Depuis une bonne dizaine d’années nombre de dirigeants et managers, notamment de monde de la tech, sont atteints d’un nouveau virus : le virus de la « punchline ».
Rien à dire, ça fait son effet. Des formules qui font mouche, claquent, impressionnent.
Mais des formules qui ne règlent rien.
Elles donnent une illusion de vision, de leadership et fonctionnent à merveille dans un TEDx ou une keynote mais peuvent s’avérer destructrices dans la vraie vie de l’entreprise surtout quand elles sont le principat ressort de la communication managériale.
En bref :
- Les punchlines simplifient à l’excès des situations complexes et ne rendent pas compte des réalités du terrain.
- Empruntées le plus souvent à des entrepreneurs reconnus, elles servent souvent à masquer l’absence d’analyse ou de réponse adaptée.
- Leur usage peut créer peur, confusion ou désengagement au lieu de mobiliser les équipes.
- Des messages contradictoires et changeants fragilisent la clarté et la cohérence managériale.
- Manager, c’est expliquer, écouter et donner du sens, pas impressionner avec des slogans.
Phrases choc et vide opérationnel
Une punchline est, par définition, une réduction extrême d’un message. C’est ce qui fait tout son intérêt et la rend aussi mémorable que problématique.
Dans une entreprise, la règle est la complexité quand ça n’est pas, pire encore, la complication (La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé).
Tout n’est jamais noir ou blanc, les contexte change en permanence et rare sont les décisions évidentes à prendre. Qui plus est rares sont les bonnes décisions ou principes d’un jour qui fonctionnent un an plus tard ou dans un autre contexte.
La punchline simplifie quelque chose qui mérite une analyse plus profonde et, pour reprendre une expression qui m’est chère, elle vous vend un plat au lieu de vous apprendre à inventer des recettes et cuisiner.
Commençons par un exemple classique :
« Move fast and break things » (Mark Zuckerberg).
Je garde volontairement la formulation anglaise qui est d’ailleurs la plus utilisée en entreprise tellement sa traduction en français sonne mal et perd de son impact.
C’est peut être pertinent dans une entreprise en forte croissance, quand sa dette technique est faible, que l’innovation radicale est dans son ADN ou qu’elle est dans une posture si mauvaise qu’un retournement demande de tout faire sauf protéger le passé.
Mais qu’en est il dans une entreprise en croissance chaotique, avec des processus fragiles et des équipes sous pression ?
C’est une incitation à tout casser sans penser aux conséquences et si je suis moi même un adepte de la remise en cause permanente de l’existant il ne faut pas oublier que quand il y a des murs porteurs dans une maison c’est souvent pour de bonnes raisons et qu’il faut y réfléchir à deux fois avant de les abattre (Destruction, disruption, change and transition strategies).
La citation pour éviter l’explication
Un autre problème est que beaucoup de punchlines ne viennent pas du manager lui-même, mais sont empruntées à entrepreneurs à succès (Steve Jobs, Elon Musk, Simon Sinek, Jeff Bezos).
Mais il ne faut pas oublier qu’en dépit de leurs grands principes ils ont en général connu l’échec à un moment ou un autre et que s’ils ne sont pas toujours pertinents pour prédire l’avenir (Pourquoi dirigeants et experts commettent il de grossières erreurs quant il faut anticiper l’avenir ?) ils ne le sont pas davantage pour vous dire comment diriger votre entreprise.
Reprendre une phrase d’un leader reconnu a plusieurs fonctions.
D’abord bénéficier d’une sorte d’effet de halo pour se donner de l’importance. Si je cite Jobs j’hérite de son aura et personne ne peut remettre mes propose en cause.
Ensuite se donner une posture de visionnaire. Etre un visionnaire n’est pas donné à tout le monde et citer un visionnaire permet de s’acheter une vision pour pas cher…même si c’est avec 5 ans de retard.
Ensuite cela évite de réfléchir aux problèmes, au contexte, et élaborer une réponse adaptée. On se dit qu’un copier/coller de quelque chose qui a (peut être) fonctionné ailleurs fonctionnera partout
Mais c’est une posture assez fragile car, quand on écoute les salariés, elle crée de la distance là où ils attend de la proximité, des explications voire du dialogue.
Les effets pervers des punchlines
Très souvent le dirigeants qui utilise une punchline se dit qu’il va mobiliser et énergiser son auditoire alors que parfois l’inverse se produit : il crée de la peur, blesse voire paralyse.
Je me souviens d’un conférencier reconnu dont j’aimais à la fois la pertinence et la sobriété des propos. A cette époque on intervenait souvent sur les mêmes conférence et il m’avait donné quelques conseils.
1°) On peut dire des choses dans une conférence qu’on ne peut pas dire devant ses propres salariés. Le public d’une conférence vient pour être inspiré, vous écouter, avoir des idées. Le public interne « subit » vos décisions et anticipe leurs effets.
2°) Quand on dit des choses devant un public externe cela finit toujours par être su dans votre entreprise et cela revient comme un boomerang soit parce que c’est anxiogène pour vos collaborateurs soit parce que la réalité de votre entreprise n’a rien à voir l’histoire que vous racontez.
Prenons quelques exemples.
« Don’t bring me problems, bring me solutions«
Dit autrement : « ne me dérange pas avec ce que tu ne sais pas résoudre ».
On peut voir le bon côté des choses : on peut tout questionner et remettre en cause si on arrive avec une solution mais la plupart du temps ça n’est pas ce qui se passe.
Dans les faits les problèmes ne remontent plus, les alertes sont filtrées par la hiérarchie et on perd le contact avec la réalité.
« If you’re not working weekends, you don’t belong here« »« (attribuée à Hank Paulson, ancien PDG de Goldman Sachs et ancien secrétaire au Trésor des États-Unis).
Effectivement cela peut inciter les gens à travailler dur et je dirais même qu’en matière de marque employeur cela permet de n’avoir que des candidats qui savent à quoi s’attendre.
Mais dans les faits cela produit de la culpabilité, de l’épuisement et rarement de la performance.
« Only the paranoid survive » (attribuée à Andy Grove, ancien CEO d’Intel.)
Questionnez tout, ne faites confiance à personne, vos partenaires d’aujourd’hui sont vos ennemis de demain…je dois reconnaitre que c’est un conseil qui peut être pertinent.
Mais dans les faits cela installe comme moteur la peur et comme système la défiance.
On en voit vite les effets dans l’entreprise : absence de confiance, rétention d’information, chacun pour soi.
Dans tous ces cas, la punchline est devient une arme que vous braquez contre vous.
Quand on utilise une punchline on la garde
Un autre effet pervers que j’ai constaté est celui de l’incohérence des messages.
Un jour, le manager prône l’audace ( » fail fast »), le lendemain la rigueur ( » zero defect « ), la semaine suivante la responsabilisation (« soyez autonomes« ), puis la conformité (« soyez alignés« ).
Quand les punchlines changent plus vite que ce qui se passe sur le terrain le message devient inaudible, l’équipe ne sait plus à quoi se fier ni ce qu’on attend d’elle.
Quand les principes directeurs du management changent tous les quatre matins de manière lapidaire on a souvent pour seul résultat que de la démobilisation.
L’entreprise n’est pas une scène de TEDx
Il y a une confusion tenace entre leadership inspirant et style percutant.
Mais une formule, aussi bonne qu’elle soit, ne remplacera pas une direction claire, des feedbacks argumentés, des décisions expliquées et de la constance dans la posture.
Manager, ce n’est pas briller ni impressionner mais créer les conditions pour que les autres puissent faire leur travail dans un cadre lisible et cohérent.
Conclusion
La punchline marque un moment, synthétise une vision, lance une dynamique mais elle ne doit jamais remplacer le travail d’explication, d’écoute, d’alignement qui est celui d’un manager.
Une équipe n’a pas besoin d’un manager qui cite Jobs ou Grove mais d’un manager qui comprend le terrain, donne du sens et fait preuve de constance.
Pour terminer en reprenant ma métaphore culinaire, la punchline c’est le fast food du management. C’est bien une fois de temps en temps mais au quotidien mieux vaut du fait maison.
Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)