L’ARR ne dit plus grand-chose sur la santé d’une startup

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Lorsqu’il s’agit de prouver leur solidité, leur réussite, nombre de startups utilisent un indicateur supposé couper court à toute discussion : l’Annual Recurring Revenue ou ARR.

Alors que les modèles économiques ont migré vers l’abonnement il a le mérite de parler du présent en donnant des gages de santé future : les clients étant engagés et sachant que le client est plus spontané quand il faut souscrire qu’annuler on peut dire un jour J combien on fera a minima de chiffre d’affaire sur un an.

Plus sécurisant que la vente à l’unité.

Prenons l’exemple du logiciel. Avant on achetait un logiciel disons 200 euros mais on pouvait ne jamais faire la mise à jour vers la version suivante ou en sauter quelques unes. Aujourd’hui on paie 10 euro par mois et on a les mises à jour automatiquement…tant qu’on continue à payer et si on arrête on ne garde pas une vieille version qui, finalement, fait le job.

La beauté du Software As a Service.

Mais cela vaut également pour la musique. On peut tester Spotify et finalement partir sur Apple Music.

Selon la série qu’on veut regarder on est abonné Netflix un jour et Prime le mois suivant.

On a donc un chiffre qui est supposé résumer à la fois la solidité, la traction et la récurrence du modèle économique mais c’est un chiffre trompeur.

Si les business models ont évolué vers un modèle « indolore » qui incite à l’achat et nous fait oublier qu’on peut/doit annuler son abonnement les consommateurs se sont adaptés et ont également fait évoluer leurs comportements de consommation.

En bref :

  • L’ARR reflète un chiffre d’affaires récurrent basé sur des abonnements, mais suppose une stabilité client de plus en plus illusoire.
  • Les modèles sans engagement ont modifié les comportements : les utilisateurs testent, changent, annulent rapidement, réduisant la valeur prédictive de l’ARR.
  • Même en B2B, l’usage réel et la fidélité ne sont plus garantis malgré des contrats annuels.
  • D’autres indicateurs comme la rétention, l’usage actif ou le NRR offrent une vision plus fiable de la durabilité.
  • Dans un marché volatil, un modèle aligné sur l’usage réel vaut mieux qu’un ARR élevé mais trompeur.

L’illusion de la récurrence

L’ARR repose sur une et une seule hypothèse : un revenu stable, prévisible, étalé dans le temps. Une hypothèse qui ne tient plus vraiment alors que les modèles ont évolué vers plus de flexibilité.

Aux début si la facturation était mensuelle l’engagement était, lui, le plus souvent annuel, ce qui donnait du sens à l’ARR.

Mais comme on sait que plus il est facile de se désengager plus il est facile de s’engager, on a vu apparaitre des modèles sans engagement. Là encore l’idée étant que d’avoir un prix suffisamment indolore pour que la facture se noie dans l’immensité des prélèvements mensuels récurrents à tel point qu’on l’oublie et ne pense jamais à l’annuler même si on en a plus besoin.

Faites le compte de tous vos abonnements mensuels soit disant indolores et vous aurez certainement des surprises.

Mais justement le consommateur s’est adapté. Devant une offre pléthorique il teste, passe d’un outil à un autre , compare plusieurs outils pour le même besoin, mélange les offres gratuites et payantes, souscrit ponctuellement pour un besoin précis.

Et, surtout, il annule. Il annule un outil pour tester un concurrent, il souscrit pour un besoin précis pour un mois et annule préventivement aussitôt après avoir souscrit.

Un phénomène peut être porté à son paroxysme avec l’IA générative. Il y a pléthore de solutions en fonction des besoins. Et pour un même besoin qui peut dire quel est le meilleur modèle en fonction des attentes particulières de chaque utilisateur, du cas d’usage précis, alors que des nouveautés sortent par semaine ? Personne. Alors on tâtonne.

Quand j’en parle autour de moi il n’est pas rare de voir quelqu’un annuler son abonnement ChatGPT pour essayer Claude ou Mistral, puis faire machine arrière, souscrire un abonnement Midjourney pour un mois juste pour un besoin ponctuel etc.

Si à un moment donné le revenu est bien certain la récurrence ne veut plus rien dire dans un marché qui n’est pas consolidé. Vous pouvez annoncer $1Md d’ARR un jour et si le lendemain un concurrent fait le buzz avec quelque de plus pertinent, simple, moins cher, il vous pouvez vous retrouver à $700M le mois suivant.

En fait de prévisibilité on a vu mieux.

L’ARR ne donne plus à coup sûr le moyen de se projeter dans le futur et devient de plus un instantané. C’est une réalité comptable un jour donné mais pas une preuve de fidélité et d’engagement du client.

Souvent flatteur, parfois trompeur.

Et à l’heure où le marché de l’IA est hyper dynamique et que tout le monde teste à coup sûr tout et n’importe quoi avant de passer à autre chose je ne serais pas étonné de voir un phénomène de « churn » jamais vu sur le marché quand le marché va un peu se stabiliser et se consolider.

Même en B2B, la fidélité n’est plus garantie

Ce phénomène est à mon avis très fort en B2C mais il ne faut pas croire que le B2B soit totalement à l’abris.

En B2B les contrats annuels restent fréquents mais ils ne garantissent plus un usage actif, ni un renouvellement automatique. Là aussi les comportements ont changé (cette fameuse consumérisation du monde de l’entreprise) et à part pour des applications vraiment critiques le client se désengage bien avant l’échéance contractuelle ou réduit son périmètre au moment du renouvellement en fonction de l’usage réel constaté.

D’ailleurs aujourd’hui beaucoup d’entreprises mènent des pilotes, le plus souvent payants, dans le domaine de l’IA, avec des technologies concurrentes qu’elles comparent avant de faire un choix et nul doute que la plupart considèrent ces clients potentiels comme acquis et incluent le revenu futur dans leur ARR comme si l’essai était transformé. A la fin des pilotes il n’y aura probablement qu’un gagnant avec l’impact qu’on imagine sur l’ARR.

Mais finalement tout n’est pas que comportemental : c’est le modèle économique lui même qui incite à de tels comportements

Durabilité vs récurrence

L’ARR donne une vision en surface du business : il permet de mettre en avant une croissance mais peut masquer la volatilité de la base client.

A partir du moment où la récurrence n’est plus une donnée, surtout sur un marché immature, il faudrait peut être regarder ce qu’on pourrait interpréter comme des signaux de durabilité.

La bonne nouvelle c’est que ces indicateurs sont connus, il ne manque qu’à les utiliser ou revaloriser leur importance.

La rétention par cohorte : quels clients restent après 3, 6 ou 12 mois ?

L’usage actif : les clients utilisent ils vraiment ce qu’ils paient.

Le NRR (Net Revenue Retention) : l’un des rares indicateurs à intégrer l’expansion, le churn et la contraction.

Le coût de rétention : combien coûte le maintien de chaque client ? Parfois plus que l’acquisition.

La compatibilité entre le pricing model et la valeur perçue : un modèle à l’usage peut être plus sain qu’un abonnement au mauvais prix.

Ces indicateurs sont bien sûr suivis dans la plupart des entreprises (enfin je l’espère) mais sont rarement utilisés pour communiquer à l’externe contrairement à l’ARR. Peut être pas surprenant que cela…

L’ARR est il le monde d’avant ?

L’ARR est une métrique pertinente dans un certain contexte, par exemple quand un secteur est en pleine croissance, que les taux sont bas et les levées faciles. En donnant une illusion de stabilité et de prévisibilité il est parfait pour rassurer et séduire.

Par contre dans un contexte plus contraint où la rentabilité devient prioritaire il est peut être moins pertinent.

Une startup saine, en tout cas dans le contexte actuel, n’est pas forcément celle qui affiche un ARR élevé mais un modèle aligné sur l’usage réel et la valeur perçue qui permet de survivre à des cycles courts, des arbitrages budgétaires et la volatilité des comportements.

C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se sont baignés sans maillot et quand la frénésie autour de l’IA va se calmer soit parce que le marché devient mûr soit parce que les clients particuliers et entreprises vont devoir arbitrer leurs dépenses plus strictement on risque d’avoir des surprises.

Conclusion

L’ARR reste un indicateur utile mais seulement un indicateur parmi d’autres et il n’est pas le plus fiable pour mesurer la résilience d’une startup dans un environnement incertain.

Quand le client explore et teste des solutions sur un marché pas encore mature, quand chaque client va faire attention à chaque euro dépensé la création de valeur se joue dans la rétention plus que dans l’acquisition et il peut être intéressant de regarder des métriques plus proches du réel.

Aujourd’hui l’ARR nous parle du présent mais plus difficilement de l’avenir.

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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