adopte au DOGE une approche à court terme centrée sur les coupes budgétaires, loin de ses méthodes habituelles fondées sur l’innovation par premiers principes.
- L’objectif est ici pragmatique : réduire rapidement les dépenses publiques, sans réelle transformation structurelle.
- Les contraintes politiques et institutionnelles limitent fortement sa capacité d’action et d’innovation.
- La transposition des méthodes du privé au public montre ses limites face à la complexité de l’appareil étatique.
- Musk privilégie une logique d’adaptation rapide, mais son impact à long terme reste incertain.
Principes premiers vs soustraction
Dans mon premier billet sur le sujet (Elon Musk Ministre de l’efficacité gouvernementale : une blague plus sérieuse qu’il ne semble) j’avais commis une erreur, mais je ne pense pas être le seul. J’avais avancé que que la méthode Musk reposait sur l’innovation par soustraction ( (Jon McNeill’s lessons on innovation through subtraction), dans la foulée, de nombreux lecteurs m’ont fait remarquer mon erreur.
Comme je l’écrivais alors, c’est une approche qui consiste à améliorer un produit, un service ou un processus en supprimant des éléments jugés superflus, inefficaces ou sources de complexité. Plutôt que d’ajouter de nouvelles fonctionnalités ou ressources, cette méthode vise à épurer et à simplifier pour maximiser l’efficacité, réduire les coûts et améliorer l’expérience utilisateur/citoyen.
Or l’expérience prouve que Musk a davantage tendance à utiliser un raisonnement par premiers principes.
C’est une méthode de qui consiste à déconstruire un problème ou une idée jusqu’à ses éléments les plus fondamentaux, les vérités de base qui ne peuvent pas être réduites davantage, puis à reconstruire une solution à partir de là, en faisant fi des analogies, conventions ou hypothèses héritées.
C’est la méthode utilisée par Musk pour Space X où il a refusé les principes et couts standards du secteur mais aussi à l’occasion par Steve Jobs lorsqu’il remettait en question les conventions établies en termes de produits, business model et expérience utilisateur.
D’une certaine manière les deux peuvent se compléter et l’innovation par soustraction peut être dans certains cas, mais pas tous, une conséquence d’un raisonnement par premiers principes.
Par contre choisir l’une ou l’autre nous dit beaucoup sur la transposition des pratiques d’un secteur à l’autre et les contraintes qui vont avec.
Pour être franc j’étais un peu déçu par ce que je vois de l’action de Musk au DOGE par rapport à la promesse initiale : oui il y a des réductions massives de coûts et d’effectifs même si au final la presse spécialisée les relativise en partie mais je ne voyais pas l’innovation qui permettait de faire mieux avec moins.
J’ai donc décidé d’explorer un peu.
Des objectifs et contextes différents
Pour comprendre ce que fait et ne pas pas Musk et comment il faut bien se dire que la mission qui lui est confiée dans le cadre du Doge n’a rien à voir avec celle qu’il se fixe dans ses entreprises.
Dans ses entreprises, Musk vise des objectifs disruptifs à long terme, comme la colonisation de Mars ou la transition énergétique mondiale. Il est dans le temps long et ses actionnaires le comprennent, en tout cas en général.
Mieux : dans la quasi totalité des cas il est actionnaire majoritaire ou détient la majorité des droits de votes donc peut imposer son tempo sans avoir à trop rendre de comptes.
Dans le cas de DOGE l’objectif est plus pragmatique et très immédiat : réduire les dépenses fédérales de 15 % (environ 1 trillion de dollars) en éliminant le gaspillage bureaucratique et modernisant les technologies gouvernementales. A l’heure qu’il est on voit la réduction d’un soit disant gaspillage car quand on touche un mur porteur il vaut mieux toujours se demander pourquoi il a été construit avant de le faire tomber (Destruction, disruption, change and transition strategies). Par contre je ne vois pas l’innovation arriver mais, après tout, peut être a-t-il commencé par ce qui était le plus rapide à mettre en œuvre.
En effet si dans le cadre de ses entreprises et quand bien même la vitesse d’exécution est son obsession, il y a les élections de mi-mandat dans deux ans. C’est à dire que dans deux ans les « actionnaires » de l’état vont dire ce qu’ils pensent de la politique mise en œuvre et si les économies et la croissance ne sont pas au rendez vous, que l’inflation persiste, Trump perdra surement sa majorité au congrés et ce sera la fin avant l’heure la mise en place de son programme.
Contrairement à ce qu’on peut penser, il est plus simple de penser long terme dans une entreprise qu’on dirige sans trop partager le pouvoir (et tant qu’on a du cash) qu’à la tête d’un état ou vous rentrez en campagne quasiment tous les ans et demi.
A chaque contexte sa méthode
Comme je le disais la méthode habituelle de Musk est le raisonnement par premiers principes pour reconstruire des solutions innovantes en s’affranchissant des principes admis, dogmes et standards qui ne sont pas vitaux et impossibles à discuter.
Au DOGE la méthode est radicalement différente : suppression directe d’agences fédérales, licenciements massifs et simplification des processus existants sans véritable reconstruction ou innovation technologique profonde. Donc de l’innovation par soustraction.
Une place différente pour l’humain
Contrairement aux idées reçues le capital humain joue un grand rôle dans les entreprises de Musk : il déteste les équipes pléthoriques mais recrute des talents exceptionnels qui vont permettre des avancées majeures.
Dans le cadre du DOGE il a commencé par des coupes dans des services publics essentiels, comme l’aide internationale ou la sécurité sociale, avec des conséquences sociales potentiellement négatives.
Un cadre organisationnel contraignant
C’est peut être le point le plus important car tout le reste en découle.
Musk est adepte d’une culture entrepreneuriale axée sur l’innovation continue et la collaboration directe sans bureaucratie.
Au DOGE il trouve un contexte gouvernemental rigide avec des contraintes politiques et institutionnelles qui sont des freins au changement, développement un réflexe quasi immunitaire aux changements profonds et freinent l’application des méthodes entrepreneuriales quand elles ne la bloquent pas.
Finalement d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre le Deep State est une réalité doté d’une certaine capacité de résistance, voire de nuisance diront certains
Le pragmatisme avant tout
On attendait de Musk une vision ambitieuse à long terme orientée vers des transformations radicales et on se retrouve avec des objectifs pragmatiques à très court terme visant une réduction rapide des coûts sans vision claire d’innovation et de transformation systémique.
La seule chose qui reste de Musk et ça n’est peut être pas la moindre de ses qualités c’est la victoire du pragmatisme sur la méthode. Il a moins de deux ans pour que ses décisions portent leur fruits et, d’ailleurs, son contrat avec le gouvernement est supposé s’arrêter en mai.
D’une certaine manière et sans pousser la comparaison trop loin on peut dire qu’il est dans l’effectuation à savoir faire ce qu’il peut avec les moyens du bord et sous contrainte. Mais sans aller trop loin non plus dans la comparaison : l’absence de co-construction et une vision pré-déterminée non négociable nous éloignant des principes de cette approche.
Peut être est-ce le socle nécessaire avant d’aller plus loin et d’être plus ambitieux dans la transformation et l’innovation mais rien ne dit qu’il en aura le temps.
Conclusion
Au DOGE, Elon Musk a changé radicalement son approche. Fini les objectifs ambitieux de long terme et l’innovation mais une approche à court terme où l’optimisation domine.
Fini le raisonnement par premiers principes, bonjour l’innovation par soustraction…l’innovation en moins.
Cela tendrait à prouver que malgré une approche très volontariste toutes les méthodes issues du privé ne sont pas transposables dans le public et qu’il est plus réaliste de viser l’optimisation de l’existant plutôt qu’une réelle transformation qui serait le résultat d’une innovation de rupture.
A moins que Musk ne nous surprenne mais il a peut être trouvé plus fort que lui, ou un terrain de jeu qui ne lui convient pas.
Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)