Dans l’éternel débat sur le rôle du manager je voudrais apporter un éclairage issu de mon expérience, donner à chacun le crédit qu’il mérite dans la réussite et le bon fonctionnement de l’entreprise et remettre chacun, manager et collaborateur, à sa place.
Le rôle du manager n’est pas de poser sur la photo
Autant commencer par ce qu’il est coutume d’appeler aujourd’hui une opinion impopulaire : aujourd’hui manager est plus vu comme un statut qu’un rôle.
Alors que cela devrait pratiquement être vu comme un changement de carrière voire de métier (au lieu de faire et de penser à ma réussite je crée les conditions de la réussite des autres) c’est souvent vu comme un accomplissement (je suis arrivé au sommet de la montagne et je vais souffler un peu et profiter de la vue).
Ca n’est pas forcément la faute du manager. Après tout c’est souvent l’entreprise qui a promu un expert qui ne sait pas ce qu’est manager et souvent ne le veut pas et qui va donc continuer à faire ce qu’il sait faire : être sur sur le terrain au quotidien en tant contributeur et pas en tant que manager et profiter du prestige du poste le reste du temps. D’ailleurs dans les événements internes on ne fait que rarement l’apologie de telle ou telle équipe qui a fait un travail exceptionnel et encore moins de ses membres. On met en avant l’équipe de untel et c’est untel qui monte sur scène pour être félicité. Le untel est très important dans ce genre de communication.
Beaucoup de salariés se plaignent donc à raison de leur manager : il continue à être un producteur comme un autre, fait leur métier mais sans occuper son rôle de manager en dehors des moments où on lui demande d’exister en tant que tel et où, après la joie d’apparaitre sur la photo des gens « à statut », il finit par se voir pointer du doigts parce que son équipe n’est pas assez performante.
Or manager est un vrai métier ou, plutôt, devrait l’être (Manager est-il encore un métier ?) mais on a jamais vraiment cherché à formaliser son contenu en faisant comme si c’était inné et sans comprendre que, comme l’entreprise tant qu’organisation il est au service des collaborateurs et pas l’inverse (Si tout devient service, pourquoi pas l’entreprise ?).
Les collaborateurs de terrain sont la cause de tous les succès
Bien sûr cela fait toujours plaisir d’être crédité pour la performance de son équipe et je ne fais pas exception à la règle. De toute manière quand les félicitations sont distribuées par qui de droit seul le leader de l’équipe est dans la pièce, à lui de ne pas oublier de faire redescendre l’information.
Mais il faut toujours à ce moment avoir l’humilité voire l’honnêteté de rappeler que ce sont les membres de l’équipe qui ont fait le travail, qu’on s’est juste contenté de rendre les choses possibles (Un manager c’est quelqu’un qui fait en sorte que les choses se passent). Bien sur c’est un rôle capital mais qui est inutile sans l’équipe…de la même manière que l’équipe a du mal d’avancer et s’améliorer si vous ne créez pas le contexte adéquat et ne débloquez pas certaines choses.
D’ailleurs même si vous arrivez à profondément transformer votre équipe et la manière dont elle travaille, vous ne devez ce succès qu’à ses membres car ils vont ont suivi (Améliorer le travail d’une équipe : histoire d’une amélioration continue et Changement et transformation ont besoin d’une nouvelle approche).
Mais in fine un manager seul ne sert à rien alors que l’équipe peut survivre et vivoter sans lui un certain temps. Imparfaitement, soit, mais elle pourra vivoter.
Eloge de l’humilité managériale
Un jour où nous parlions du sujet en Comex j’ai dit une chose qui, a ma grande surprise, a reçu l’assentiment de quelques personnes. Je vous rassure ça n’était pas la majorité mais comme c’était les deux seules personnes à qui je rendais des comptes ça m’allait.
En fait mon raisonnement était en trois temps.
« Si ce soir on décide, tous ceux qui sont dans cette pièce de prendre 15 jours de vacances sans prévenir et sans organiser la vacance l’entreprise ne va pas en mourir« .
Je pense même que ça ne se verra pas les premiers jours. Puis des décisions ne seront pas prises, des arbitrages ne seront pas faits, des projects structurants pas lancés, des financements pas accordés, la relation avec des interlocuteurs clé chez des clients et des partenaires va se couper et peu à peu l’organisation va perdre en vitesse, zigzaguer, flirter avec la sorite de route.
En revenant au bout de 15 jours on trouvera des choses à réparer et, si les choses sont contre nous, peut être des dégâts irrémédiables à certains endroits mais je doute que la survie de l’entreprise soit en jeu.
« Si c’est le management intermédiaire qui décide de faire la même chose on verra les problèmes avant la fin de la semaine, voire au milieu de celle-ci« .
Là en effet c’est l’organisation quotidienne des équipes qui va être affectée. Les décisions non prises, les arbitrages non faits, l’absence de pilotage seront plus près du terrain de la production, du client, avec moins d’impact stratégique à long terme mais un impact managérial et opérationnel très concret à court terme.
En revenant au bout d’une semaine je pense qu’ils seront effrayés par la montagne de problèmes à régler, de dégâts à réparer et parfois de conséquences quasi irrémédiables de leur absence.
« Si par contre c’est les gens de terrain qui partent une semaine on peut mourir dans les jours qui viennent« .
Après tout cela dépend de votre taille, de votre secteur, de votre santé financière mais si un lundi matin on se retrouve sans personne pour travailler et produire on sentira l’impact le soir même, voire au bout de quelques heures.
Les clients qui n’ont plus d’interlocuteurs, les projets internes et externes qui n’avancent pas, les opérations à l’arrêt.
Vous ne vendez plus rien, ne produisez plus rien, ne gagnez plus un centime alors que les coûts sont là.
Grosse perte de rentabilité, retards irrattrapables, perte de confiance des clients…vous voyez bien le tableau.
Oui quand une entreprise avance c’est bien grâce aux gens sur le terrain.
Aux managers le sale boulot
Alors à quoi servent managers et dirigeants ? Tout est dit dans les phrases qui précèdent.
Décider, arbitrer, allouer et des ressources, débloquer des choses, engager les équipes et résoudre les problèmes des autres.
Pour ceux qui aiment les statuts et poser sur les photos ça s’appelle le sale boulot, pour ceux qui ont la fibre managériale c’est tout ce qu’on aime.
Mais il faut savoir en tirer les conséquences.
Le salarié est au service du client, le manager et l’entreprise au service du salarié et les dirigeants au service des managers (Avez vous un delivery model pour le management ?). Surtout ne jamais oublier le client dans l’équation car ça justifie l’essentiel de la logique (Peut on renverser la pyramide sans le client ?)
Quand les choses vont bien c’est que tout le monde a fait son travail mais il faut garder en tête que c’est grâce aux collaborateurs que cela se transforme en réalité, les managers n’ont fait que rendre les choses possibles mais sans les collaborateurs rien ne se passe.
Mais si quoi que ce soit va mal c’est la faute des managers et des dirigeants. Ca n’est pas les blamer que de dire ça, juste leur rappeler leur rôle et leur responsabilité. Quand les choses vont mal c’est à 96% à cause du système et 4% à cause des salariés nous disait Deming (The Problem Isn’t the Employee, It’s the System) et c’est aux managers de s’occuper du système. Des chiffres qui nous rappellent encore que ce qui va bien doit être porté au crédit des salariés et que ce qui va mal est de la responsabilité des managers
Encore une fois je veux être clair sur mes propos : si quelque chose va mal ça n’est pas la faute du manager mais il est responsable de faire en sorte que cela cesse (Ca n’est pas parce que le travail est invisible qu’on ne peut l’améliorer).
Je sais que s’occuper des gens, revoir l’organisation et les process, être dans une logique d’excellence opérationnelle et d’amélioration continue, en gros mettre les mains dans le cambouis non pas en tant que contributeur mais que manager est vu comme le sale boulot, que beaucoup se disent que s’ils en sont arrivés là ça n’est pas pour faire de la plomberie mais c’est la nature de leur rôle.
C’est le vrai côté opérationnel du rôle du manager et non pas d’être un simple contributeur comme n’importe quel membre de leur équipe avec en plus des responsabilités managériales auxquelles ils rechignent.
En fait un manager qui ne veut pas être le responsable des problèmes et de leur résolution fait finalement partie du problème.
Conclusion
Bien sûr on doit juger un manager à la performance de ses équipes. Si ça n’est pas tout (Qu’est-ce que la performance managériale et sa face cachée ?) c’est la base.
Par contre ça ne suffit pas. Un manager doit être également jugé responsable de ce qui ne va pas, il doit être évalué ou récompensé sur sa capacité à insuffler des logiques d’amélioration permanentes, à régler les problèmes humains et surtout organisationnels plutôt que se borner à les constater.
Le manager ne doit pas être un contributeur comme un autre dans son équipe doublé d’un inspecteur des travaux finis qui se contente de relever les compteurs.
Il est le responsable de tout ce qui ne va pas, doit se considérer comme le responsable en chef de la transformation sur son périmètre, doit se faire reprocher les dysfonctionnements et au contraire être récompensé lorsqu’il s’y attaque car c’est son rôle principal dans la réussite des autres.
Et bien sûr les dirigeants en tant que managers suprêmes ont aussi leurs obligations dans ce sens, au service des managers.
Manager n’est définitivement pas un statut et demande des compétences qui n’ont rien à voir avec le métier de l’équipe.
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